Après l'émotion suscitée par les attentats de janvier dernier à Paris, le gouvernement vient de lancer une réforme de l'islam autour d'une "instance de dialogue". Une initiative censée mieux représenter les musulmans dans leur diversité, et qui inclut la formation des imams, l'abattage rituel ou la sécurité des lieux de culte. Décryptage avec Rachid Benzine, islamologue.
Cette "instance de dialogue" devrait être mise en place d'ici l'été prochain selon Stéphane Le Foll, le porte-parole du gouvernement. En quoi consiste-t-elle ?
Le but est d'"engager une large consultation avec les acteurs de l'islam". L'instance devra se saisir de questions telles que la formation civile des imams, l'abattage rituel ou la sécurité des lieux de culte par exemple, "dans le respect rigoureux des principes de la laïcité", a déclaré le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, en insistant sur "la compatibilité de l'islam et de la République".
L'idée est de donner aux pouvoirs publics des interlocuteurs plus divers que le Conseil français du culte musulman (CFCM), créé en 2003 et largement critiqué pour son manque de représentativité d'une communauté musulmane forte de 4 à 5 millions de personnes. Le CFCM ne cessera pas d'exister, mais "à lui de prendre toute sa place dans cette dynamique", assure-t-on place Beauvau.
Au CFCM, on affirme ne pas voir une remise en cause dans cette décision. "Le CFCM représentera la majorité de la nouvelle instance et il gardera un rôle pivot", a dit à l'AFP l'un de ses vice-présidents, Anouar Kbibech.
Des consultations vont à présent être menées pour identifier les interlocuteurs potentiels: associations, intellectuels, personnalités...
Au ministère, on réfute toute idée de reprise en main. La réforme s'inscrira dans le cadre de la loi de 1905 et l'Etat "n'a pas vocation à organiser le culte de l'intérieur ni de déterminer qui sont les gentils musulmans", indique une source proche du dossier.
Cela montre qu'il y a une méconnaissance de la réalité de l'islam en France
Autre mesure très attendue dans un contexte de "grande sensibilité à la radicalisation", la formation des imams et des aumôniers, désormais incités à suivre un diplôme universitaire (DU) de formation civique et civile, qui devrait être proposé dans une douzaine d'établissements d'ici la fin de l'année.
Les aumôniers "ne seront recrutés désormais que s'ils ont obtenu ce diplôme de formation aux principes fondamentaux de la République", a dit M. Cazeneuve
Certains imams "ont une maîtrise insuffisante de la langue et des lois", reconnaît-on place Beauvau. L'idée est de "favoriser l'émergence d'une génération d'imams pleinement insérés dans la République". Nombre des 2.300 mosquées et salles de prières du pays n'ont pas d'imam permanent, laissant prospérer des prédicateurs itinérants voire autoproclamés.
Parmi les autres mesures proposées, la mise en place d'une Fondation de l'islam de France (en tirant les leçons des erreurs de celle créée en 2005 ), le développement de bourses à destination des doctorants et un renforcement du contrôle des établissements scolaires.
Pour Mohamed-Ali Adraoui, politologue et chercheur à l'IEP-Paris, ces annonces sont "une réponse jacobine à une question plus complexe". "On risque de tomber assez rapidement sur un paradoxe: dans un Etat qui se veut laïc et où le gouvernement a le devoir de ne pas interférer dans les affaires religieuses, je ne suis pas certain que l'on soit dans une démarche laïque."
Il n'appartient pas à l'Etat de "régler tous les problèmes de l'islam" mais les musulmans doivent "mieux s'organiser. C'est leur rôle, leur responsabilité", a déclaré sur LCI l'ancien ministre Bruno Le Maire. Et d'ajouter : "L'Etat est là pour veiller à ce que l'on ne dépasse pas certaines limites. S'il y a des imams qui font des prêches radicaux, qui sont étrangers et qui sont en France, il faut les expulser".
Ces mesures "s'inscrivent dans la continuité (...). Le CFCM était une très grande innovation ! Qu'il faille le faire évoluer bien sûr ! Il faut élargir ce conseil et je me réjouis que cela soit fait" a réagi l'ancien ministre de l'Intérieur UMP Brice Hortefeux sur BFM TV.
La réforme était attendue mais le contexte post-attentats, avec ses risques de stigmatisation, a accéléré les travaux. Le mois de janvier s'est soldé par 176 agressions islamophobes, soit plus que pendant toute l'année 2014, selon l'Intérieur. Le Collectif contre l'islamophobie en France a regretté l'absence de "mesures significatives" contre ces violences.
Il est crucial "que la République protège tous ses enfants, et notamment les mosquées de tous les actes antimusulmans", a dit M. Cazeneuve, qui a visité trois mosquées à Bordeaux dans l'après-midi.