« On meurt d'abord de la violence »
Entretien avec Christophe Louis, président du collectif Les Morts dans la Rue.
Dans
une étude inédite publiée début octobre sur les « personnes sans chez soi et anciennement sans chez soi » décédées en 2012, et complétée par un rapport
« Point sur le premier semestre 2013 », le collectif Les Morts dans la Rue a dénombré 465 décès de personnes vivant dans la rue ou hébergées (dans un centre d'hébergement d'urgence, dans un squat ou chez un tiers), et 365 depuis janvier 2013. Sans surprise, plus de 91% des décès sont des hommes, le sexe masculin étant surreprésenté parmi les sans-abris. Dans la rue, les personnes meurent prématurément. L’âge moyen du décès est de 55,1 ans en Île-de-France et de 47,4 ans en province alors que l'espérance de vie en France pour les hommes est de 78,5 ans. Les détails de l'étude avec le président du collectif, Christophe Louis.
Avez-vous été surpris par le nombre de décès dans la rue que vous avez recensés en 2012 et 2013 ? Non pas vraiment. Depuis quelques années, on dénombre entre 350 et 400 décès par an. Toutefois, si on regarde sur dix ans, on note une augmentation. De 125 décès par an au début des années 2000, on est passé à près de 200, pour monter jusqu'à plus 400 décès annuels. Cela n'est pas nécessairement dû à une hausse globale du nombre de sans domicile fixe. Notre démarche étant de mieux en mieux médiatisée et connue, on a une meilleure remontée des informations, notamment en province. Les hôpitaux, les centres d'hébergement d'urgence et les médias sont nos principales sources d'informations. De quoi meurt-on dans la rue ? On meurt d'abord de la violence qui sévit dans la rue : agressions ou accidents. On meurt aussi de maladies non détectées et non soignées à temps, telles que les cancers, et enfin de complications cardio-vasculaires dues à la surconsommation d'alcool, de cigarettes et de drogues, combinée à une malnutrition. Constatez-vous un pic de mortalité l'hiver ? Non. On ne constate pas de surmortalité saisonnière. Contrairement à ce que l'on peut croire, le froid n'est une cause principale de mortalité. Meurt-on encore vraiment sur le trottoir ? En réalité, la plupart des décès ont lieu dans des structures de soins ou dans des structures d'hébergement. On se rend compte notamment qu'il y a un nombre important de sans-abris qui décèdent quelques semaines après avoir intégré un hébergement. Je pense que cela peut s'expliquer par une décompensation. Dans la survie, on se maintient, mais dès qu'on accède à un logement, le corps se relâche et des maladies latentes se déclenchent. Quand une personne qui a vécu des années dans la rue entre dans un logement, il faudrait qu'un diagnostic médical se fasse systématiquement et qu'un suivi médical s'installe sur le long terme. C'est l'une de nos recommandations. Comment organisez-vous les funérailles d'un sans-abri ? Après avoir été informé du décès, on cherche à savoir si la personne était connue des services sociaux et si elle avait des proches. Si nous n'obtenons aucune information, nous organisons nous mêmes les funérailles et accompagnons le corps au cimetière municipal de Paris. On garde systématiquement une trace de l'inhumation, car bien souvent les familles nous contactent après avoir lu le nom de leur proche sur les faire-part que nous publions sur Internet. A quoi êtes-vous attentifs quand vous organisez un enterrement ? On estime que chacun doit être accompagné dans la mort. C'est une question de dignité. On fait en sorte de respecter l'identité de la personne. On organise uniquement des cérémonies laïques, à moins qu'une organisation religieuse ait été contactée par le défunt avant sa mort. Il y a un recueillement autour du cercueil et des pensées qui sont exprimées. Sur votre site, vous écrivez "En interpellant la société, en honorant ces morts, on agit aussi pour les vivants". Que voulez-vous dire ? En prenant mieux en compte nos morts, on aide aussi les vivants. Par exemple le rapport que nous avons rédigé doit permettre de donner des pistes pour améliorer la prise en charge des personnes qui sont dans la rue à l'heure actuelle. Ce n'est pas normal dans notre société de mourir précocement entre 45 et 50 ans après avoir vécu pendant 10 ans, voire 20 ans, dans la rue. Qu'attendez-vous du gouvernement socialiste français ? Ecoutez la réponse de Christophe Louis :