Fil d'Ariane
Soigner au lieu d’incarcérer. C’est l’objectif de l’expérimentation lancée discrètement depuis le 30 mars dernier au Tribunal de grande instance de Bobigny, en banlieue parisienne. Trois mois après, Christiane Taubira, ministre française de la Justice, s’est rendue au TGI pour installer officiellement le comité de pilotage de cette expérimentation, inédite en France. En présence de la juge en chef de la Cour du Québec, Elizabeth Corte, de la procureur de Bobigny, Fabienne Klein-Donati, de la présidente de la MILDECA, Danièle Jourdain-Menniger, du président du TGI de Bobigny, Rémy Heitz, des responsables d'associations de lutte contre la toxicomanie et de nombreux autres acteurs des secteurs de la justice et de la santé, la garde des Sceaux a salué « une innovation » qu’elle va « suivre en apportant un total soutien ».
Ce projet a été élaboré par le ministère de la Justice et la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA). Le but est simple : les auteurs de délits en état de récidive peuvent désormais se porter volontaires pour suivre une thérapie, à la place d’une peine de prison. Pour intégrer le programme, les accusés doivent d’abord faire l’objet d’une évaluation approfondie qui inclut le risque de récidive et l’indice de gravité de la toxicomanie. Une fois leur culpabilité prononcée par le tribunal correctionnel, leur peine est ajournée et ils peuvent entrer dans le dispositif.
Durant un an, le condamné est ensuite suivi par un binôme de professionnels du secteur judiciaire et médico-social. Chaque mois, il doit se rendre chez le juge d’application des peines et doit effectuer cinq heures d’activités individuelles et collectives par jour. « C’est un suivi global et intensif », note Danièle Jourdain-Menniger, présidente de la MILDECA. Le but est que « la personne redevienne actrice de sa vie, de son parcours », explique Christiane Taubira.
Le taux de récidive a triplé en dix ans
Christiane Taubira, ministre de la Justice
Le programme concerne uniquement les individus, dépendants de l’alcool ou de la drogue, en état de récidive. Et ils sont nombreux. « L’incarcération a été une solution facile et lâche pendant des années. Le résultat, c’est un taux de récidive qui a triplé en dix ans, et une surpopulation carcérale », constate la garde des Sceaux. Elle rappelle également que « les addictions sont la causes déterminantes d’actions transgressives » et qu’ « enfermer des personnes qui présentent des addictions revient à les mettre dans des situations de danger, y compris pour le personnel pénitentiaire ».
Depuis le 30 mars dernier, six personnes, au total, ont intégré le programme. Parmi elles, une en est sortie, une est en sevrage et les quatre autres suivent toujours les soins. « A eux quatre, ces récidivistes cumulent 80 ans d’incarcération », note Marie-Laure Lacroix, coordinatrice du dispositif, pour montrer à quel point la récidive est fréquente chez les toxicomanes. L’objectif, sur la période 2015-2016, est que 40 à 50 personnes participent à l'expérience.
« Je suis flattée que l’on dise de nous que nous sommes inspirants », se félicite Elizabeth Corte, la juge en chef de la Cour du Québec, lors du lancement du comité d’expérimentation. Au Québec, les tribunaux de traitement des toxicomanes (TTT) existent depuis 2012. Et le dispositif semble fonctionner, même si certaines choses sont difficiles à évaluer comme « la qualité de vie des individus dans le programme et celle de leurs proches, de leur famille », explique Elizabeth Corte. Depuis le début du programme, « sur les 461 dossiers traités, 168 personnes ont été admises, 44 sont en cheminement et 22 ont réussi avec succès », énumère la juge en chef québécoise.
En 2013, des membres de la MILDECA ont participé à une visite d'étude sur la prise en charge judiciaire et sanitaire de la toxicomanie au Canada. C'est ainsi que l'idée d'en faire autant en France a germé. Ces programmes de traitement de la toxicomanie, observés à Vancouver et Montréal, ont également été présentés à la garde des Sceaux française lors d'un déplacement en mars 2014. Le concept s'articule autour d'une approche globale de la personne et d'une concertation renforcée entre les acteurs de la justice et de la santé.
Le TGI de Bobigny, « moteur dans les expérimentations », selon la présidente de la MILDECA, espère fortement suivre les pas de son homologue québécois. Rendez-vous dans un an pour un premier bilan de l’expérience. « L’évaluation sera concluante, je le sais, assure Christiane Taubira. Ce n’est qu’une question de temps quant à la généralisation à l’ensemble du territoire ».