France : "Les BRAV-M sont une création politique, elles ne doivent pas être tenues comme seules responsables"

Alors que le Conseil de l’Europe s’alarme d’un « usage excessif de la force » envers les manifestants contre la réforme des retraites en France, des députés élèvent leurs voix pour demander la dissolution des BRAV-M, les Brigades de répression des actions violentes motorisées. Quelles sont les particularités de cette unité de police, régulièrement pointée du doigt depuis sa création ? 

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brav m
L'unité policière des BRAV-M lors de la mobilisation dite des "gilets jaunes" en 2019. Les agents de cette unité sont actuellement sous le feu des critiques, après notamment la sortie d'un document audio que se sont procurés le journal Le Monde et Loopsider, dans lequel des agents menacent et intimident de jeunes interpellés lors d'une manifestation contre la réforme des retraites, le 20 mars 2023. 
AP Photo/Kamil Zihnioglu
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Vêtus en noir, chevauchant en binôme leurs motos vrombissantes et se déplaçant en groupes de plusieurs équipages, on les reconnaît de loin, dans les rues de Paris. Les BRAV-M, cette unité de police légère, n'a pas spécialement bonne réputation dans les rangs des manifestants contre la réforme des retraites. 

Ils lui reprochent un usage excessif de la force - à l'instar de la Commissaire aux droits humains du Conseil de l’Europe -, dirigée vers des personnes déjà maîtrisées ou ne présentant pas de menace. 

Au moins deux policiers de cette unité seraient actuellement sous le coup d'une enquête judiciaire. 

L'un a notamment été filmé en train d'asséner un coup de poing au visage d'un homme à terre, lors d’une manifestation contre la réforme des retraites. Quelles sont les particularités et les missions de cette unité ? 

Une unité de choc légère et autonome 

Créées en 2019, les BRAV-M, les Brigades de répression des actions violentes motorisées, se composent de 6 sections de 18 opérateurs et autant de motards, soit 92 équipages, à Paris. Circulant à moto, l’un de leurs objectifs est d’atteindre en quelques minutes un point A à un point B, même s’il s’agit de rouler à contre sens ou d’emprunter les trottoirs. 

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Les agents de la BRAV-M sont issus en majorité d'une unité permanente, dite "24 BRAV-M », d'effectifs de la Division régionale motocycliste (DRM) et des compagnies d'intervention (CI) de la Préfecture de Police de Paris, selon l'AFP. 

L’idée était de compléter les dispositifs existants, avec des unités de choc capable d’interpeller et de faire peur

Sebastian Roché, sociologue, chercheur en sciences politiques au CNRS et auteur de l’ouvrage « De la police en démocratie »

  • Les héritiers des voltigeurs ? 

Légères et mobiles, les BRAV-M ont le même principe de base que celui des voltigeurs, créés en 1969 et dont l’unité avait été dissoute en 1986, après la mort de Malik Oussekine. L'étudiant de 22 ans avait été matraqué à mort lors d'une manifestation étudiante à Paris dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986. Trois policiers à moto sont alors mis en cause.

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« Les unités de peloton voltigeurs, lorsqu’elles ont été créées après mai 1968, ont été pensées dans l’idée que les forces engagées en mai 1968 n’étaient pas assez mobiles. L’idée était de compléter les dispositifs existants, avec des unités de choc capable d’interpeller et de faire peur », explique Sebastian Roché, sociologue, chercheur en sciences politiques au CNRS et auteur de l’ouvrage « De la police en démocratie ». 

L’équipement des voltigeurs était sensiblement le même que celui des BRAV-M, à quelques aménagements près. 

 « Ces unités étaient équipées de bâtons longs, appelés des « bidules ». Plus ils étaient longs, plus il y avait de levier et donc d’énergie au moment de l’impact. Ces bâtons ont été raccourcis et sont devenus les tonfas, une décision prise par les pouvoirs publics », continue Sebastian Roché. 

A l’époque, les voltigeurs étaient autorisés à frapper en roulant. Ce n’est pas le cas des BRAV-M aujourd’hui. 

« C’est comme le bâton, il ne s’agit que d’un petit aménagement technique du concept », nuance Sebastian Roché sur ce point. 

Depuis des décennies, la tentation de disposer d’agents de la police pouvant intervenir rapidement en cas de troubles perdure, selon le chercheur en sciences sociales. 

« Si vous regardez l’instruction de la gendarmerie de 1930, vous voyez que se pose déjà la question d’unités plus légères et plus mobiles. Vous avez donc en permanence une tentation d’engager ce type d’unité.»

Les BRAV-M ont été créées sous la présidence d’Emmanuel Macron, « après le saccage d'une partie des Champs-Élysées et notamment le pillage et l'incendie de la célèbre brasserie Le Fouquet's », indique l'AFP. 

« L'idée était de pouvoir intervenir vite, là où les grosses compagnies ne passent pas ou sont trop lourdes avec leurs kilos de matériel », expliquait le commandant de police Patrick L. toujours à l'AFP. 

Elles disposent d’une très grande autonomie, car la condition qui leur permet d’être efficace est le choix de leurs cibles.

Sebastian Roché, sociologue, chercheur en sciences politiques au CNRS et auteur de l’ouvrage « De la police en démocratie »

  • Une unité d'une grande autonomie

Les BRAV-M ont la particularité d’être une unité de police n’étant pas intégrée au commandement sur le terrain.

« Elles disposent d’une très grande autonomie, car la condition qui leur permet d’être efficace est le choix de leurs cibles, de qui elles peuvent interpeller, de qui elles veulent neutraliser. Si les BRAV-M devaient attendre la validation d’une instruction, cela les empêcherait d’être efficaces », explique le sociologue spécialiste de l'institution policière. 

C’est bien tout le dilemme de cette unité de police à moto. 

« Si nous les placions sous l’autorité directe des unités terrestres et de gendarmerie mobile, ce que la préfecture ne fait pas, il y aurait une intégration des différentes composantes du maintien de l’ordre qui serait meilleure et donc moins risquée pour le public », avance Sebastian Roché. 

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Une unité polémique chargée de la dispersion et de l'interpellation

À l’image des voltigeurs, les Brigades de répression des actions violentes motorisées souffrent souvent d’une image de « cowboys » urbains, d’autant plus entachée par les événement récents. Dans la nuit du lundi 20 mars, des policiers de la BRAV-M, authentifiés par le journal Le Monde, menacent et agressent un jeune homme, arrêté avec plusieurs manifestants, dans le 3e arrondissement de Paris. La scène est enregistrée discrètement par l’un des membres du groupe d’interpellés et révélée par Le Monde et Loopsider. 

 Quand vous sélectionnez des gens sur la base de leur volonté d’aller à l’affrontement physique, vous n’allez pas sélectionner des enfants de choeur.

Sebastian Roché, sociologue, chercheur en sciences politiques au CNRS et auteur de l’ouvrage « De la police en démocratie »

  • Une "volonté d'aller à l'affrontement" 

Au premier regard, les agents de la BRAV-M, vêtus de noir, en casques intégraux, impressionnent et contrastent dans leur uniforme avec certains de leurs collègues. À dessein. 

« Ce sont des unités faites pour impressionner. Si vous reprenez les textes, elles ont deux missions, l’interpellation et la dispersion. La dispersion signifie chasser des personnes de quelque part. Le fait d’être intimidant, par la tenue et les propos, les menaces, fait partie de leur modèle professionnel », détaille Sebastian Roché. 

Les BRAV-M peuvent être sélectionnés à la sortie de l’école, recrutés sur la base du volontariat ou repérés pour leur capacité en maintien de l’ordre, selon l’AFP. Ils reçoivent par ailleurs une formation initiale et continue.

« Quand vous sélectionnez des gens sur la base de leur volonté d’aller à l’affrontement physique, vous n’allez pas sélectionner des enfants de choeur », ajoute le chercheur en sciences sociales. 

Sur une moto de la BRAV-M se trouvent deux agents :  un pilote et un « BRAV piéton » ou « opérateur ».

« De plus en plus, ces « BRAV piétons » sont des membres des BAC, la Brigade anti-criminalité. Ce sont des gens qui ne sont pas habitués à faire respecter l’ordre, mais à chasser des criminels. Vous lâchez donc des chasseurs sur des gens qui pratiquent leurs droits civiques, en contestant une décision du gouvernement. Ces chasseurs attrapent tout ce qui leur passe par la main », affirme le sociologue. 

Il est littéralement impossible de surveiller ce qu’ils font.

Sebastian Roché, sociologue, chercheur en sciences politiques au CNRS et auteur de l’ouvrage « De la police en démocratie »

  • Une "impossible" surveillance ? 

L’extrême mobilité de l’unité, se déplaçant à moto, exacerberait la grande autonomie des agents, rendant impossible leur surveillance, bien qu’ils soient tous équipés d’une caméra piéton à déclenchement individuel. 

«Il est littéralement impossible de surveiller ce qu’ils font. Ces unités échappent au contrôle externe, mais également au contrôle hiérarchique. Elles se contrôlent elles-même et lorsque l’on se contrôle soi-même, on se contrôle moins. Dans la police, ces unités-là sont encore plus difficile à contrôler que les autres. C’est logique que les points de problème les plus manifestes viennent des unités les plus incontrôlables », déclare Sebastian Roché. 

  • Des sanctions rares ?

Les policiers seraient aussi rarement sanctionnés. Cela s’explique d’abord, selon le sociologue, par la « réticence » des juges à les condamner, en tant qu’« agents d’Etats » remplissant une « mission d’État ». 

« Les juges font partie de l’État, et l’État lui-même contient à la fois les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. C’est un point qui s’avère compliqué y compris pour d’autres démocraties avancées.»  

D’autre part, les policiers, de plus en plus syndiqués, négocieraient « plus » de clauses, de droits spéciaux, et notamment de « protections contre les poursuites pénales qu’ils pourraient encourir », avec les gouvernements. 

« Plus les policiers sont syndiqués (…), plus ils abusent de leurs droits, plus ils sont violents, moins ils se limitent dans leurs actions. Nous le savons par l’étude des polices locales aux États-Unis, » détaille l’auteur de « De la police en démocratie ».

Par ailleurs, il n’existe pas en France de « sanction prévue en cas d’atteinte par la police aux droits des citoyens », explique Sebastian Roché.

Le journal Libération a saisi plusieurs années de suite la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada), pour obtenir de la part du ministère de l’Intérieur le détail des sanctions prononcées dans la police. À la lumière de ces chiffres pour l’année 2021, il apparaît notamment selon le journal que « les sanctions pour violences demeurent exceptionnelles ». 


Les BRAV-M sont une création politique et les policiers sont des travailleurs comme les autres. Ils ne doivent pas être tenus comme seuls responsables

Sebastian Roché, sociologue, chercheur en sciences politiques au CNRS et auteur de l’ouvrage « De la police en démocratie »

La police française, particulièrement offensive ?

Une section de la BRAV-M se compose entre autre d’un porteur de LBD, un lanceur de balles de défense. Une arme « non létale » mais mutilante. Elle est la cause de plusieurs éborgnés lors de manifestations.

  • Une création politique

« Les unités BRAV-M ne sont pas un type d’unité connu chez nos voisins britanniques ou allemands. Nous avons donc à la fois des types d’unités plus agressives, avec des armes plus vulnérantes ».

Toutefois, le sociologue pointe surtout la responsabilité  du gouvernement dans la création et la gestion d’une telle unité, plus que celle des agents de la BRAV-M eux-mêmes. 

« C’est un peu facile de faire porter le chapeau aux BRAV-M, comme s’ils s’étaient inventés. Les BRAV-M sont une création politique et les policiers sont des travailleurs comme les autres. Ils ne doivent pas être tenus comme seuls responsables ».

 « La France est un système de politique centralisée et un système policier centralisé. Le président de la République a évidemment sa part de responsabilité », conclut Sebastian Roché. 

(Re)voir : Violences policières en France : comment les expliquer ?
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