Fil d'Ariane
L'enquête en cours devra déterminer un lien éventuel entre le recours au plaquage ventral et le décès de la victime. Selon les premiers résultats de l'autopsie communiqués par le parquet français ce mardi 7 janvier, les médecins légistes ont fait état d'une mort par asphyxie "avec une fracture du larynx", à l'origine du malaise cardiaque qui lui a été fatal. Selon les experts, l'homme souffrait déjà de problêmes cardiaques . Le défenseur des droits, Jacques Toubon, a décidé de saisir l'affaire du livreur mort à Paris ce 9 janvier. Aline Daillère, juriste et chercheuse a travaillé sur la question de l'usage de la force par la police française. Elle revient sur l'usage du plaquage ventral par la police française.
TV5MONDE : Peut-on quantifier l'usage du plaquage ventral ? Cette pratique est-elle en augmentation ?
Aline Daillère: Nous n’avons pas de données chiffrées. Il n’y a pas réellement d’études fiables sur l’usage du plaquage ventral par la police. L'ONG, ACAT ( Action des chrétiens pour l'abolition de la torture), a recensé au moins quatre morts entre 2005 et 2016. Il y en a peut-être plus. Nous n’avons pas là de chiffres fiables. Cette méthode d'interpellation consiste à plaquer et à maintenir un individu ventre contre sol, tête tournée sur le côté. Des moyens de contention comme une clé de bras, un menottage dans le dos ou une immobilisation des chevilles peuvent être ajoutés à cette position imposée à la personne maintenue à terre. Les risques liés à la position du plaquage ventral ont été documentés par le corps médical. Cette technique, fortement contestée, entrave la respiration et peut provoquer une asphyxie. Ce risque augmente à mesure que la pression se renforce sur la cage thoracique. A fortiori, il est d'autant plus grand lorsque cette pression dure un certain temps.
Comment la police française justifie-t-elle cette pratique ?
Les policiers avancent le fait qu’ils n’ont pas d’autres moyens d’immobilisation mais la police elle-même reconnait implicitement que cette pratique peut être dangereuse. Cette technique d’immobilisation est normalement très encadrée et elle a déjà fait l’objet déjà de deux circulaires du ministère de l’Intérieur en 2008 et 2015. Dans une note datant de 2008, l'Inspection générale de la police nationale a ordonné que "l'immobilisation en position ventrale doit être la plus limitée possible". Mais visiblement ces injonctions ne fonctionnent pas. C'est une technique qui est entrée dans l'arsenal répressif policier et est manifestement utilisée en interpellation, malgré sa dangerosité reconnue. Lorsque l'on enseigne ce geste technique d'immobilisation à des policiers, les forme-t-on également aux risques qu'il fait encourir ? Aux signaux qui doivent les alerter ? La question de la proportionnalité du recours à la force n'est peut être par ailleurs pas assez enseignée. A quoi cela sert de continuer à se mettre à trois ou quatres sur une personne alors que l’individu est menotté à terre ?
La Suisse interdit en 2001 le plaquage ventral suite au décès d'un réfugié.
En Suisse, un scandale a éclaté après le décès de Samson Chukwu en 2001, un Nigérian qui s'était vu refuser son droit d'asile. Alors qu'il était conduit à l'aéroport, ce dernier s'est débattu avant d'être plaqué sur le ventre. Il est mort asphyxié. Depuis, cette technique est interdite chez les Helvètes. La Belgique a suivi la Suisse et interdit également l’usage du plaquage ventral par la police en 2005.
Des pays comme la Suisse ou la Belgique ont interdit le plaquage ventral. Pourquoi la France maintient-elle l’usage de cette technique ?
Cette pratique a également été interdite dans des villes aux Etats-unis, notamment à New-York après la mort d’un citoyen en 2014, étoufé par 5 policiers. La France a été plusieurs fois pointée du doigt. En 2007, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) après l’affaire Mohammed Saoud. En novembre 1998, ce Franco-tunisien de 26 ans avait succombé à un plaquage ventral par deux policiers. L’ONU a également condamné cette pratique. Le maintien de cette technique en dit beaucoup sur la culture policière en France. Dans d'autres pays européens, des policiers parviennent à appréhender des individus sans avoir recours à cette technique. Ailleurs ,certaines polices ont également une approche plus préventive que répressive dans leurs rapports avec les citoyens.
Est-ce que le cas de Cédric Chouviat peut faire évoluer la législation française ?
Je crains malheureusement que le décès de Cédric Chouviat n'ai pas d'impact sur l'usage du plaquage. Ce type de pratique d'interpellation, tout comme l'usage de certaines armes telles que les LBD (lanceur de balles de défense) ou les grenades, contribue malheureusement à saper la confiance de la population française envers sa police. Une enquête conduite en 2010 dans 28 pays d'Europe montre que, comparativement à d'autres pays, la police française souffre d'un plus faible taux de confiance. Elle est relativement mal classée en ce qui concerne le traitement respectueux des personnes ou l'impartialité de son action par exemple. Pour de nombreux citoyens, la méfiance l’emporte. Cela pourrait être un argument pour engager une réflexion de fond au sein de l'institution policière.
« L’objectif n’est pas de blesser la personne que l’on interpelle »
Une partie des policiers continue de défendre le maintien de cette technique. Le plaquage ventral constitue le seul moyen fiable pour immobiliser des individus jugés violents, selon Christophe Perrin, policier et responsable syndical. « C’est une technique que nous apprenons avec des moniteurs lors de stages en écoles de police. C'est un geste que nous répétons et que nous travaillons et qui s'il est bien exécuté ne doit pas blesser la personne interpellée. Ce type de plaquage permet d’immobiliser rapidement des gens qu’il est impossible d’appréhender autrement ». Le policier rejette toute forme d'usage excessif de la part des ses collègues. «Notre objectif n’est pas de blesser les personnes que nous interpellons mais les policiers aujourd’hui pour de simples contrôles routiers sont confrontés à des personnes particulièrement violentes».