Plusieurs centaines de milliers de personnes défilent dans toute la France pour un 1er mai à la fois "festif" et "combatif". Un cortège unitaire qualifié d'historique par les syndicats, terni par des affrontements et des dégradations à Paris et Lyon en début d'après-midi.
Si elle était loin des niveaux record de la fin janvier, lorsque près de 1,3 million de personnes avaient défilé selon le ministère de l'Intérieur, la mobilisation lors de cette première fête du Travail unitaire depuis 2009 est restée forte après 12 journées de défilés et bien au-delà d'un 1er mai classique.
Le ministère de l'Intérieur a compté 782.000 manifestants dont 112.000 à Paris. La CGT a revendiqué 2,3 millions de manifestants, dont 550.000 à Paris. Ils étaient 94.000 dans la capitale selon un comptage du cabinet Occurrence pour un collectif de médias, dont l'AFP.
"C'est un gros 1er mai. Ce n'est pas un baroud d'honneur, c'est la contestation du monde du travail de cette réforme", se réjoui le leader de la CFDT Laurent Berger.
"Ce 1er mai est un des plus forts du mouvement social", a renchéri la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet. Le secrétaire général de FO, Frédéric Souillot souligne le caractère unitaire de la fête et
"rien que ça, c'est historique".
Voir : France : un 1er Mai "historique"
Car le dernier défilé avec les huit principaux syndicats remonte à 2009, face à la crise financière (la CGT avait compté près de 1,2 million de manifestants, la police 456.000). En 2002 (900.000 à 1,3 million de personnes), les syndicats avaient aussi fait bloc pour
"faire barrage" à Jean-Marie Le Pen.
Mais s'ils étaient au-delà d'un 1er mai classique, les premiers chiffres semblaient montrer que ce ne serait pas le
"raz de marée" espéré par les syndicats. La CGT dénombre 2,3 millions de manifestants dont 550.000 à Paris. Selon le ministère de l'Intérieur, ils seraient plutôt 782.000 dont 112.000 à Paris.
Voir : France : vers un 1er mai de tous les records ?
La police a compté 16.300 manifestants à Caen (40.000 selon la CGT), 8.700 manifestants à Strasbourg (15.000), 7.300 à Lille (15.000), 11.000 à Marseille (130.000), 13.500 à Toulouse (100.000), 15.000 à Brest (33.000) et 14.000 à Clermont-Ferrand (25.000). Les autorités tablent sur 500 à 650.000 personnes sur tout le territoire, dont 80 à 100.000 à Paris.
Premiers incidents à Paris
Dans la capitale, le cortège s'est élancé sous l'orage à 14h de la place de la République vers celle de la Nation, avec la présence de syndicalistes du monde entier. Mais aussi pas moins de 5.000 policiers par crainte de violences dans le
"pré-cortège" mêlant gilets jaunes et
"individus à risque" selon la police.
Des tensions ont éclaté cet après-midi à Paris en tête du cortège, avec notamment des jets de projectiles contre les forces de l'ordre et des vitrines caillassées, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Ces premiers incidents ont eu lieu dès le départ de la manifestation vers 14h15 (12h15 TU.) de la place de la République, sous une forte pluie.
De gros pétards ainsi que des projectiles ont été lancés sur les forces de l'ordre depuis le pré-cortège, composé de plusieurs centaines de manifestants vêtus de noir.
Plusieurs commerces ont vu leurs vitrines vandalisées, notamment des agences bancaires et immobilières, un magasin de photocopies, ainsi que du mobilier urbain.
"Le préfet de police, compte tenu des nombreuses dégradations commises, a décidé de l'intervention des forces dans le pré-cortège pour mettre un terme aux incidents et séparer le pré-cortège du cortège syndical", a indiqué la préfecture de police (PP).
Des débordements dénoncés par la Première ministre Élisabeth Borne, qu'elle a jugés
"inacceptables" sur twitter, assurant de son
"soutien" les forces de l'ordre.
Selon le ministère de l'Intérieur, 291 personnes avaient été interpellées à 18h00 en France, dont 68 à Paris. 108 policiers et gendarmes ont été blessés.
Un policier a été
"grièvement blessé, brûlé à la suite d'un jet de cocktail Molotov", selon le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. La préfecture de police a dénombré
"plusieurs blessés parmi les forces de l'ordre, dont dix déjà transportées à l'hôpital"."Si la très grande majorité des manifestants furent pacifistes, à Paris, Lyon et Nantes notamment, les forces de l'ordre font face à des casseurs extrêmement violents venus avec un objectif: tuer du flic et s'en prendre aux biens des autres", a-t-il dénoncé sur Twitter.
À Nantes, les affrontements qui ont duré une bonne partie de l'après-midi, ont fait cinq blessés, dont un gendarme et un manifestant touché à une main, selon la préfecture. Des incidents (dégradations de mobilier urbain, tags et feux de poubelle, jets de pavés) ont également émaillé les cortèges à Bordeaux et Toulouse.
Blackblocs à Lyon
À Lyon, la préfecture du Rhône a fait état de 40 interpellations, après des heurts violents entre manifestants et forces de l'ordre, qui ont fait usage de lanceurs d'eau.
Des journalistes de l'AFP ont pu voir des véhicules incendiés et d'importantes dégradations sur le parcours.
Les heurts ont commencé en début de cortège environ une heure et demi après le départ de l'impressionnant défilé : des jets de projectiles ont visé à plusieurs reprises les forces de l'ordre qui ont répliqué avec des tirs multiples de grenades lacrymogènes dans le 7e arrondissement, autour de la place Jean-Macé puis la suite du parcours.
Des actes de vandalisme menés par des perturbateurs cagoulés et habillés de noirs ont visé des abris-bus, des commerces, des banques, des assurances et des agences immobilières, avec incendies de poubelles et de détritus. Une supérette a été pillée, selon des images diffusées sur les réseaux sociaux.
La préfecture du Rhône a dénoncé sur Twitter les
"comportements criminels" des
"groupes violents", mais s'est félicitée de l'utilisation de ses deux drones de surveillance, décidée la veille par arrêté préfectoral.
L’usage de drones autorisé
Plusieurs associations avaient tenté de contester en justice, l’usage de drones par les forces de l'ordre lors du cortège parisien du 1er-Mai. Mais le tribunal administratif de Paris a rejeté la requête de l'Association de défense des libertés constitutionnelles (Adelico) et du Syndicat des avocats de France (SAF), auxquels s'étaient joints la Ligue des droits de l'Homme (LDH) et le Syndicat de la magistrature (SM).
Dans son ordonnance consultée par l'AFP, le juge des référés estime que
"les requérants n'établissent pas" que l'arrêté
"porte une atteinte grave et manifestement illégale aux droits et libertés" .
(RE)voir : France : la Ligue des droits de l'homme, cible du gouvernement français
À l'audience ce matin, les avocats des requérants avaient fustigé un
"dispositif dangereux au regard des libertés fondamentales" telles que la
"liberté d'aller et venir, de manifester, la liberté d'expression" et la protection de la vie privée.
Ils avaient estimé que la préfecture de police ne respectait pas les
"conditions" d'usage des drones prévues par la loi et qu'elle n'avait pas publié une
"doctrine d'emploi" des drones ni ne l'avait soumise à la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés), autorité indépendante.
Une "zone de survol" de 7km2
Les conseils avaient en outre critiqué la
"zone de survol" qui représente
"7 km2" soit
"un onzième" de la superficie de Paris et l'
"étendue temporelle totalement excessive", de 9h00 à 22h00.
De son côté le représentant de la préfecture a assuré que dans un
"contexte social particulièrement tendu avec des violences qui sont exercées", cet usage était
"parfaitement proportionné", parlant de
"nombreuses garanties" comme l'utilisation de
"trois caméras simultanément au maximum".
Les tribunaux administratifs de Lyon et de Bordeaux ont estimé que la procédure choisie de référé (urgence) n'était pas pertinente, quand celui de Rouen a limité, pour la manifestation du Havre, le périmètre et les horaires d'utilisation des drones.
Une décision que l’avocat de l’Adelico et du SAF Jean-Baptiste Soufron trouve
"parfaitement incohérente" . Il
ajoute qu’en l’état
"les citoyens qui manifestent n'ont aucune garantie sur ce qui sera filmé, ni à qui leurs images seront transmises ou comment elles seront utilisées". Dans un SMS, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a demandé 29 avril aux préfets
"d'être personnellement présents" pour le 1er-Mai, mais aussi de recourir aux drones afin de lutter contre les rodéos urbains.
Contre la réforme des retraites
Dans les cortèges, les manifestants se disaient toujours déterminés à obtenir le retrait de la réforme, à l'instar de Céline Bertoni, 37 ans, professeure de sciences économiques à Clermont, six jours de grève au compteur.
"La loi est passée mais n'a pas été digérée, il y a une volonté de montrer un mécontentement pacifiquement pour avoir une réaction en face qui atteigne un niveau de décence. J'espère toujours qu'on va nous dire: on retire", a-t-elle expliqué.
Ce 1er mai, qui fait figure de 13e journée de mobilisation intersyndicale contre la réforme des retraites, intervient pourtant après la validation de l'essentiel du texte par le Conseil constitutionnel et sa promulgation dans la foulée.
Si la colère reste vive, au gouvernement certains veulent croire
"qu'on a passé le plus gros en termes de contestation".
"Deux échéances dans le viseur"
Emmanuel Macron s'est donné le 17 avril
"100 jours d'apaisement" et
"d'action" pour relancer son quinquennat. Élisabeth Borne va envoyer des invitations aux syndicats
"dans les jours qui viennent", selon le ministre du Travail, Olivier Dussopt.
De leur côté, les syndicats ont maintenant
"deux échéances dans le viseur" selon Sophie Binet (CGT) : le 3 mai, lorsque les
"Sages" se prononceront sur une deuxième demande de référendum d'initiative partagée (RIP), et surtout le 8 juin, lorsqu'une proposition de loi du groupe des députés Liot abrogeant la réforme sera au menu de l'Assemblée et pourrait servir de motif à une nouvelle journée de manifestations.
En attendant, le défi de l'intersyndicale sera de rester unis alors que des divergences commencent à pointer face aux invitations de l'exécutif à reprendre le dialogue sur d'autres sujets liés au travail.
D'ores et déjà, Laurent Berger a annoncé que la CFDT
"irait discuter" avec la Première ministre si elle y était invitée, tandis que Sophie Binet a rappelé que l'intersyndicale avait prévu de prendre la décision
"ensemble" le 2 mai.
"La mobilisation massive et déterminée que nous avons eue aujourd'hui, elle nous oblige demain à continuer dans l'unité syndicale à combattre cette loi sur les retraites", a jugé Frédéric Souillot (FO).
"On ne peut pas indéfiniment sécher les réunions à Matignon. Il faut un rapport de force rénové, c'est l'écriture d'un nouveau chapitre", a plaidé François Hommeril (CFE-CGC).
Des représentants syndicaux internationaux
Coréens, Turcs, Suisses, Colombiens, Américains, Espagnols... : plusieurs dizaines de représentants syndicaux étrangers manifestent lundi à Paris aux côtés des responsables de l'intersyndicale, ont constaté des journalistes de l'AFP.
Si la fête du travail est célébrée le 1er mai dans le monde entier, la présence de ces manifestants, alors qu'
"on entend beaucoup parler de comparaisons avec les autres pays européens, montre avec force que les syndicats européens soutiennent le mouvement en France contre l'allongement de l'âge légal de la retraite", s'est réjoui Cyril Chabanier, le président de la CFTC.
Voir : 1er Mai en France : la contestation vue depuis la Belgique
Américain originaire de Californie, David Huerta, 56 ans, représente le syndicat SEIU-USWW, présent dans le secteur des services. Il se dit
"solidaire des Français" et heureux d'être
"ici aujourd'hui, en France, après toutes les grèves qu'ils ont menées pour préserver leurs retraites".
"Il ne s'agit pas seulement de préserver les retraites en France mais dans le monde entier. Les gens devraient avoir le droit de prendre leur retraite dans la dignité", estime-t-il, disant se sentir
"renforcé" par sa présence dans le défilé parisien.
"C'est génial, j'adore!".
"Ce qui est marquant aujourd'hui et qui fait vraiment beaucoup de bien, c'est la présence internationale", a commenté Benoît Teste, secrétaire général de la FSU.
"Ça a beaucoup de sens parce que ça veut dire que ce mouvement, ce n'est pas les Gaulois réfractaires comme certains voudraient le croire".