Fil d'Ariane
C’est un passé qui ne passe pas, surtout lorsqu’il vient du doyen de l’Assemblée nationale. José Gonzalez, élu du Rassemblement National pied-noir, a présidé la première séance de l’hémicycle en se présentant comme un « enfant arraché à sa terre natale ». Son intervention teintée d'une nostalgie de l'époque coloniale française en Algérie a provoqué l'indignation.
Au perchoir, José Gonzalez, député des Bouches-du-Rhône et doyen de l’Assemblée nationale (79 ans), congratule les nouveaux élus. S'ensuit un éloge de l’histoire de France et deses institutions. Éloge d’une France hexagonale et « d’une France d’ailleurs ». Devant les 577 députés présents dans l’hémicycle, le pied-noir se décrit comme un enfant « arraché à sa terre natale » algérienne où il a « laissé là-bas une partie de [ma] France et beaucoup d’amis. »
« Je suis un homme qui a vu son âme à jamais meurtri. » poursuit le député. Pris d’émotion, il marque alors une pause. « Excusez-moi, je pense à mes amis que j’ai laissé là-bas. » lâche-t-il, la voix chevrotante. Une bonne partie de l’Assemblée l’applaudit. « Je suis un homme à jamais meurtri par le sentiment d'abandon et les périodes de déchirement. » abonde-t-il. Entre 1961 et 1962, plus de 800 000 citoyens français quittent l’Algérie qui devient indépendante.
"Je suis un homme à jamais meurtri par le sentiment d'abandon et les périodes de déchirement"
— BFMTV (@BFMTV) June 28, 2022
L'émotion du doyen des députés José Gonzalez lors de son discours à l'Assemblée nationale pic.twitter.com/WyUiA2YqlE
« Depuis la fin de la guerre d’Algérie, rien n’a été déconstruit »
La mémoire de la guerre reste source de divisions. Sans surprise, la cheffe de file des députés Rassemblement national à l’Assemblée nationale Marine Le Pen n’a rien eu à redire concernant l’allocution de son collègue et a nié tout dérapage.« C’était un discours très digne, très républicain, qui a été salué quasi-unaniment par des applaudissements nourris. » a-t-elle même fait remarquer.
La gauche, représentée par la NUPES, s’est, elle, offusqué d'une séance inaugurale qui marque un « jour de honte » , selon les propos de Sabrina Sebaihi, députée de la 4ème circonscription des Hauts-de-Seine. « J'ai déjà la nausée. » a déclaré Aurélie Trouvé, députée de la 9eme circonscription de Seine-Saint-Denis.
Après une telle banalisation où ira t-on ? Le doyen de séance RN, nostalgique des assassins de l’OAS, évoque sans honte et larmoyant le souvenir de l’Algérie Française sous les applaudissements. Une insulte à notre histoire et à nos parents. Jour de HONTE. pic.twitter.com/4C5tCahFjP
— Sabrina Sebaihi (@SabrinaSebaihi) June 28, 2022
Si la réhabilitation du passé colonial de la France en Algérie est un des étendards de l’extrême-droite en France, les applaudissements nourris des députés des autres partis témoignent toutefois, a minima, d’une approbation du discours de l’élu du RN.
« C’est choquant et paradoxal parce que des progrès ont été faits ces dernières années sur l'histoire coloniale de la France et sur l'histoire de la guerre d'Algérie. déplore Pierre Mansat, coauteur du livre « Les disparus de la guerre d’Algérie » et président de l’association Josette et Pierre Audin (militant anti-colonial assassiné par l'armée française en Algérie en 1957). Cela montre un écart entre un monde politique perméable à des thèses que l’on l'on croit dépassées et une société dans laquelle il y a une avancée de la compréhension de l'histoire coloniale de la France. »
Avant de revenir sur son histoire personnelle, José Gonzalez avait par ailleurs salué la mémoire d’Edouard Frédéric-Dupont, un ancien député proche de l’extrême droite et partisan de l’Algérie française.
«Depuis la fin de la guerre d’Algérie, rien n’a été clairement déconstruit par les autorités, affirme Gilles Manceron, historien spécialiste du colonialisme français et membre du CVUH (Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire). La colonisation était perçue à l'époque par les autorités républicaines comme une application des « droits de l’Homme » et de « l’égalité » précise Gilles Manceron.
José Gonzalez n'a pas limité ses propos à l’hémicycle. Dans la salle des quatre colonnes, où les journalistes questionnent les députés aux sorties de séance, il affirme devant les micros n’être ni au courant des crimes de l’armée française en Algérie, ni être là « pour juger si l’OAS à juger des crimes ». « C'est du révisionnisme absolu. » s'offusque Pierre Mansat.
En 1962, le départ des 800 000 Français met fin à une présence coloniale française longue de 132 ans en Algérie. Jacques Pradel, président de l’association des pieds noirs progressistes et leurs amis a fait partie de ces exilés. « Comme Monsieur Gonzalez, j'étais au lycée à Oran pendant les deux dernières années de présence française. raconte le pied noir désormais établi à Marseille. J'ai encore un souvenir glacé de ce que j'ai vu, des cadavres par terre, des lynchages de rue. L'OAS avait mis la ville à feu et à sang à cette période. »
Selon des estimations d'historiens, l'OAS, qui regroupait environ un millier d'activistes, a tué au moins 2 200 personnes en Algérie. « Comment cet homme peut prétendre qu'il ne connaît pas l’OAS ? Il était à Oran précisément quand l'organisation s'est déchainé. C'est du négationniste le plus évident. » s’indigne le président d’association.
Quelle place alors pour le récit personnel, lorsqu'il s'inscrit dans une histoire commune et violente ? La question se pose, alors que des crimes continuent encore aujourd'hui à être identifiés dans des rapports d'historiens.
« Ce qu'il a formulé ne peut pas être différencié de son parcours politique » maintient Pierre Mansat. « José Gonzalez est un militant du Rassemblement National et de la mémoire de l’Algérie Française de longue date. Il faut être naïf ou complaisant pour dire qu'il s'agissait seulement d'une émotion personnelle, bien qu’on puisse la comprendre. Cependant, il n’était pas là comme expression d’une douleur. Il était là comme élu de l’extrême droite et porteur de cette nostalgie. »
Au-delà d’afficher son regret d’une époque révolue, l’intervention du député manque surtout d’apporter des éléments historiques selon Gilles Manceron. « Lorsque M.Gonzalez dit qu’il est arraché, c’est surtout par l'entêtement des jusqu’au-boutistes, notamment de l'OAS et des généraux (NDLR : responsables de la tentative de coup d’État) qui refusaient la politique de la France, soulève l’historien. L'émotion de ce monsieur est ce qu'elle est, elle est personnelle. Le problème c’est qu’il ne pointe pas les responsabilités. »
Les tentatives du Rassemblement National de mettre à l'honneur l'oeuvre coloniale française en Algérie persistent encore aujourd'hui. La semaine dernière, dans la ville de Perpignan, le maire RN Louis Alliot organisait la commémoration de l'exode des Français d'Algérie en 1962 pour « rendre hommage aux rapatriés » et « rétablir l’histoire ». Parmi les temps forts, un square au nom de Mourad Kaouah, député de 1958 à 1962, arrivé à Perpignan en 1962, et proche de Jean-Marie Le Pen a été inauguré.
La forte présence d’élus d'extrême droite depuis les élections législatives apporte son lot d’inquiétudes pour les historiens travaillant sur la mémoire algérienne de la guerre. « On est dans une évolution importante qui appellerait pour qu'elle avance, à continuer à ouvrir les archives notamment, s’inquiète Pierre Mansat. Ces ouvertures répondent cependant à des décisions législatives et le poids de l’extrême droite peut être un obstacle. » En mai dernier, l'historienne Raphaëlle Branche a révélé, après consultation d’archives, l’utilisation du napalm par l’armée française pendant la guerre d’Algérie.