Fil d'Ariane
"Je ne veux pas travailler plus longtemps". d'Arras à Marseille en passant par Toulouse, les opposants à la réforme des retraites ont commencé le 31 janvier à défiler dans des cortèges qui vont rassembler des centaines de milliers de Français. Les syndicats ont l'espoir pour de mobiliser au moins autant que le 19 janvier pour faire reculer le gouvernement.
Ce n’est pas envisageable, physiquement et moralement. Sylvie Dieppois, aide de cuisine
Sous la grisaille ou le ciel bleu, partout en France, les premiers cortèges se sont ébranlés à partir de 10H00 heure de Paris, avec ce même refus de la réforme-phare d'Emmanuel Macron et son report de l'âge légal de départ à 64 ans, notamment chez les femmes, avec par exemple à Toulouse un collectif féministe en tête de cortège.
"Je ne veux pas travailler plus longtemps, je fais un métier pénible et je serai déjà cassée à 62 ans, souffle Sylvie Dieppois, 56 ans, aide de cuisine dans une mairie de la banlieue rouennaise. Ce n’est pas envisageable, physiquement et moralement".
"Je manifeste aujourd'hui pour la première fois, je n'étais même pas là il y a 15 jours, j'ai eu un déclic, je me suis dit qu'il fallait que je porte la parole des personnes dans ma situation", témoigne à Marseille, Marie Dusserre, 59 ans, au chômage depuis un an.
Douze jours après l'acte 1 de la contestation dans la rue qui avait rassemblé entre un et deux millions de manifestants selon les sources, les huit principaux syndicats français veulent faire autant voire mieux avec près de 250 rassemblements prévus. "Si la Première ministre n'a pas entendu le message, aujourd'hui on va le lui dire plus haut, plus fort et plus nombreux", martèle le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez.
La police attend 1,2 million de manifestants en fourchette haute, dont 100 000 à Paris. À la Réunion, plus de 10.000 personnes selon les organisateurs, 7.300 selon la préfecture, ont manifesté dans les deux principales villes de l'île. Au total, onze mille policiers et gendarmes sont mobilisés, dont 4 000 à Paris.
Une intersyndicale doit se réunir à partir de 18H00 au siège de FO pour décider des suites du mouvement, et probablement annoncer au moins une nouvelle journée de mobilisation. La grève est très suivie dans les transports avec une circulation des métros et RER "très perturbée" en région parisienne. Sur le réseau ferré, les trains circulent au compte-gouttes.
Dans l'Education nationale, la rue de Grenelle comptabilisait à la mi-journée 26,65% d'enseignants grévistes dans le primaire, 25,22% dans le secondaire, en recul par rapport au 19. Le SNES-FSU, premier syndicat du secondaire, chiffre à 55% le nombre de professeurs des collèges et des lycées en grève. Mardi matin, des lycéens se sont mobilisés, notamment dans une poignée d'établissements parisiens. Des étudiants étaient également mobilisés, comme au site Saint-Charles de l'université Aix-Marseille. A Paris, Sciences Po a été occupé dans la nuit par une cinquantaine d'étudiants.
La CGT annonce 75 à 100% de grévistes dans les raffineries et dépôts de TotalEnergies. Quant aux grévistes d'EDF, ils ont occasionné dans la nuit des baisses de charges dans les centrales électriques de "près de 3 000 MWH", sans toutefois causer de coupures, selon la CGT et EDF. La mobilisation concerne des secteurs professionnels variés. A Nîmes, les entrées de la maison d'arrêt ont été bloquées et l'extraction de détenus rendue impossible, selon une source syndicale. Des mairies, comme celle de Paris ou Montreuil (Seine-Saint-Denis), ont annoncé qu'elles garderaient portes closes
Pris en étau entre la détermination de la rue et la virulence des oppositions à l'Assemblée, où le projet est débattu depuis lundi en commission, le gouvernement a durci le ton depuis ce week-end au risque de se faire accuser par la gauche, à l'instar de Fabien Roussel (PCF) "de fracturer durement" le pays. Elisabeth Borne, qui se rend devant sa majorité en début d'après-midi, affirme que le recul de l'âge n'est "plus négociable", même si des mesures en faveur des femmes, plus impactées par la réforme que les hommes, sont envisagées.
En retrait sur ce dossier, Emmanuel Macron, qui joue en partie son quinquennat sur cette réforme, l'a jugée le 30 janvier "indispensable". Mais pour l'exécutif, la bataille de l'opinion "est très mal engagée", selon Frédéric Dabi, de l'institut de sondages Ifop. "Au fur et à mesure que les Français entrent dans la connaissance de la réforme, l'adhésion recule" dans les sondages, explique-t-il. "Monsieur Macron est certain de perdre", assure Jean-Luc Mélenchon (LFI) à Marseille. Il estime que la France est "en train de vivre une journée historique".