Instauré au soir des attentats du 13 novembre 2015 et prolongé six fois, l'état d'urgence - qui réduit certaines libertés publiques et augmente sensiblement le pouvoir policier - est remplacé ce 1er novembre par une nouvelle loi antiterroriste, non moins controversée.
Dispositif équilibré ou l'exception pérennisée ? Deux ans après son instauration le 13 novembre 2015 dans une nuit dramatique, l'
état d'urgence prend fin ce 1er novembre à minuit pour être remplacé par une loi antiterroriste qui doit assurer «
pleinement la sécurité » des Français, selon les termes d'Emmanuel Macron qui l'a « signée » (en réalité promulguée) deux jours plus tôt dans un show télévisé inédit en France.
Votée le 18 octobre à une large majorité, cette loi renforce les pouvoirs de l'exécutif pour assigner quelqu'un (non plus à résidence, mais dans un périmètre au minimum égal à la commune) et réaliser des perquisitions à domicile. Il peut aussi fermer un lieu de culte où se diffuseraient des idées incitant au terrorisme ou effectuer des contrôles d'identité près des frontières et des gares ou aéroports. Le tout sans feu vert judiciaire, perquisitions exceptées.
Débats « riches et nourris » … mais ignorés
La France aura connu 23 mois d'état d'urgence ininterrompu, soit un record pour ce régime d'exception créé en 1955, durant la guerre d'Algérie. Depuis ont eu lieu plusieurs attentats, dont celui de Nice qui a fait 86 morts.
Selon le ministère de l'Intérieur, l'état d'urgence a permis de «
saisir 625 armes dont 78 armes de guerre et de déjouer des attaques importantes dont l'une contre un meeting pendant la campagne présidentielle ». Depuis deux ans, plus de 4 300 perquisitions ont été menées et 600 assignations prononcées.
Il a aussi été employé à de multiples reprises contre des opposants politiques ou syndicaux étrangers au terrorisme, notamment lors de la COP 21 ou des luttes pour la défense du code du travail.
Le ministère étudiera cas par cas la situation des 41 personnes actuellement assignées et des 11 lieux de cultes fermés, afin de décider de leur sort sous le nouveau régime. Certaines des personnes assignées pourront avoir l'option d'un bracelet électronique pour se déplacer dans une zone plus large.
Le chef de l'Etat a estimé que la nouvelle loi avait fait l'objet de débats «
riches et nourris » au Parlement. L'Assemblée nationale l'a votée par 415 voix sur 577.
La quasi totalité des amendements proposés par des parlementaires de l'opposition de droite comme de gauche ont pourtant été rejetés sans grande considération et c'est la version initiale de l’exécutif qui a été adoptée par une majorité disciplinée.
Des députés LR (droite non macroniste) avaient dénoncé «
une loi de désarmement » et demandé une prolongation de l'état d'urgence un an supplémentaire, quand la présidente du Front national Marine Le Pen avait dénoncé un «
sous-état d'urgence » ne s'attaquant pas «
à l'idéologie islamiste ».
Alarmes
Selon le ministre de l'intérieur Gérard Collomb, ancienne figure socialiste passée dans le camp d'Emmanuel Macron, la loi «
fait très largement consensus ».
La normalisation par ce projet de loi des pouvoirs d'urgence risque de menacer gravement l'intégrité de la protection des droits en FranceFionnuala Ni Aolain, rapporteuse spéciale pour les droits de l'Homme de l'ONU
S'il est vrai que la réforme a suscité relativement peu de protestations dans l'opinion, qui reste traumatisée par les attentats jihadistes ayant fait 241 morts depuis 2015, sa perception par les Français est en réalité plus ambigue. Selon un récent sondage Fiducial/Odoxa, si 57 % d'entre eux l'acceptent, plus encore (62%) estiment aussi qu'elle aura «
tendance à détériorer leurs libertés ».
Dénoncée généralement comme «
liberticide » par ses opposants de gauche (France insoumise, communistes et certains socialistes) la réforme avait aussi vivement inquiété les juristes de multiples horizons, jusqu'aux experts de l'ONU. «
La normalisation par ce projet de loi des pouvoirs d'urgence risque de menacer gravement l'intégrité de la protection des droits en France, tant dans le cadre de la lutte contre le terrorisme que plus largement »,
avait averti sa Rapporteuse spéciale pour les Droits de l'homme, Fionnuala Ní Aoláin.
Avocat de la Ligue des Droits de l'Homme, Patrice Spinosi
dénonce pour sa part la «
spirale répressive » dans laquelle s'inscrit la nouvelle loi : «
Nous sommes en train de nous ancrer dans une société du contrôle et de la surveillance. Le dénoncer n’est pas faire montre d’angélisme. Il suffit seulement de garder à l’esprit que les lois que nous votons en ce moment resteront ».
Très critique, le
Syndicat de la Magistrature voit en elle la «
normalisation de l’état d’urgence par sa diffusion dans le droit permanent »,
«
un projet qui s’intègre dans un basculement plus large et dangereux ».
Le Défenseur des droits (fonction officielle en France) Jacques Toubon, ancien Ministre de la justice de Jacques Chirac,
s'est de son côté alarmé d'un «
recul de la démocratie ».
L'ancien ministre socialiste de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, constatant la succession de cinq textes sécuritaires depuis 2015, s'est montré critique dans un tweet:
L'implication du ministre de l'intérieur Gérard Collomb dans l'élaboration et le vote sans concessions de la nouvelle loi tranche en effet avec l'effacement de l'actuelle ministre de la justice Nicole Belloubet, ex-membre du Conseil constitutionnel.
Un Conseil constitutionnel qu'Emmanuel Macron n'a pas souhaité saisir comme l'avait suggéré l'ex-Premier ministre socialiste Bernard Cazeneuve en raison de craintes d'atteintes aux libertés.