France : pourquoi le budget consacré à l’armée augmente-t-il autant ?

Le projet de Loi de programmation militaire français pour 2024-2030 est présenté ce 4 avril 2023 en Conseil des ministres. Des hausses annuelles “sans précédent” de 3 à 4 milliards d’euros du budget des armées sont prévues. Comment expliquer ces hausses ? Décryptage.
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Lecornu Macron
Le ministre des Armées Sébastien Lecornu avec Emmanuel Macron, lors d'une visite du salon mondial de la Défense et de la Sécurité à Villepinte le 13 juin 2022.
Ludovic Marin, Pool via AP
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Cette Loi de programmation militaire (LPM) acte une hausse du budget sans précédent”, fait valoir l’entourage du ministre français des Armées Sébastien Lecornu. Alors qu’il est de 49,3 milliards d’euros en 2023, ce budget doit atteindre 69 milliards d’euros en 2030 avec des hausses annuelles de 3 à 4 milliards d’euros. Au total, la LPM prévoit une enveloppe de 413 milliards d’euros sur sept ans, dont 13 milliards de recettes extra-budgétaires.

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Le budget des armées va augmenter de 3,1 milliards d’euros en 2024, puis de 3 par an de 2025 à 2027, avant des “marches” de 4,3 milliards par an à partir de 2028. Cette dernière étape intervient au-delà du quinquennat en cours. Il s'agit d’une “trajectoire plancher” à laquelle “il faudra éventuellement prévoir des compléments” en fonction de la menace, souligne le ministère. Il espère voir cette LPM adoptée par le Parlement avant le 14 juillet.

Il y a une augmentation importante parce qu’il y a eu ces trois dernières décennies des baisses très importantes.Général Jean-Claude Allard, chercheur associé à l'Iris

Pourquoi ce budget est-il en hausse ? Pour le général Jean-Claude Allard, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), “il y a une augmentation importante parce qu’il y a eu ces trois dernières décennies des baisses très importantes, justifiées par ce qu’on appelle "les dividendes de la paix"”. Cependant, l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 a changé la donne. “La guerre en Ukraine a pour racines aussi le fait qu’en face d’elle, la Russie pensait ne pas trouver une défense, une OTAN efficace, estime le général. Il faut rattraper ce retard.”

Des choix parfois drastiques

"Il y a plusieurs objectifs avec cette enveloppe budgétaire inédite : continuer à réparer ce qui a été abîmé, un certain nombre de baisses de budget ont affecté notre modèle d'armée (…) et on a une succession de menaces qui s'additionnent entre elles", explique Sébastien Lecornu, interrogé par la radio française RTL. Il mentionne le terrorisme, la guerre en Ukraine, la militarisation de l'espace ou encore le cyber.

Il n’y a pas de pause dans les progrès des armements et des tactiques de la guerre.Général Jean-Claude Allard, chercheur associé à l'Iris

Pour le général Jean-Claude Allard, il s’agit de “donner des capacités réelles dans tous les domaines de la guerre moderne” à l’armée française. “Il faut perfectionner l’épée pour traverser le bouclier de l’ennemi, mais il faut aussi perfectionner son bouclier pour que l’ennemi ne passe pas à travers, analyse le général. Il n’y a pas de pause dans les progrès des armements et des tactiques de la guerre.” 

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L’entourage de Sébastien Lecornu admet que certains programmes d’armement sont priorisés au détriment d’autres. “Il n’y a pas de renoncement dans cette LPM, il y a des révisions de cadencement, quelques matériels pourront ne pas arriver en nombre aussi important que prévu à l’horizon 2030”, explique l’entourage du ministre.

Qu’en est-il des opérations extérieures ? 

  • La provision annuelle pour financer les opérations extérieures est fixée à 800 millions d’euros. 
  • Après une décennie d’engagement intense, les interventions extérieures sont amenées à se réduire en Afrique de l’Ouest notamment.
  • L’objectif n’est plus de faire des gros déploiements de type Barkhane au Sahel, explique un député bien informé au quotidien La Croix. Mais le projet garantit de pouvoir mener de front l’évacuation de ressortissants en situation de crise, plus une intervention outre-mer de type Serval au Mali.

Le programme Scorpion, visant au renouvellement de la composante blindée de l’armée de Terre par des engins connectés entre eux en fera les frais. Sur les 300 initialement prévus, “de l’ordre d’une centaine de Jaguars en moins” sont envisagés dans cette LPM. Par ailleurs, “quelques centaines” de blindés Griffon et Serval sont également décalés post-2030. En contrepartie, l’utilisation des VA et AMX-10RC, dont quelques dizaines ont été promis à l’Ukraine, va être prolongée.

De même, les livraisons de 42 avions de combat Rafale prévues entre 2027 et 2030 sont étirées jusqu'à 2032. En 2030, l'armée de l'Air disposera de 137 Rafale contre une cible initiale de 185. Et la Marine ne pourra compter en 2030 que sur trois des cinq frégates de défense et d'intervention.

Des investissements coûteux 

Les programmes liés à la dissuasion nucléaire, gros postes de dépenses, sont préservés par la LPM. “Cette LPM permet de sauver les grands programmes et de maintenir l’excellence de la dissuasion”, estime le député Les Républicains Jean-Louis Thiériot, vice-président de la commission défense de l’Assemblée nationale, interrogé par le quotidien français La Croix.
Une part importante du budget est consacrée à la modernisation du dispositif” dans un “contexte particulier”, souligne Sébastien Lecornu.
Pour Jean-Claude Allard, la dissuasion nucléaire a son importance car “cela permet de ne pas monter dans des extrêmes.” Il souligne que si l’OTAN n’a pas été attaquée, “c’est à cause de sa capacité nucléaire.

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Le calendrier de construction du porte-avion de prochaine génération, amené à faire la jonction avec le Charles-De-Gaulle à l'horizon 2038, est aussi préservé. Pour Sébastien Lecornu, il s’agit d’un “bijou, une cathédrale de technologie.“Cinq milliards d’euros seront consacrés à ce nouveau porte-avions, alors que des crédits restent affectés au porte-avions Charles-de-Gaulle”, dans le même temps, explique le ministre.

Les satellites de renseignement et d’observation, ce n’est pas de l’armement.Général Jean-Claude Allard, chercheur associé à l'Iris

Dans le domaine spatial marqué par une conflictualité grandissante, la France va financer les études de la prochaine génération de satellites Celeste de renseignement d’origine électromagnétique, mais aussi le successeur du programme Yoda de satellite patrouilleur. Ce dernier est destiné à tenir à distance des satellites français les engins spatiaux trop curieux. “C’est à partir de l’espace que l’on peut acquérir du renseignement et bien observer les mouvements de l’ennemi”, note Jean-Claude Allard. Il rappelle toutefois que la France a signé des traités de démilitarisation de l’espace “et qu’elle n’a pas l’intention de militariser l’espace.” “les satellites de renseignement et d’observation, ce n’est pas de l’armement”, analyse-t-il.