Fil d'Ariane
Après une première tentative en 2019, avortée en 2020 en raison de la pandémie de Covid-19, la réforme des retraites va-t-elle être lancée en France ? Patronat et syndicats étaient attendus ce 5 octobre au ministère du Travail pour une première séance de concertation sur la réforme des retraites. Le ministre du Travail Olivier Dussopt doit préciser “le calendrier, la méthode et les objectifs.”
Ces concertations avec les partenaires sociaux et les partis politiques doivent durer “jusqu’à la fin de l’année”, affirme le ministre chargé des Relations avec le Parlement Franck Riester le 4 octobre. "Ensuite le gouvernement fera le bilan de ces concertations et présentera un texte spécifique en début d'année prochaine qui devra être voté avant la fin de l'hiver", ajoute-t-il.
Cependant, cette réforme risque de provoquer une forte contestation sociale. Historiquement, les plus grosses grèves françaises se sont produites lorsque le gouvernement essayait de faire passer une réforme des retraites. Pourquoi les retraites sont un sujet si compliqué en France ? Pour la sociologue et professeure émérite à l’Université Paris Cité Anne-Marie Guillemard, cela s’explique par le fait que ces réformes ne répondent pas aux besoins des gens.
Les deux grèves les plus spectaculaires de l’histoire de France ont concerné deux différentes réformes des retraites.
TV5MONDE : Pourquoi la réforme des retraites est un sujet qui suscite toujours une forte contestation sociale ?
Anne-Marie Guillemard : Le sujet revient de manière très récurrente sur la table. À chaque fois, on dit que cette réforme est la dernière, qu’après on s’en va vers l’équilibre. Sarkozy a tenu ces propos en 2010. On est en 2022, et on repart pour une nouvelle réforme. Et il y en a eu X depuis. Les Français n’y croient pas et voient bien qu’après chaque réforme, les retraites sont plus lointaines et moins généreuses. Le problème, c’est qu’on peut toujours faire des réformes à répétition, dans la mesure où ces réformes ne produisent pas leurs fruits.
À 50 ans, les gens se trouvent dans des situations extrêmement diverses et n’ont pas les mêmes stratégies de départ à la retraite.Anne Marie Guillemard, sociologue et professeure émérite à l'université Paris Cité
En 2017, Macron a été élu avec la promesse d’un nouveau régime de retraites, avec une retraite universelle qui supprimera les inégalités et qui permettra de partir quand on le veut, c’est-à-dire à partir d’un âge. Sauf que là, on est reparti sur un âge légal de départ à la retraite, ce qui est une absurdité aujourd’hui. La plupart des pays ont supprimé l’idée d’un âge légal de départ à la retraite. À 50 ans, les gens se trouvent dans des situations extrêmement diverses et n’ont pas les mêmes stratégies de départ à la retraite. On n’en tient pas compte et on propose que tout le monde soit logé à la même enseigne. Ça n'a plus de sens aujourd’hui.
TV5MONDE : Peut-on rendre ces réformes plus consensuelles ?
Anne-Marie Guillemard : De nombreuses études montrent qu’allonger la vie de travail, ce n’est pas la même chose que réformer les retraites. Le premier point suppose une réforme des retraites pour changer le moment de prendre celle-ci. Mais cela suppose aussi une politique active d’emploi et de formation pour que ce départ en retraite soit plus tardif. Rester en emploi signifie rehausser la demande de travail des entreprises. Rien n’a jamais été fait pour ça en France. Au contraire, les seniors sont dans leur propre entreprise sur un siège éjectable.
En France, on est en train de fabriquer des retraités pauvres.
Anne Marie Guillemard, sociologue et professeure émérite à l'université Paris Cité
En France, on croit qu’il faut repousser l’horizon de la retraite. Mais on se trompe complètement, parce qu’il faut certes changer cet horizon, mais aussi changer celui de l’emploi. Ça, on ne le fait pas avec des politiques de retraite, mais avec des politiques d’emploi, de formation. Les entreprises n’ont pas compris qu’il faut gérer les salariés à partir de mi-carrière pour en faire des salariés seniors attractifs. La Finlande l’a pensé bien avant et a fait des politiques du travail et de l’emploi pour rendre la fin de carrière plus attractive.
Ce sont des politiques de travail et d'emploi dont on ne voit pas le premier élément aujourd’hui. Des rapports ont été commandés par les gouvernements, dont celui d’Edouard Philippe. Mais on n’en fait rien. Les Français savent qu’ils ont un risque de précarité de fin de carrière. On n’a rien fait pour que la vie de travail soit prolongée, on a fait des choses pour que la retraite soit plus tard. En France, on est en train de fabriquer des retraités pauvres. À force de voir l’horizon de retraite comme le net plus ultra de la politique publique, on ne voit pas que c’est sur l’horizon en emploi qu’il faut agir. Et ça, ce ne sont pas les mêmes leviers.
TV5MONDE : Pourquoi d’autres sujets ne sont-ils pas aussi clivants ?
Anne-Marie Guillemard : Les retraites, ça concerne tout le monde. Tous les Français sont concernés par la retraite un jour où l’autre. Et il y a une grande angoisse autour de ce sujet. Les sondages d’opinion sur la retraite montrent qu’à plus de 70%, les Français sont persuadés qu’ils n’auront pas une retraite suffisante pour vivre. Il y a donc une défiance généralisée sur le système des retraites.
Il y a des gens qui sont sur un siège éjectable et qui se retrouvent à signer un accord de sortie précoce, car ils se disent que s'ils attendent, l’accord sera moins généreux.Anne Marie Guillemard, sociologue et professeure émérite à l'université Paris Cité
On en remet une couche chaque année quasiment. Il y a des gens qui sont usés par le travail et qui ont envie de sortir tôt. Mais aussi, il y a des gens qui sont sur un siège éjectable et qui se retrouvent à signer un accord de sortie précoce, car ils se disent que s'ils attendent, l’accord sera moins généreux. C’est très clair dans les analyses de la DRESS. Les gens concernés disent avoir signé parce que demain, ça aurait été pire. Mais sans cet accord, ils n’auraient pas arrêté de travailler.
Il faut construire un horizon en emploi pour les seniors. Et en même temps, bouger l’âge de départ à la retraite. Si on fait l’un sans l’autre, ça ne marche pas.
TV5MONDE : Pourquoi ces réformes créent-elles des tensions même au niveau du gouvernement ?
Anne-Marie Guillemard : On a l’impression qu’ils ne lisent pas, qu’ils ne réfléchissent pas, et qu’ils ne regardent pas ce qu’il se passe à l’étranger. En Finlande et en Suède, il y a longtemps qu’on a aboli tout âge légal de départ à la retraite. À la place, il y a un âge minimal pour prendre sa retraite. 60 ans en Suède, 62 ans en Finlande. À partir de là, les gens choisissent. Ils sont incités à prolonger.
Les dirigeants prennent le problème à l’envers et ils ignorent les rapports de l’OCDE à ce sujet qui ont été nombreux.Anne Marie Guillemard, sociologue et professeure émérite à l'université Paris Cité
Suppression des régimes spéciaux, recul de l’âge de départ à la retraite… Le projet de réforme de retraite tel qu’envisagé par Emmanuel Macron en 2017 a évolué depuis.
En France, il y a un mécanisme d’incitation, mais on ne s’en sert pas. Ils prennent le problème à l’envers et ils ignorent les rapports de l’OCDE à ce sujet qui ont été nombreux.
Les Français ne sont pas idiots, mais les gouvernants tiennent des propos incohérents. La réforme Macron était une réforme universelle, proposant plus d’égalité, etc. Tout d’un coup, Édouard Philippe sort du chapeau l’âge pivot de 64 ans. Aussi, un autre problème est de vouloir dire qu’on va cotiser sur toute la carrière, pour changer ça d’un coup de baguette magique, sans regarder les carrières. On oublie le préventif des parcours professionnels. C’est incohérent et incompréhensible. Ça n’avait rien à faire là.