Fil d'Ariane
Ils sont aujourd'hui 80 hommes et femmes à reposer au sein du Panthéon, le temple où la République honore ses héros. Parmi eux, des écrivains comme Victor Hugo ou Voltaire, des scientifiques comme Marie Curie ou Marcelin Berthelot ou encore des résistants comme Jean Moulin ou Germaine Tillion.
Et bientôt, ils seront 81. Joséphine Baker va entrer au Panthéon ce 30 novembre. Ce choix d’Emmanuel Macron n’est pas anodin, selon Patrick Garcia, historien et professeur à l’université Cergy-Pontoise. "Ce n’est pas rien de faire entrer une danseuse, une chanteuse au Panthéon, même si elle était aussi une agente de la France libre", estime-t-il.
Cela permet à Emmanuel Macron de sortir de l’image jupitérienne qu’il dégage.
Patrick Garcia, historien
"Cela permet à Emmanuel Macron de sortir de l’image Jupitérienne qu’il dégage" poursuit Patrick Garcia. Toujours selon l'historien, "cela correspond à une volonté d’ouvrir le Panthéon." Commémorer la mémoire Joséphine Baker au Panthéon permet président français "de se montrer plus proche des gens, plus empathique". Il a déjà rendu hommage à des chanteurs ou des acteurs. Il était présent lors des funérailles de Johnny Hallyday. L'acteur français Jean-Paul Belmondo a eu droit, lui, à un hommage national aux Invalides.
Elle est à la fois une héroïne de la résistance, qui s’est battue contre le racisme et qui était une chanteuse et une danseuse.
Patrick Garcia, historien
Selon l'historien, le président français "fait rentrer la diversité au Panthéon" avec Joséphine Baker. Elle est une femme noire. Elle est aussi "une héroïne de la résistance, qui s’est battue contre le racisme et qui était une chanteuse et une danseuse", énumère Patrick Garcia. Elle refuse en 1940 de chanter devant les Allemands dans Paris occupé. Après l'appel du 18 juin du Général de Gaulle, elle rejoint les forces françaises libres. Elle deviendra, en France, une espionne de la Résistance. Dans la lutte contre le racisme, elle a été, aux États-Unis, une militante des droits civiques en faveur des Afro-Américains.
C’est quelqu’un qui a mis toute sa vie au service des valeurs qui honorent la République.
Jean Garrigues, historien
À cela, le président du Comité d’histoire parlementaire et professeur à l’université d’Orléans Jean Garrigues ajoute que "C’est quelqu’un qui a mis toute sa vie au service des valeurs qui honorent la République." Il estime également que Joséphine Baker "a un rayonnement dans l’histoire de la démocratie en général."
Par ailleurs, même si l’intronisation de Joséphine Baker au Panthéon était actée depuis plusieurs mois, la cérémonie à venir a une résonance particulière. "C’est l’exemple même d’une intégration réussie à un moment où l’on parle beaucoup d’immigration, d’intégration, de clivages entre les communautés", détaille Jean Garrigues. De ce fait, cela envoie un message positif aux français Noirs, souvent victimes de racisme et de discrimination.
Au-delà de cet aspect, Joséphine Baker "n’a jamais cessé de défendre cette idée d’égalité" entre les personnes, en contradiction avec les valeurs de l’extrême droite, dont la voix gonfle de plus en plus en France, autour de la candidature de Marine Le Pen et de la percée du personnage d'Éric Zemmour.
Ce parallèle n’est pas sans rappeler l'entrée au Panthéon d’Alexandre Dumas par Jacques Chirac en 2002. Un an plus tôt, l’ancien président remportait son élection dans un contexte inédit : l’extrême droite de Jean-Marie Le Pen s’était hissée au second tour. "À travers cet acte, il voulait ouvrir le récit national, montrer que c’était lui qui l’avait amené ici", considère Patrick Garcia.
Et pour cause :"c’est un personnage que tout le monde connaît, mais très peu de gens savaient que c’était un descendant d’esclave", ajoute-t-il. Lors du discours prononcé pour introniser Alexandre Dumas au Panthéon, Jacques Chirac employait les mots suivants : "La République, aujourd'hui, ne se contente pas de rendre les honneurs au génie d'Alexandre Dumas. Elle répare une injustice. Cette injustice qui a marqué Dumas dès l'enfance, comme elle marquait déjà au fer la peau de ses ancêtres esclaves."
C'est une manière d’honorer une femme noire militante des droits de l’homme et des valeurs de la République, qui est aussi patriote.
Jean Garrigues, historien
Dans cette continuité, "Nicolas Sarkozy a voulu faire entrer au Panthéon l’écrivain martiniquais Aimé Césaire", ajoute Jean Garrigues. Si au final, sa dépouille n’y a pas été transférée, une plaque commémorative a été installée.
"Nous sommes-le pour dire et réclamer : laissez entrer les peuples noirs sur la grande scène de l’Histoire", avait déclaré Nicolas Sarkozy lors de son discours. Joséphine Baker s’inscrit dans cette lignée, "c’est une manière d’honorer une femme noire militante des droits de l’homme et des valeurs de la République, qui est aussi patriote", résume le professeur.
Le 22 août, Emmanuel Macron annonce l'entrée de Joséphine Baker au Panthéon. Il renonce également à y faire entrer l'avocate et militante des droits des femmes Gisèle Halimi. Jean Garrigues estime que c’est le rôle que l’avocate a joué pendant la guerre d’Algérie qui faisait polémique : "Elle avait soutenu le combat pour l’indépendance. Donc le combat de ceux qui combattaient la France." À contrario, la panthéonisation "de Joséphine Baker, à ma connaissance, ne soulève pas de polémiques", ajoute l'universitaire.
Une inconnue subsiste toujours. Qu'est-ce que cette panthéonisation va susciter dans les esprits. "Il y aura des images de Joséphine Baker, on va parler d’elle, … À partir de là, il y a l’idée que les cérémonies relèvent du spectacle, estime Patrick Garcia. C’est un pari, personne ne peut en attester." Selon lui, l'institution du Panthéon est instrumentalisée. "On y a de plus en plus recours, c’est un enjeu symbolique mais est-ce que le message adressé arrive au public auquel il est destiné ? Personne ne le sait vraiment en définitive."