Alors que beaucoup parient désormais sur un désistement du candidat de la droite, la campagne électorale française pourrait connaître un nouveau rebondissement. Un événement totalement impensable il y a encore 10 jours, qui s'ajoute à une série d'autres, tout aussi imprévisibles. Récit de plusieurs mois de surprises.
Le candidat François Fillon s'accroche. En dépit d'une succession de révélations sur des emplois présumés fictifs de son épouse - comme attachée parlementaire et auteure/conseillère pour le journal
La Revue des Deux Mondes-, l'ancien Premier ministre dit ne pas envisager de renoncer. Il dénonce même un vaste complot orchestré par le gouvernement actuel, "
un coup d'Etat institutionnel venu de la gauche", ajoute-t-il, oubliant qu'il n'est pas (encore ?) élu. Le député Eric Ciotti va même jusqu'à accuser nommément le secrétaire général de la présidence de la république, Jean-Pierre Jouyet, sans apporter aucune preuve à ses accusations.
Pourtant, des élus du parti Les Républicains préparent, eux, un "plan B", la recherche d'un candidat du substitution en cas de renoncement de François Fillon. Un député organise actuellement une tribune à publier dans la presse pour demander au perdant de la primaire, Alain Juppé, de se tenir prêt. Le maire de Bordeaux, lui, affirme qu'il exclut d'incarner ce fameux "plan B".
Un remplaçant pour Fillon ?
La presse cite aussi régulièrement les noms de candidats plus "jeunes" pour contrer plus efficacement Benoit Hamon (49 ans) et Emmanuel Macron (39 ans). Les options François Baroin, 51 ans, ancien ministre de l'Economie, ou Laurent Wauquiez, 41 ans, sont régulièrement évoquées depuis le début de la semaine. Ces hypothèses sont soutenues par la création, il y a quelques jours, des noms de domaine -des adresses de sites internet- "baroin2017.fr" ou "wauquiez2017.fr". Des dépôts qui n'émanent pas forcément des intéressés eux-mêmes. Des sociétés ou des individus pourraient avoir créé ces adresses dans l'objectif de les revendre en cas de candidature avérée.
Mercredi 1er février, François Fillon demandait aux parlementaires Les Républicains de «
tenir encore quinze jours », le temps, selon lui, que l'enquête en cours puisse finalement le disculper. Mais ces quinze jours risquent de paraître bien longs.
Il y a 10 jours pourtant, le candidat de la droite était vu comme le grandissime favori de l'élection présidentielle française. Sa victoire était donnée comme acquise par les instituts de sondage, qui ne pouvaient évidemment pas anticiper de telles révélations sur un impétrant vu jusqu'alors, en France, comme l'un des politiques les plus vertueux.
L'entrée en lice de Macron
Mais les sondages n'avaient pas non plus prévu d'autres surprises. Le premier rebondissement de cette campagne présidentielle remonte au 30 août 2016. Ce jour-là, le ministre de l'économie Emmanuel Macron démissionne. L'homme était un proche du président François Hollande. Son départ, qui laisse alors présager une candidature à la présidentielle, est vécue à gauche comme une trahison. L'ancien banquier d'affaires confirme son entrée dans la course à l'Elysée le 16 novembre.
Jusqu'à cette date, la candidature de l'actuel président de la République semblait naturelle. Jamais un chef de l'Etat de la Ve République n'avait renoncé à briguer un second mandat, et le Parti socialiste avait mis sur pied une primaire taillée sur mesure pour François Hollande. L'arrivée dans la compétition d'Emmannuel Macron, sans passer par la primaire socialiste, déstabilise la volonté du Président.
Le renoncement de Hollande
Le 1er décembre, dans une allocution télévisée solennelle, il révèle sa décision : « J'ai décidé de ne pas être candidat à l'élection présidentielle ». Son discours-bilan de dix minutes, dans sa première partie, pouvait pourtant laisser croire à l'annonce d'une candidature. La surprise est totale, le Président n'avait prévenu presque personne dans son entourage le plus proche.
A droite, le premier rebondissement s'est produit quelques semaines plus tôt. Longtemps surnommé "mister Nobody", François Fillon élimine deux poids lourds de la politique française. Jusqu'au premier tour de la primaire, sa campagne reste largement dans l'ombre du duo Sarkozy-Juppé. L'un est ancien président de la République. Il cherche à prendre sa revanche après son élimination en 2012. L'autre est un ancien Premier ministre, qui entrevoit enfin la possibilité de monter sur le devant de la scène politique française.
L'élimination de Sarkozy, puis de Juppé
Surprise majeure : le soir du dimanche 20 novembre, les résultats révèlent que Nicolas Sarkozy ne participera même pas au second tour. La presse souligne alors "l'humiliation", "le grand naufrage" que vit l'ancien Président. Une semaine plus tard, c'est celui que les derniers sondages donnaient comme favori qui sort de piste : Alain Juppé n'obtient que 33,5% des suffrages contre un spectaculaire 66,5% pour François Fillon.
A gauche, avec le renoncement de François Hollande, les analystes, la presse - et surtout l'intéressé lui-même - imaginent Manuel Valls être le candidat tout désigné du Parti socialiste. Celui qui est Premier ministre depuis deux ans et demi annonce sa candidature à la primaire le 5 décembre 2016. "
J’ai cette force en moi, cette volonté de servir mon pays, c’est au-delà des mots, c’est une conviction totale, je veux tout donner pour la France qui m’a tant donné", lance Manuel Valls lors de son discours à Evry, ville dont il a été maire plus de onze ans.
Le rejet de Valls
Sa victoire n'est pas acquise mais, là-encore, jusqu'au dernier jour, les enquêtes d'opinion donnent une large avance dès le premier tour à Manuel Valls. Or, le soir du 22 janvier 2017, c'est Benoît Hamon qui remporte la majorité des voix : 36% contre 31,5%. Un autre candidat, Arnaud Montebourg, ancien ministre démissionnaire de François Hollande (17,5% au premier tour) apporte son soutien à Benoît Hamon. L'ancien Premier ministre comprend alors qu'il ne sera sans doute pas le candidat de "La Belle Alliance Populaire".
La victoire d'Hamon
Le second tour confirme un profond rejet de la part des militants socialistes, il n'obtient que 41,3% des voix. Manuel Valls se retire : "
Il m'appartient de prendre le recul nécessaire, (...) de me réinventer. Je me dois aussi d'apporter davantage attention aux miens, à Anne, à mes enfants, à mes amis. Car depuis plusieurs années, les responsabilités ont fait que, forcément, je me suis trop éloigné."Conséquence, là encore inattendue, de ces nombreux rebondissements : le décollage d'Emmanuel Macron. L'ancien ministre profite des surprises dans les deux camps : la déception des électeurs de la droite modérée, provoquée par l'affaire Fillon, pourrait les pousser dans les bras d'un candidat "centriste-libéral" ; le virage à gauche du Parti socialiste, après la victoire de Benoît Hamon et l'élimination de Manuel Valls, dirige les sociaux-démocrates naturellement vers celui qui se présente malgré tout comme "
de gauche". Un sondage d'opinion récent donnait à Emmanuel Macron la deuxième place lors du premier tour de la présidentielle.
De nouveaux adeptes pour Le Pen
Reste que, une fois encore, les sondages ne sont pas à l'abri d'une énième erreur. Et que la véritable gagnante est une femme : Marine Le Pen. L'attirance d'une large partie des Français pour la candidate du parti d'extrême-droite, le Front National, ne se dément pas. Les accusations portées contre François Fillon, qui alimentent la défiance à l'égard des élus des partis traditionnels, ne peuvent que lui apporter de nouveaux adeptes.
Ces électeurs ignorent peut-être que Marine Le Pen elle-même est mise en cause dans une affaire d'emplois fictifs de collaborateurs parlementaires. Le Parlement européen lui réclame le remboursement de 298 400 euros.
La candidate refusant de payer, Bruxelles va mettre en place des saisies sur sa rémunération de député.