France : que cache la "clause Molière" ?

Faut-il défendre le français sur les chantiers publics ? C'est en tout cas ce que prône la « clause Molière », adoptée par de plus en plus de collectivités territoriales en France. A quelques semaines du premier tour de l'élection présidentielle, elle suscite la polémique.
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Clause Molière
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Qu'est-ce que la « clause Molière », à quoi sert-elle ? Son but : imposer l'usage du français (ou l'assistance d'un interprète) sur les chantiers publics. Auvergne-Rhône-Alpes, Hauts-de-France, Pays de la Loire et Normandie comptent parmi les régions qui ont choisi de l'adopter. La dernière à avoir rejoint la danse : la région Ile-de-France. Le 9 mars 2017, elle a adopté un plan pour favoriser l'accès de ses petites et moyennes entreprises à la commande publique, si et seulement si le français est utilisé sur les chantiers.

Ces régions, dirigées par la droite (les Républicains, LR) ne sont pas les seules concernées. Il y aussi des départements et des communes. C'est d'ailleurs l'une d'elles, Angoulême (dans l'Ouest du pays), qui a lancé l'idée de cette clause, en mai 2016.
 

Raison invoquée pour l'instaurer ? La sécurité des chantiers. « Bien loin des caricatures dans lesquelles certains voudraient nous enfermer, c’est une condition sine qua non pour la sécurité des travailleurs sur les chantiers », a avancé Valérie Pécresse, présidente LR d'Ile-de-France.

Une décision qui n'est pas sans provoquer des railleries sur les réseaux sociaux.
 
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En plus des moqueries, elle suscite un questionnement sur ses véritables velléités. Le ministère de l'Economie et des Finances a convoqué sa direction des affaires juridiques le 10 mars. Cité par le quotidien Le Monde, l'un.e de ses membres estime : « Ce sont des mesures racistes, discriminatoires et inapplicables. » La clause est jugée illégale par certains et, surtout, contraire aux règles européennes sur les travailleurs détachés. Cité par La Gazette des communes, Hervé Morin, président de la région Normandie, rejette cet argument et considère, lui, que cette disposition est « conforme à la réglementation des marchés publics. »

Car au-delà de la sécurité, ce sont bien les travailleurs détachés qui sont visés. Pour rappel, la directive sur les travailleurs détachés, adoptée en 1996, permet à une entreprise de « détacher » l'un.e de ses salarié.e.s au sein d'un autre pays membre de l'Union européenne, en lui appliquant les cotisations sociales de son pays d'origine. Cette pratique est souvent pointée du doigt, car elle favorise le dumping social. Vincent You, adjoint au maire d'Angoulême, explique au Monde : il s'agit « de lutter contre les entreprises qui cassent les prix en allant chercher des travailleurs détachés sans que ces salariés ne cotisent à la Sécurité sociale. »

La députée européenne républicaine Elisabeth Morin-Chartier, rapporteuse du projet de révision de la directive travailleurs détachés, n'est pas du même avis. Elle a adressé un courrier à François Fillon. Le candidat à la présidence de la République envisage faire de cette clause une « proposition nationale ».
 


La députée écrit notamment : « Il est illusoire de penser que nous réglerons les problématiques de l’emploi en nous repliant sur nous-mêmes. Cette clause est un danger pour les travailleurs détachés français qui sont presque 200 000 à l’étranger : que se passerait-il si, en mesure de rétorsion, nos partenaires européens décidaient de ne plus recourir à l’expertise française sous prétexte qu’elle ne maîtriserait pas la langue nationale ? »

Comme le rappelle le quotidien Ouest-France, la France est le « troisième pays d’origine des travailleurs détachés au sein de l’UE, avec 190 000 personnes concernées (elle est le deuxième pays d’accueil après l’Allemagne, avec 340 000 personnes) [. Elle] serait dans l’embarras si ses travailleurs détachés en Pologne ou en Roumanie devaient parler la langue du pays où ils travaillent. »
 

Les travailleurs détachés en France

« Selon la direction générale du Travail, le nombre de travailleurs détachés s'élèverait à plus de 286 000 en 2015 contre moins de 10 000 en 2000. Bien que leur nombre croisse rapidement, les travailleurs détachés en France ne représentent qu’environ 1 % de la population active », chiffrait la direction du Trésor français en juin 2016.

Le journal La Voix du Nord indique : « Dans les faits, de nombreuses entreprises ne déclarent pas ces travailleurs, jusqu’à 30 % moins chers qu’un employé français. Un rapport du Sénat d’avril 2013 estimait entre 220 000 et 300 000 le nombre de travailleurs détachés illégalement en France. »