Couper les cheveux d’un autre prisonnier, travailler sur une chaine de production industrielle ou recycler du mobilier en bois, ces travaux sont aujourd'hui fréquemment réalisés par les détenus des prisons françaises. Dans ces prisons, différents employeurs proposent du travail aux prisonniers dans un cadre légal particulier.
Aujourd’hui en France, le travail est particulièrement sollicité par les personnes détenues. "La demande de travail excède très largement l'offre et les listes d'attente peuvent être particulièrement longues", affirme Prune Missoffe, responsable des plaidoyers de l’Observatoire international des prisons.
"Le fait que le travail en prison soit aussi prisé par les détenus, malgré les conditions difficiles et le faible niveau de protection sociale, rend compte de l’importance des privations et de la pauvreté dans le milieu carcéral", selon la spécialiste. "Le travail constitue avant tout pour les détenus la possibilité d'avoir un peu d'argent pour cantiner, téléphoner à leur famille, indemniser les parties civiles, mais aussi de sortir de la cellule où ils sont parfois enfermés 22h sur 24", explique-t-elle.
En France, les personnes incarcérées n’ont le droit qu’à une heure de "promenade" par jour. Des conditions bien plus strictes qu’en Suède par exemple, où les détenus ont une obligation d’activité d’une durée de 6 à 8 heures par jour.
Aujourd'hui, environ 20 000 détenus, soit à peine 32% sur un total de 70 000 détenus, occupent un emploi. Ils étaient 50% au début des années 2000 selon le ministère du Travail. Cette forte baisse s'explique par le manque d'offres de travail, mais également par l'augmentation du nombre de détenus durant les dernières décennies. Ces conditions de "surpopulation carcérale" accentuent les enjeux de sécurité.
En prison, les partenaires privés peuvent être rebutés par les contraintes de sécurité. Ils ne sont pas aussi impliqués qu’on pourrait le penser malgré le coût de main-d'oeuvre peu élevé.Grâce Favrel, avocate au barreau de Paris
Avocate au barreau de Paris, Grâce Favrel explique le déséquilibre entre le nombre d’emplois proposés en prison et le nombre de demandes des détenus par les contraintes de sécurité imposées sur les chaînes de production. "En prison, les partenaires privés peuvent être rebutés par les contraintes de sécurité. Ils ne sont pas aussi impliqués qu’on pourrait le penser malgré le coût de main-d’œuvre peu élevé".
La rencontre entre le ministre de la Justice, Éric Dupont-Moretti, et des représentants du Medef, ce jeudi 1er septembre avait donc pour objectif de répondre à ce problème.
Depuis la réforme pénitentiaire de décembre 2021, il existe 4 formes de travail proposées aux détenus aujourd’hui.
1. Le service général. Dans ce cadre, des détenus travaillent au bon fonctionnement de la vie quotidienne en prison. Ils sont alors employés par l’administration pénitentiaire elle même. Ils peuvent par exemple participer à la distribution des repas, travailler en cuisine ou encadrer des activités socio-culturelles. "Il n’est pas rare que les bibliothécaires d’une bibliothèque de prison soient des détenus", illustre Prune Missoffe, responsable de plaidoyer de l'Observatoire international des prisons.
2. Le service de l’emploi pénitentiaire (SIEP). Le SIEP propose des ateliers de production gérés par l’administration pénitentiaire. Les détenus sont employés par la prison et peuvent, par exemple, être amenés à produire les uniformes de surveillants pénitentiaires.
3. Des concessions privées. Les "concessions privées", désignent des entreprises privées extérieures à la prison qui emploient des détenus pour produire des biens manufacturés. Les tâches proposées consistent souvent à "plier, assembler ou monter des produits." Des tâches "répétitives" donc, "peu qualifiantes et souvent éloignées du marché de l’emploi actuel", selon la responsable des plaidoyers de l’Observatoire international des prisons.
"Mon travail consiste à mettre des épingles dans des sachets. Un carton de 30 sachets est rémunéré 1 euro 33 . On nous demande d’en remplir 20 par jour", rapporte un détenu interrogé par l'association.
Il existe également des centres d’appels téléphoniques installés en prison, mais ce type d’activité reste à la marge des emplois proposés.
En moyenne, l'Observatoire international des prisons estime que 40% des emplois proposés aux détenus sont des "concessions privés". Contactée par TV5MONDE, l'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle (ATIGIP), chargée de traiter ces questions pour le compte du Ministère de la Justice, n'a pas souhaité confirmer ces chiffres.
4. L’insertion par l’activité économique (IAE). Les IAE sont également des activités de productions manufacturées. Elles diffèrent des concessions par "l'objectif" des acteurs privés impliqués. Les activités proposées dans le cadre des IAE sont "en général plus formatrices", selon Prune Missoffe. Ce modèle de travail, expérimenté à partir de mai 2016 et légalisé en 2018, est "proposé par des acteurs plus attachés à l’accompagnement des prisonniers qu’à la production à visée capitaliste", explique la spécialiste.
Dans le cadre de ces IAE, des acteurs comme Emmaüs par exemple, proposent des ateliers d’ébénisterie en prison. Des projets qualifiés "d’intéressants", par Prune Missoffe mais "souvent utilisés comme vitrine du travail en détention par les pouvoirs publics bien qu’ils ne représentent qu’une part minime du travail en prison".
Depuis le 1er mai 2022, il existe pour les quatres formes d'emplois un "contrat d’emploi prisonnier" ou "contrat d’emploi pénitentiaire", selon Grâce Favrel avocate au barreau de Paris. "Ce contrat est signé entre le détenu, l’administration pénitentiaire et un éventuel donneur d’ordre privé", explique-t-elle.
Dans le cadre de ce type de contrat, "les détenus sont payés entre 20 et 45% du SMIC selon les tâches et les types d’emplois effectués. Les concessionnaires privés sont, pour leur part, tenues de verser un minimum de 45% du SMIC", explique Prune Missoffe.
Cet argent peut être utilisé par les prisonniers pour payer les dédommagements dus aux victimes ou pour acheter des produits et des services optionnels en prison (télé, téléphone, produits cosmétiques, alimentation supplémentaire, vêtements…). Il peut également être économisé ou envoyé aux familles des détenus.
Depuis la réforme pénitentiaire initiée en 2021, le contrat d'emploi prisonnier "se rapproche d’un contrat de travail classique", selon Grâce Favrel. Des acquis sociaux restent toutefois inaccessibles aux travailleurs incarcérés.
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La juriste rappelle ainsi que les prisonniers qui travaillent ne bénéficient pas de congés payés ou du droit de grève. Ils ne bénéficient pas non plus de "l’ensemble des droits collectifs liés au dialogue social et à l’expression collective", ajoute Prune Missoffe. "Les détenus n’ont pas le droit à des représentants du personnel et n'ont pas le droit à l'assistance d'un tiers dans le cadre des entretiens préalables à une rupture de contrat envisagée", déplore-t-elle.
La main d’œuvre en prison reste également plus "flexible" que dans le reste de la société. Les CDD peuvent être renouvelés indéfiniment rappelle Prune Missoffe et la main d’œuvre peut être mobilisée "au pied levé", confirme Grâce Favrel.
Les travailleurs incarcérés bénéficient toutefois d'un système de retraite, de l'assurance chômage et d'une assurance en cas de maladie liée au travail.
Il existe aujourd’hui d’autres formes de travail en prison à travers le monde. Dans certains pays africains par exemple des "fermes pénitentiaires" accueillent des détenus.
"Le modèle de "ferme pénitentiaire" se propage dans plusieurs pays d'afrique", selon Carole Berrih doctorante à l’université de Grenoble et spécialiste de la gouvernance des prisons nigériennes. "Ce modèle de travail en prison fait parti des "bonnes pratiques" qui s'échangent dans le cadre de coopération "Sud-Sud" entre les pays du contient".
Actuellement mises en place au Burkina Faso et au Niger, les "fermes pénitentiaires" désignent des surfaces agricoles cultivées par les détenus aux abords des pénitenciers.
Ce model de travail permet de répondre à une série de défis rencontrés par les prisons dans de nombreux pays d’Afrique.
"Tout d'abord, les détenus, autorisés à sortir de leur cellule durant la journée, souffre moins des conséquences de la surpopulation carcérale", rapporte Carole Berrih. Ces fermes permettent également d'augmenter les stocks de nourriture en prison. Un point essentiel "dans des pays où la population carcérale augmente plus vite que les moyens budgétaires des administrations pénitentiaires". Enfin, elles offrent une réponse aux enjeux de malnutritions dans les établissements en proposant des produits de meilleures qualités.
Au Niger, "les fermes pénitentiaires" ont étés approuvées par l’État dans le cadre d’une politique de réinsertions initiée en 2017 et approuvée en 2019. Mais " il existe toujours des écarts plus ou moins grands entre les politiques voulues et les réalités de terrains", rappelle Carole Berrih.
Au Niger, "il n’existe pas encore de vrai cadre protecteur des détenus qui travaillent dans ces fermes. Ils reçoivent un pécule, plus qu’un véritable salaire et ne disposent pas de protections sociales supplémentaires". "Un Comité de gestion doit être constitué pour organiser ces activités mais il reste beaucoup à faire", résume la spécialiste.