France-Italie : et si cette crise ouvrait de nouvelles perspectives européennes ?

C'est une crise sans précédent, depuis l'après-guerre, entre deux pays fondateurs de l'Union européenne. La France vient de rappeler son ambassadeur à Rome, suite aux provocations verbales de Matteo Salvini, ministre italien de l'Intérieur et Luigi Di Maio, vice-président du gouvernement. Selon Alberto Alemanno, politologue, ces piques italiennes ne sont pas seulement conjoncturelles. Elles traduisent un déplacement de la polémique politique de l'espace national vers un cadre plus européen.
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Salvini, di Maio
Luigi Di Maio et Matteo Salvini tirent à boulets rouge sur Emmanuel Macron, de sa politique africaine, migratoire en passant par sa gestion de la crise des "Gilets jaunes".
AP/Thibault Camus/Andrew Medichini
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Alberto Alemanno est professeur à HEC, titulaire de la Chaire Jean Monnet en droit de l'Union européenne. Bon connaisseur des institutions européennes, Alberto Alemanno revient pour TV5MONDE sur cette crise diplomatique entre la France et l'Italie

Alberto Alemanno
Alberto Allemano est spécialiste de la construction européenne. Titulaire de la Chaire Jean Monet à HEC © HEC Paris


TV5MONDE : La France vient de rappeler son ambassadeur à Rome. Le Quai d'Orsay reproche aux dirigeants italiens plusieurs provocations ayant conduit à une situation de tension inédite entre les deux pays depuis la Seconde Guerre mondiale, la dernière en date étant une rencontre du ministre Luigi Di Maio avec des gilets jaunes sur le sol français. Êtes-vous surpris par un tel climat entre ces deux pays fondateurs de la construction européenne ?

Alberto Alemanno : En Italie, nous ne sommes pas surpris par ces excès verbaux. Le gouvernement italien actuel est dominé par deux mouvements politiques, la Ligue et le mouvement Cinq étoiles, qui continuent d'adopter un discours outrancier propre à des partis d'opposition alors qu'ils sont aux affaires. Les propos de Di Maio, (NDLR : leader du mouvement Cinq étoiles et vice-président du Conseil), sur le franc CFA et la politique néo-coloniale de la France sont assez partagés au sein de la classe politique italienne. Un chef de gouvernement italien issu de la vieille démocratie italienne aurait pu partager ce jugement sur la France mais, à la grande différence de l'actuel pouvoir, il n'aurait pas cherché à en faire étalage public. Les gouvernement européens n'affichaient pas leur désaccord de manière aussi publique. Les tensions ne sortaient pas des salles du Conseil européen à Bruxelles. Aujourd'hui tous les citoyens sont pris à témoin.

TV5MONDE : Comment expliquer alors cette surenchère diplomatique inédite ?

A. A. :
Cela tient à la nature des deux partis politiques de Salvini et de Di Maio. Mais pas seulement. Pendant des décennies, l'Europe fonctionnait sur un système inter-étatique où toute forme d'ingérence dans les affaires intérieures de son voisin semblait totalement hors de propos. L'espace politique en Europe restait assez national. Chaque camp politique combattait d'abord son adversaire politique national. Aujourd'hui, le débat public et l'espace politique ne sont plus confinés à l'espace national. Les enjeux, maintenant, se règlent à l'échelle européenne et donc la politique s'inscrit de fait dans un espace européen. Cela s'est provifé au moement des tensions entre la Grèce et l'Allemagne, au moment des plans d'aide dirigés vers Athènes. Mais c'est surtout la question migratoire qui a mis fin au langage diplomatique convenu entre Etats membres de l'Union. 
 

Republica
La Republica, quotidien de centre-gauche, déplore dans sa une la "rupture  totale" entre l'Italie de Salvini et di Maio et la France de Macron.
Republica.

Emmanuel Macron et la classe politique française s'offusquent de cette ingérence  italienne mais Emmanuel Macron s'est dit lui-même heureux d'être un adversaire politique d'Orban. En voulant créer un front contre les gouvernements populistes, il a créé lui-même les conditions des attaques des populistes italiens. Il a créé un front populiste. Nous assistons de fait à une européanisation de l'espace politique. Est-ce une mauvaise chose ? Je ne le crois pas. Les élections pour désigner la composition du Parlement européen n'étaient qu'une somme d'élections nationales où les électeurs exprimaient leur soutien ou leur mécontentement face à leurs dirigeants nationaux. Cette fois-ci, en 2019, deux visions de l'Europe vont s'affronter. Ce scrutin européen aura enfin véritablement un enjeu européen. Il est en ce sens inédit et la crise franco-italienne illustre l'apparition de ce nouvel espace politique européen.


TV5MONDE : la tension entre les deux pays peut-elle retomber ?
A. A. :
La France vient de rappeler son ambassadeur. Je vois mal la tension monter davantage mais des crispations vont perdurer. La France est perçue de manière très négative en Italie. Plus de 60% des Italiens considèrent que la France nuit au bien-être des citoyens italiens. La France a développé de beaux discours sur les migrants mais elle a été très habile en faisant sorte de ne pas prendre sa part dans leur prise en charge. Par ailleurs, la France, qui se prétend un pays soucieux de l'intérêt général européen, a surtout privilégié la défense de ses intérets propres notamment dans le secteur industriel. Le gouvernement français, par exemple, s'est un temps opposé au rachat des Chantiers de l'Atlantique de Saint-Nazaire par le constructeur naval italien Fincantierri. L'Italie est à nouveau entrée en recession après deux trimestres négatifs en termes de croissance, et la France est jugée en partie responsable des maux de l'économie  italienne. Di Maio et Salvini capitalisent politiquement sur cette hostilité de l'opinion publique italienne. Cela devrait durer. Salvini a des alliés un peu partout en Europe avec Marine Le Pen, Orban ou Kurz. Di Maio cherche des alliés  politiques. Il s'est un temps allié avec l'UKIP de Nigel Farage au Parlement européen mais, maintenant, les députés britanniques partent. Les "Gilets jaunes", s'ils réussissent à créer un mouvement politique, pourraient devenir des alliés du Mouvement Cinq étoiles. La crise diplomatique entre les deux gouvernements est loin d'être finie.