France : la grève de la faim, une forme de lutte pour la régularisation des sans-papiers

L’histoire de Patricia Hyvernat, une boulangère française qui a choisi de faire une grève de la faim pour demander la régularisation d'un jeune migrant guinéen de 20 ans, fait écho à celles de Stéphane Ravacley, lui aussi boulanger, et d’Éric Durupt enseignant. Ces actions dessinent-elles un nouveau moyen de lutte pour la régularisation des sans-papiers ?
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Migrant guinéen boulangère
Patricia Hyvernat est avec Mamadou Yaya Bah. Stéphane Ravacley, qui avait fait une grève de la faim en 2020 pour faire régulariser son jeune employé guinéen, leur rend visite. La-Chapelle-du-Châtelard, France, février 2021
Page Facebook de Patricia Hyvernat
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A La Chapelle-du-Châtelard, village de près de 400 habitants dans le département de l’Ain, le vent de l’espoir souffle de nouveau. Patricia Hyvernat et Mamadou Yaya Bah ont eu rendez-vous ce 3 mars à la préfecture. Yaya a obtenu son récépissé de demande de carte de séjour, ce qui lui donne droit de travailler pour une durée de six mois. Il a dans la foulée signé son contrat d'apprentissage avec Patricia Hyvernat. Ce récépissé, Patricia l'espérait fortement. La boulangère avait arrêté sa grève de la faim dès la confirmation du rendez-vous pour son apprenti guinéen. La patronne quinquagénaire se remet difficilement de ces deux semaines de diète volontaire. Elle a perdu près de dix kilos, mais ne regrette pas son action "mûrement réfléchie".

"Cela faisait près d’un an que j’y pensais, confie Patricia Hyvernat. Plusieurs fois, j’ai eu envie de faire quelque chose en sortant de la préfecture, mais par respect pour Yaya, qui ne voulait pas se faire remarquer, je me suis abstenue. Mais à un moment donné, si on veut que les choses avancent, il faut se montrer et en parler : il ne se passait rien alors que le dossier de Yaya est complet et parfait pour obtenir un titre de séjour et le droit de travailler".

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L’action de Patricia Hyvernat rejoint celle de Stéphane Ravacley, également boulanger, qui avait fait une grève de la faim d’une dizaine de jours au début de l’année 2020 à Besançon pour protester contre l'expulsion de son apprenti guinéen Laye Fodé Traoré. Début février 2021, dans le département du Doubs aussi, c’est un enseignant, Éric Durupt, qui a opté pour la grève de la faim afin d’empêcher l’expulsion de Madama Diawara, jeune Malien qu’il accueille dans sa famille depuis deux ans.
 

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Le monde patronal, en butte à l’administration, voit que les politiques publiques sont de plus en plus dures avec les sans-papiers, et décide d’opter pour cette forme de lutte.

Johanna Siméant, professeure de science politique

"La grève de la faim, un moyen pour se faire entendre très vite"


Pour Johanna Siméant, professeure de science politique et directrice du département de sciences sociales de l'Ecole normale supérieure à Paris, ces actes peuvent s’observer sous l’angle d’une "tradition chrétienne de jeûne et de solidarité". L’autrice de l’ouvrage «La cause des sans-papiers» (éditions Presses De Sciences Po), rappelle l’exemple de Christian Delorme. Ce prêtre avait mené, dans les années 1980, une grève de la faim pour faire arrêter les expulsions du territoire français de jeunes de familles immigrées. En 2012, ce sont les sans-papiers eux-mêmes qui avaient décidé de faire une grève de la faim pour être régularisés, à Lille. Aujourd’hui, ce sont des employeurs qui décident de porter le combat. "Le monde patronal, en butte à l’administration, voit que les politiques publiques sont de plus en plus dures avec les sans-papiers, et décide d’opter pour cette forme de lutte", analyse Johanna Siméant.

Même s’il y a eu également une pétition qui a recueilli près de 13 000 signatures en faveur de la régularisation de Yaya, pour Patricia Hyvernat, la grève de la faim a eu le mérite de médiatiser son combat. Cela lui a permis aussi de rencontrer le député de la circonscription, Stéphane Trompille (LREM), et de faire accélérer le dossier.
"Quand les courriers ne marchent pas, la grève de la faim peut être un moyen impressionnant pour se faire entendre très vite, confirme Johanna Siméant. Pour le cas de ces patrons solidaires de leurs employés, c’est aussi une question économique qui se joue parce qu’ils ont trouvé la bonne personne pour leur activité et s’en séparer peut être très dur économiquement et humainement".

"Je suis toujours sous le choc"


Dans le cas de Patricia et Yaya la relation a largement dépassé le cadre employeur-employé. Le jeune Guinéen,  arrivé en France à 16 ans après un périple qui l’a vu traverser le Mali, la Libye et l’Italie, n’en revient toujours pas de l’action de sa patronne. "Je suis toujours sous le choc, avoue Mamadou Yaya Bah. Moi, je suis resté deux jours sans manger et j’avais énormément souffert. Quand je vois Patricia faire une grève de la faim pendant 15 jours, oui ça me choque. D’ailleurs dès qu’elle l’a entamée, je ne dormais plus, et j’avais perdu l’appétit. Je dois toute ma vie à Patricia, car elle a risqué la sienne pour moi. C’est la plus grande preuve d’amour que je pouvais recevoir. Je ne sais pas comment la remercier, elle et sa famille. "Ma famille’" même, puisqu’il y a une procédure d’adoption en cours pour que j’en devienne membre".
 

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En attendant, le natif de la Basse-Guinée, discret au début de l’action menée par Patricia Hyvernat, a décidé de s’engager aussi dans la lutte pour les sans-papiers. Il vient de fonder avec deux amis le collectif Jeunes migrants qui regroupe des sans-papiers de diverses origines pour "les aider dans leurs droits, les démarches administratives, la régularisation de leurs papiers". "Quand tu arrives en France en tant que mineur, tu es pris en charge, mis dans de bonnes conditions d’études ou d’apprentissage, mais dès que tu es majeur, tu risques d’être expulsé. Beaucoup de jeunes migrants sont dans ce cas, et c’est de cela qu’on veut discuter avec la préfecture", explique Yaya.
Les échanges avec les autorités administratives sont au beau fixe, assure Yaya confiant. Mais si des expulsions et des refus de régularisations sont notifiés, faudra-t-il en arriver à la grève de la faim pour se faire entendre ? "Je le ferais sans hésiter, affirme le Guinéen. Parmi ces jeunes migrants, il y en a qui ont été dans la même situation que moi et ont dû fuir leur pays. S’il faut faire une grève de la faim, je suis prêt".