François Hollande fait-il vraiment fuir les riches?

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François Hollande fait-il vraiment fuir les riches?
Extrait de la page d'accueil du site France Offshore
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Après l’Assemblée nationale, le Sénat discutait aujourd’hui de la loi de finances rectificative. Contribution exceptionnelle sur la fortune pour 2012, heures supplémentaires refiscalisées ou encore augmentation des droits sur les donations et les successions… Cette batterie de mesures fiscales s’oppose à une menace systématique: la fuite des riches. D’une entreprise de créations de sociétés offshore à l’analyse de la sociologue Monique Pinçon-Charlot, qu’en est-il réellement ?
25.07.2012
« Entrepreneurs, la prochaine fois que vous signerez un chèque d’impôt, pensez à nous ! » propose l’entreprise anglaise « France Offshore » sur son compte twitter. Sur son site internet , les offres s’enchaînent: « Votre société Offshore en 48 heures », « délocalisez votre siège social à l’étranger et profitez d’une fiscalité compétitive » ou encore « s’expatrier à l’étranger et réduire sa fiscalité en changeant de pays de résidence ».
Créée en 2001, l’entreprise prospère au point d’avoir pignon sur rue au centre du XVIème arrondissement parisien, sur la très prestigieuse place Victor Hugo. « Le concept de France Offshore, c’est vraiment ‘travailler plus pour gagner plus’ explique la chargée de communication estivale. Aujourd’hui, en France, on se retrouve avec des plafonds imposés aux entrepreneurs où plus l’entrepreneur travaille, plus il est ‘pompé’, je crois qu’on peut arriver jusqu’à 60% d’impôts quand en Angleterre on peut descendre jusqu’à 4%. David Cameron avait d’ailleurs fait une déclaration dans ce sens, il voulait ‘dérouler le tapis rouge aux entreprises françaises’. »
Au moment où l’étude de l’économiste James Henry pointe les 17 000 milliards d’euros dissimulés dans des paradis fiscaux, un chiffre probablement sous-évalué - la vraie somme pourrait atteindre 26 000 milliards d’euros - France Offshore ne voit pas de problème à donner un coup de pouce à la fuite des capitaux français. « Nous, on organise aucune fuite, ce qu’on fait, c’est que quand un entrepreneur vient nous voir et nous dit qu’il est excédé par tout cet excédent fiscal, et qu’il nous dit vouloir construire une société à l’étranger, on l’aide » Aucune fuite, donc, malgré la bagatelle de 4000 sociétés offshore crées par l’entreprise chaque année. 

« Démocratiser le défiscalisation »

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Les entrepreneurs ne sont d’ailleurs pas les seuls à se payer les services de France Offshore, qui s’est paré du noble objectif de « démocratiser la défiscalisation, qui ne devrait pas être réservée qu’aux très grandes entreprises ». Ainsi, ils proposent aussi d’aider les particuliers à échapper aux impôts trop lourds. Cela est-il bien légal ? « France Offshore ça joue dans une limite de la légalité. Enfin, se reprend la chargée de communication, on est dans une zone grise en fait, puis rassure, mais ce que l’on fait est 100% légal » France Offshore se réjouit que les particuliers soient de plus en plus nombreux à faire appel à leurs services. « On s’est retrouvés confrontés à un pic de demandes au niveau de tout ce qui va être expatriation fiscale. On a eu plus de 50 demandes en un mois, alors que la moyenne annuelle était à 5,8 et les gens s’intéressent désormais bien plus à partir qu’à créer simplement une société offshore. » Pas de doute sur l’origine de ce regain d’intérêt pour l’expropriation fiscale, France Offshore établit une corrélation évidente avec l’élection de François Hollande à la présidence de la République française. « Aujourd’hui, avec la politique fiscale et les dernières déclarations de François Hollande, on peut dire clairement qu’il y a un clivage au niveau de la fiscalité. Il y a nettement un avant et un après, en tout cas, nous, on le ressent » constate la chargée de communication de France Offshore. Au passage, l’entreprise à la devise « travailler plus pour gagner plus » n’avait constaté aucun déclin des demandes d’expatriations au moment du l’abaissement du bouclier fiscal par Nicolas Sarkozy. 

L'entreprise idéologique des pauvres riches

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Monique et Michel Pinçon-Charlot.
François Hollande est-il donc réellement à l’origine de ce pic de demandes d’expatriations fiscales ? La sociologue Monique Pinçon-Charlot, qui enquête depuis vingt ans dans les plus hautes sphères sociales, préfère rester prudente : « je me méfie quand même de ce type d’information qui me paraît lié à cette entreprise idéologique qui tend à faire croire au bon peuple que les riches sont stigmatisés, à plaindre, et que les bourreaux deviennent les victimes. » La co-auteure, avec son époux, Michel Pinçon, du Président des riches, enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy admet cependant que « bien sûr il y a ces discours, parce que Nicolas Sarkozy a vraiment été - et le titre de notre livre lui a collé aux baskets jusqu’à son départ - le président des riches. Donc c’était nécessaire pour le nouveau président de se démarquer fortement de cela, et surtout sur le plan symbolique. » Mais pour elle, la gauche libérale est « tout à fait en phase avec le système tel qu’il est, d’ailleurs, c’est Pierre Bérégovoy en personne qui a dérégulé les marchés financiers. (…) Et la bourse ne s’est jamais aussi bien portée que sous Laurent Fabius ou Lionel Jospin, sous les socialistes ! » La sociologue poursuit : « si vraiment on voulait s’en prendre aux riches, il faudrait faire des lois d’embargo sur tous les paradis fiscaux. Si un gouvernement, un président de la République, avait vraiment à cœur de déstabiliser l’oligarchie, cette classe qui concentre toutes les richesses et tous les pouvoirs, il commencerait par les paradis fiscaux. Donc ça serait très ennuyeux puisque vous savez que la BNP Paribas a 189 filiales dans les paradis fiscaux, LVMH en a 140…  Toutes les grandes entreprises françaises ont des dizaines et des dizaines de filiales dans les paradis fiscaux »

« Il n' y a pas le feu au château! »

François Hollande fait-il vraiment fuir les riches?
Dessin de Mix & Remix paru dans l'Hebdo, Lausanne
Monique et Michel Pinçon-Charlot, au cours de leurs enquêtes (comme leur Voyage en haute bourgeoisie) ont côtoyé les plus grandes fortunes françaises. Pour eux, la contribution exceptionnelle qui a été votée au Sénat jeudi 19 juillet dernier n’aura aucune incidence sur le quotidien du « haut du panier ». « Ces 30 000 foyers fiscaux qui sont assujettis à l’ISF (impôt sur la fortune – ndlr) et déclarent plus de 4 millions d’euros vont donc subir une taxation supplémentaire pour l’année 2012 et qui va leur faire payer 95 531 euros, au lieu de 39 295. Donc ma foi, si on sait soustraire à peu près, on n’a même pas 50 000 euros à payer de plus cette année. Quand on a un patrimoine de 4 millions d’euros, il n y a pas le feu au château ! » D’autant plus que « quand on a un patrimoine de 4 millions d’euros, ça veut dire qu’on a des œuvres d’art qui ne sont pas assujetties à l’ISF, qu’on a des portefeuilles de valeurs mobilières et de l’argent dans des paradis fiscaux. 95% à peu près des très grandes fortunes ont leurs revenus sous forme de liquidités, de placements financiers ». La sociologue est donc sans équivoque : « ce ne sont pas des exilés fiscaux, se sont des déserteurs ».
La menace de l'exil fiscal n'est pas valable pour Monique Pinçon qui constate non seulement qu'ils ont déjà déserté, mais aussi que « ce chantage là, quoi qu’on fasse, sera constant ». Elle cite en exemple la baisse du bouclier fiscal par le président sortant il y a cinq ans, au terme de laquelle le nombre de « déserteurs » avait augmenté. « Quand on est dans le haut du panier, qu’on travaille sur les grandes fortunes, de toute façon, ça n’est jamais assez. »

« Taxez-nous » !

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Philippe Varin, le PDG de PSA (Photo AFP)
Ces grandes fortunes ne sont-elles pas pour autant des créatrices d’emploi ? « Absolument pas, répond la sociologue, ils se présentent comme des entrepreneurs, des créateurs d’entreprises, des créateurs d’emploi, des investisseurs, alors qu’en réalité, la partie spéculative a pris le dessus sur la partie entrepreneuriale que ce soit au niveau des services, ou de l’industrie » L'entreprise PSA par exemple, à qui l'Etat avait prêté plusieurs milliards d'euros en 2009 et qui a annoncé le licenciement de 8000 personnes, se répand à Malte en sous-filiales d'assurance, entre autres activités financières , largement plus fructueuses que sa production industrielle.  
L'actuel PDG de PSA Philippe Varin, avait d'ailleurs signé, en août 2011, un appel dans le Nouvel Obs intitulé « Taxez-nous ». Avec seize autres « super-riches » dont Jean-Paul Agon, le PDG de L’Oréal ou encore le PDG de Total Christophe de Margerie, il demandait« l’instauration d’une ‘contribution exceptionnelle’ qui toucherait les contribuables français les plus favorisés ». La contribution votée, exauçant ainsi leur vœu, nous avons cherché à les contacter, en quête de leurs expressions de soulagement. Sans succès. Peut-être l’attitude de l’instigateur de cet appel, le PDG de Publicis Maurice Levy est-elle représentative de l’ensemble des signataires : au printemps 2012, il touchait 16 millions d’euros de « bonus différés » de la part de son entreprise. Il n’a réclamé aucune taxation.
Sociologues, anciens directeurs de recherche au CNRS, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot ont notamment publié "Grandes Fortunes. Dynasties famililales et formes de richesse en France" (Payot,1996), "Sociologie de la bourgeoisie" (La découverte, 2000), "Les Ghettos du Gotha" (Seuil, 2007). Ils présentent ici leur enquête sur l'oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy, "Le président des riches" (Zones, 2010). Le couple s'apprête à faire paraître, en août 2012, une enquête sur les hautes sphères de la finance,"Sans foi ni loi" aux éditions Textuel.