Fil d'Ariane
Peu après 20 heures, le dimanche 14 juin 2020, Emmanuel Macron revient sur le débat autour de figures de l’histoire de France, jugées polémiques par certains et glorifiées par d’autres : “La République ne déboulonnera aucune de ses statues”.
Le chef de l’Etat adresse une fin de non recevoir à des demandes venues de la société civile, d'associations et de manifestants qui qualifient de racistes certaines des personnalités mises à l’honneur.
La position du Président de la République mécontente une grande partie des associations travaillant autour de la mémoire de la traite négrière. “Le discours du Président Macron est passé à côté des revendications et de l’urgence qu’il y a aujourd’hui, à ce que les responsables politiques au plus haut niveau puissent se prononcer sur la perpétuation des ravages de cette pandémie qu’est le racisme depuis plusieurs siècles. [...] Cela nécessite que des mesures d’exception soient apportées”, explique Karfa Sira Diallo, directeur de l’association “Mémoires et Partages”.
Pour le fondateur de l'association basée à Bordeaux, l’exécutif français fait erreur : “Il y a une incapacité à réfléchir la question et à donner un cap. Il n’y a pas de vision. Que propose t-il ? Est-qu’il veut continuer à honorer des figures qui ont commis des crimes contre l’humanité ?”
Des militants antiracistes demandent le déboulonnage de statues érigées en l’honneur de Jean-Baptiste Colbert. Dans les livres d’Histoire, le grand ministre de Louis XIV est associé à l’expansion économique de la France mais il a aussi était l’homme à l’origine du Code noir. Un cadre juridique régissant l’esclavage au sein des colonies française. Pour des membres du tissu associatif et des descendants de cette déportation, les rues de France, des salles, des statues ne peuvent pas rendre hommage à une telle figure. “Il est important de noter les liens faits par les personnes entre les discriminations qu’ils subissent dans l’accès à l’emploi, aux logements, aux loisirs... et la persistance de ces noms de rues et de ces hommages rendus à ces personnalités. Il s’agit d’un débat sain, qu’il faut avoir car il permet de rendre notre démocratie plus fidèle à la vérité et à la justice”, souligne Karfa Sira Diallo.
Deux statues représentant Victor Schoelcher ont été détruites en Martinique le 22 mai 2020, le jour de commémoration l’abolition de l’esclavage. Ces évènements ont eu lieu avant la mort de George Floyd et l’indignation planétaire qu’elle a suscitée.
Le 22 mai 1848, le député alsacien Victor Schoelcher a été à l’origine de la signature du décret mettant fin à l’esclavage. Dans un communiqué les manifestants ont expliqué leur acte en affirmant “Schoelcher n’est pas notre sauveur”.
Statue de « Victor Schoelcher » détruite aujourd’hui en Martinique. #22Mé pic.twitter.com/99ZQAr12di
— La page tweet des antilles (@antilles97x) May 23, 2020
Le débat sur la suppression ou non des statues à l'effigie de personnalités polémiques se poursuit au sein même des communautés afro-descendantes et des milieux culturels. “La République a toujours écrit l’histoire de la liberté des noirs d’une façon “auto-glorificatrice”. Elle a toujours mis en avant les figures françaises blanches qui ont brillé par leur humanisme, et elles sont nombreuses. Je pense par exemple, que Victor Schoelcher fait partie de ces figures humanistes blanches progressistes mais la République a toujours mis en avant et exclusivement cela. Et elle n’a pas suffisamment soutenu, défendu, promu les figures des personnalités noires. Par exemple, Félix Eboué, gouverneur de l’Afrique équatoriale française sera le premier rallié durant la seconde Guerre mondiale à la France libre. Il s’agit alors du seul territoire à s’opposer à Pétain et à répondre à De Gaulle.. Nous ne parlons pas suffisamment de cette histoire et il y a tant d’autres personnalités. Il faut les honorer et montrer que notre humanité, que l’humanité “nègre” a aussi sa place dans les référents symboliques.” insiste Karfa Sira Diallo.
Depuis des années, le fondateur et directeur de Mémoires et Partages travaille sur cet héritage. A Bordeaux, cinq rues ont vu leurs plaques changer. L’association salue l’initiative même si elle regrette son caractère confidentiel et l’absence d’explication qui l’accompagne : “Symboliquement il est important de faire tomber une trace de cette histoire.[...] Par exemple à Bordeaux, il y a entre 15 et 20 rues portant des noms de négriers, qu’une rue soit débaptisée ou rebaptisée serait une bonne chose pour répondre à la mobilisation de la jeunesse. Et sur les autres rues, il faut que soit mis des panneaux explicatifs pour que les habitants se les approprient et que l’on y fasse des visites guidées, c’est d’ailleurs le travail de notre association “Mémoires & Partages”. [...] Nous avons toujours pensé que de mettre des panneaux pédagogiques est efficace. Il vaut mieux expliquer que débaptiser car si l’on débaptise, on efface la mémoire. ” précise Karfa Sira Diallo.
Sur la toile, les internautes se prennent à rêver d’autres figures mises en avant par la République. Avec le mot dièse #jeVeuxUneStatueDe, les tweetos expriment leurs souhaits de voir plus de diversité dans les personnalités célébrées par la France.
#JeVeuxUneStatueDe Suzanne Belair dite Sanite Belair,
— Black Lullaby (@MyWords_JustMe) June 15, 2020
femme qui s'est battue contre le rétablissement de l'esclavage en Haïti. Elle fut capturée, jugée par un tribunal colonial et décapitée. pic.twitter.com/VenBg2s5BX