Pour Philippe Bouvier, ces questions de style, "c'est un petit peu une querelle des Anciens et des Modernes. Je trouve que le plus important, c'est de faire preuve d'esprit de synthèse, on ne peut pas se contenter de faire l'analyse. On doit faire la synthèse aussi."
Pour Fabienne Corneloup, la manière de rédiger actuelle des juridictions administratives aide à être le plus complet possible. "Nous sommes tous formés pour rédiger de cette façon-là, rappelle-t-elle. Ce sont des mécanismes d'écriture. Et ça change la façon de travailler. Le raisonnement ne change pas, mais certaines attitudes si. Notre façon de rédiger actuelle permet un raisonnement le plus rigoureux possible, pour ne rien oublier et répondre à tout. La crainte, entre guillemets, c'est d'être plus focalisés sur la rédaction pure et donc moins, en quelques sortes, sur le fond. Cela demande un gros investissement en temps."
Marc Bouvet analyse : "Quand on regarde la façon dont sont écrites les décisions des cours au niveau européen, c'est vrai que ce n'est pas du tout le même style. Je pense que c'est une influence qui vient un petit peu de l'extérieur aussi, c'est dans l'air du temps de faire plus simple." En fait, pour Michel Fromont, c'est "un phénomène de convergence. Compte tenu des contacts internationaux qui sont très intenses maintenant."
Marque de fabrique
Si Philippe Bouvier est un convaincu du style direct et préfère penser au justiciable, il apprécie parfois le style indirect pour son côté savant : "Quand je donne cours, je suis tout content de pouvoir expliquer aux étudiants comment on décortique un arrêt de la cour de cassation avec 'sous le moyen pris de ce que', 'alors que', 'en ce que alors que' et d'expliquer ce que ça veut dire. C'est gai évidemment et c'est vrai que ça donne des clefs."
Reste que pour les magistrats français représentés par Fabienne Corneloup, "ce n'est pas le sujet prioritaire. Mais plutôt de rendre les meilleures décisions possibles dans un délai contraint." En somme, cela reste "un symbole", selon les dires de Michel Fromont : "Le plus important c'est que le juge s'explique clairement et complètement, qu'il prenne en compte tous les aspects des litiges." Ou alors, une "marque de fabrique". Marc Bouvet prédit : "Le Conseil d'Etat y perdra peut-être un peu de son identité. Celui qui est habitué à lire avec des 'considérant', lorsqu'il va voir des arrêts rendus en style direct, il ne pourra pas se dire que ça vient du Conseil d'Etat. Ca avait son charme. En même temps, si on change le style dans quelques décennies, la question ne se posera plus parce qu'on se sera habitué à un autre style de rédaction. Il y a des choses plus fondamentales qui changent."
Et Fabienne Corneloup de conclure : "On progresse tous les jours dans la rédaction des jugements. C'est du travail quotidien. On n'a pas attendu la réforme pour le faire."