France: les riches menacés par le grand déclassement ?

Plusieurs livres récents tirent la sonnette d’alarme. Le grand déclassement français ne concerne pas que les classes moyennes. Les riches aussi sont sur la sellette. Vrai? La chronique hebdomadaire de la France en campagne signée Richard Werly,  correspondant du Temps à Paris.
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Ce grand déclassement de la France d'en haut ne signifie pas qu'il n'y a plus de riches en France, il suffit de voir l'étalage des milliards d'euros de Liliane Bettencourt, l'héritière de la marque de cosmétiques L'Oréal, lors du procès de Bordeaux.
@AP Photo/Jacques Brinon/janvier2011
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«La bourgeoisie triomphante du XIXe siècle a disparu. Ses petits-enfants se fondent désormais dans le décor d’anciens quartiers populaires…» Pour débuter Le Crépuscule de la France d’en haut (Flammarion), son dernier livre tout juste paru, le géographe Christophe Guilluy a choisi de cogner.

Bonjour le toboggan social!

Sa thèse? Le grand déclassement français n’est plus l’apanage des classes moyennes, scénario à nouveau étayé par le spécialiste de la question, le sociologue Louis Chauvel, dans La Spirale du déclassement, Essai sur la société des illusions (Seuil).

Pour Christophe Guilluy, c’est le sommet qui est désormais menacé. Bouleversement de la hiérarchie sociale en raison de la panne économique durable de l’Hexagone. Crise de la représentation politique où les hauts fonctionnaires ont définitivement pris le dessus sur la bourgeoisie classique. Effet de sape des nouvelles technologies et du métissage de la population qui transforme la société française en… Société américaine où la réussite prime sur le statut. Adieu l’ascenseur républicain. Bonjour le toboggan social…

Une France cul par-dessus tête

On se dit, à lire ces différents ouvrages, que le portrait brossé à grands traits d’une France cul par-dessus tête est sans doute exagéré. D’autant que, comme l’écrivent justement Michel Pinçon et Monique Pinçon Charlot dans leur opus Sociologie de la bourgeoisie (La Découverte), tout est fait aujourd’hui «pour éviter la prise de conscience de l’antagonisme de classe».

Et puis l’on regarde ce qui se passe, à huit mois des prochaines élections présidentielles. Quel discours pour défendre l’élite patrimoniale et entrepreneuriale du côté de la droite, dont c’est théoriquement le rôle? Presque rien en comparaison des kilos de discours sur le thème de la protection, de l’identité (heureuse selon Juppé, dévoyée selon les autres), de l’Etat qui sauve etc. Même la promesse de tous les candidats à la primaire de supprimer l’impôt sur la fortune après mai 2017 paraît soudain isolée, invisible, imperceptible. La bourgeoisie française n’est pas seulement en prise avec une société bouleversée. Elle n’a plus, en tant que telle, de défenseur attitré parmi les prétendants conservateurs à l’Elysée. Le poison populiste est passé par là.

Le grand déclassement de la France d’en haut

Ce grand déclassement de la France d’en haut ne signifie évidemment pas qu’il n’y a plus de riches dans l’Hexagone. Il suffit de voir l’étalage des milliards d’euros de Liliane Bettencourt, lors du récent procès de Bordeaux. Mais l’on sent bien que la machine est déréglée et que les départs vers l’étranger de Français fortunés depuis 2012 ont élargi la brèche. Fait symbolique: le Ministère des finances rechigne d’ailleurs toujours autant à quantifier ces départs, en expliquant qu’ils restent limités. L’actuel gouvernement de gauche préfère redire les chiffres records des régularisations fiscales, sur lesquels le procès Cahuzac ajoute ces jours-ci une couche impressionniste.

L’ancien ministre, habile jusque dans ses sanglots à la barre, a choisi de se retrancher derrière deux lignes de défense: la politique, qui l’obligea dit-il à ouvrir un premier compte en Suisse au début des années 90 pour amasser des fonds destinés à feu Michel Rocard; et ce fameux «train de vie familial» qu’il estimait indispensable de maintenir, en puisant dans ces comptes non déclarés au fisc. Vacances à l’île Maurice, à La Baule (Hôtel Ermitage, le plus prestigieux), aux Seychelles: que de dépenses diaboliques! Des dépenses de «riches».

La France se sent glisser, vers le bas

La vérité est que la France d’en haut a peur de tomber. Parce qu’elle se sent glisser. La terre, et les titres aristocratiques qui vont avec dans ce vieux pays monarchique, sont aujourd’hui davantage synonymes de crise que de noblesse. Les grands conglomérats industriels, ceux des maîtres de forge, sont à genoux.

Reste la finance, mais la France ne l’aime pas, car l’on y fait trop facilement de l’argent. Reste l’armée, mais la carrière militaire est plus saluée aujourd’hui comme un ultime bastion d’intégration sociale que comme une pourvoyeuse de victoires et de lauriers. Le malaise identitaire français se nourrit aussi de cette perte de repères-là.

Article publié le 15/09/2016 en accord de partenariat avec Le Temps