François Hollande s'est fait élire avec la promesse d'un retour à une présidence "normale", en opposition à l'hyper présidence de son prédécesseur. Mais la question de la normalité présidentielle n'est-elle pas un arbre qui cache une forêt d'anormalités bien plus importantes et non-résolues ? Entretien avec le directeur du site français d'informations Médiapart Edwy Plenel quelques heures avant l'intervention télévisée du chef de l'Etat.
Le président de la République française était hier l'invité du journal télévisé. En forte baisse dans les sondages après quatre mois à l'Elysée, il a précisé son calendrier et son plan d'action.
Edwy Plenel : “Le cœur du problème c'est l'anormalité du système institutionnel, d'une dépossession du parlement“
09.09.2012Par Pascal HérardLe candidat "normal" Hollande s'est fait élire en insistant sur sa volonté d'être un président…"normal". Cette normalité était, semble-t-il, un axe important pour permettre un retour aux fondamentaux de l'exercice du pouvoir présidentiel et démocratique face à un Nicolas Sarkozy sur tous les fronts durant le dernier quinquennat, adeptes des déclarations fracassantes et d'une omniprésence médiatique telle, qu'elle en était devenue inquiétante pour la majorité des observateurs de la Vème République. Pourtant, le président Hollande est ce soir sur une chaîne nationale afin de répondre aux questions de Claire Chazal, après seulement trois mois et demi à l'Elysée. Cette intervention du président de la République vient suivre quelques déclaration de sa part sur "l'urgence de la situation" et le besoin de "passer à une vitesse supérieure". Il faut revenir en arrière et se souvenir du premier ministre François Fillon. Ce premier ministre qui n'existait que dans l'ombre de son "patron" : les grandes annonces gouvernementales étaient toujours portées par la voix de Nicolas Sarkozy, jamais ou presque par Fillon ou l'un de ses ministres. Le rythme des réformes, de la vie politique a été marqué durant les cinq dernières années par un hyper-président encensé au départ pour son courage et son énergie, puis raillé et finalement décrié par les médias, mais toujours au centre de ceux-ci. Nicolas Sarkozy était la "figure incontournable liée au destin du pays" : à la fois sauveur potentiel, annonciateur de crises et de sacrifices ou de ruptures, seul maître à bord d'une politique qu'il incarnait intégralement. Le nouveau président François Hollande a donc promis de ne pas endosser ce rôle, déclaré "détestable". Et pourtant, depuis la rentrée parlementaire, le président socialiste semble glisser implacablement vers sa propre mise en scène, sa mise en avant, jusque là évitée…mais surtout, sans vouloir amener dans le pays une nouvelle respiration démocratique pourtant très attendue par les électeurs.
Hollande vient parler…du style de Hollande
C'est dans
une interview donnée au journal le Monde ce vendredi 7 septembre que le président François Hollande confie son analyse sur le "style" qu'il entend adopter : ni trop distant, ni trop sur le devant de la scène. Une sorte d'équilibre entre François Mitterrand et Nicolas Sarkozy ? "Ça n'est pas simple. Si je suis lointain, on dit: "Il est hautain." Si je suis réactif, on dit: "Il fait du Sarkozy." Si je prône le compromis, on dit: "Il est hésitant." Et quand je suis à l'étranger, on dit: "Mais il ne s'occupe pas de nous!" Je ne veux pas être comme le bouchon au fil de l'eau: changer, passer d'un état à un autre. Il faut de la constance. Un style, cela s'imprime au fur et à mesure." Mais en venant parler de lui-même au journal le Monde, en exposant ses considérations à propos du "style", le président n'est-il pas déjà entré dans le jeu médiatique de la personnalisation du chef de l'Etat imposé par celui…à qui il ne veut pas ressembler ? Interrogé à ce propos, Edwy Plenel, journaliste politique et directeur de publication
du site d'information Mediapart , place les enjeux politiques de la présidence Hollande et Sarkozy à un autre niveau : "Hollande s'est installé dans une normalité en opposition à l'anormalité de Sarkozy, et c'est une bonne chose sur le plan de l'agitation, mais la vraie mauvaise surprise c'est qu'il ne parle pas au pays dans cette normalité là. Hollande ne parle pas à ceux qui l'ont élu, il ne fait aucune pédagogie." Pour Edwy Plenel, Hollande et son gouvernement renvoient "du vide, de la confusion, du silence". Et plus particulièrement au niveau du rôle de l'assemblée nationale : "la dernière session parlementaire a été très peu active, il n'y a pas de débat, et c'est normal puisque des choses très importantes ont été confiées à des commissions, dont celle de Jospin pour la rénovation démocratique."
Avoir un “style“…et ensuite ?
Malgré toutes les précautions que le chef de l'Etat emploie pour tenter de justifier cette attitude intermédiaire qu'il souhaite adopter, attitude qu'il veut "équilibrée", la coïncidence entre son changement de ton, sa mise en avant plus importante, sa moins grande réserve et les enquêtes d'opinion, est troublante. La perte (unique par sa rapidité) de 11 points dans les sondages pour le seul mois d'août n'est certainement pas pour rien dans cette volonté du chef de l'Etat de venir s'exprimer dans les médias et démontrer son implication présidentielle. Une partie de la presse a déjà commencé à pratiquer le "
Hollande bashing " et les critiques les plus acerbes fleurissent : inertie, mollesse, renoncement, attentisme, jusqu'au reniement pour ceux qui attendaient le "changement c'est maintenant"…maintenant. C'est-à-dire dès le début du mandat. Le gouvernement Ayrault cafouille un peu, les "couacs" entre ministères et autres "erreurs de communication" ont déjà alimenté la machine critique médiatique. Les chiffres du chômage, de la croissance, sont mauvais et la crise européenne s'accentue. François Hollande est donc venu en cette rentrée expliquer à tous que l'heure était grave : cette dramatisation un peu artificielle et surtout tardive (la crise était déjà profonde il y a trois mois, ndlr) rappelle celle d'un Nicolas Sarkozy, expliquant son action pour "sauver l'Europe", et pourquoi pas, le monde, "de la crise la plus terrible jamais subie depuis 1929…"
Où sont vraiment l'anormalité et la normalité ?
Il semble donc que la présidence de la République française soit désormais conditionnée à un rythme imprimé par le quinquennat de Nicolas Sarkozy : celui des médias, d'une certaine urgence dans la communication, des enquêtes d'opinion, du rassurement des citoyens et de l'action-réaction, ou tout du moins, de la parole présidentielle en action-réaction. Avec le "style" pour différencier celui qui préside. Mais pourtant, derrière ces postures, un constat bien plus important est effectué par le rédacteur en chef de Mediapart : "Le cœur du problème c'est l'anormalité du système institutionnel, d'une dépossession du parlement. Si l'on prend par exemple la commission Jospin sur la rénovation démocratique, c'est profondément anormal. Cette commission travaille dans l'opacité la plus totale, il n'y a pas de site Internet, elle va donner une proposition clef en main sans aucun débat. Il n'a été fait aucun geste pour que le lieu de l'élaboration de la rénovation démocratique soit le parlement ! Il faut que Hollande rompe avec cette pratique anormale, qu'il donne un signal fort sur la démocratisation des débats, sur le rôle du parlement." Ce que Hollande ne fait pas, si ce n'est en mots, pour l'heure, et ce que Edwy Plenel dénonce : "L'erreur politique de Hollande pour l'instant c'est de ne pas faire confiance au jeu démocratique. Désormais, c'est le gouvernement qui serait l'unique centre de décision et de discussion politique, avec en plus un appel à la discipline qui mène à la tentation d'une majorité disciplinaire. Il y a pourtant des sensibilités différentes dans la majorité au pouvoir, avec les écologistes plus particulièrement. Et l'on entend parler de discipline, de rentrer dans le rang ! La petite musique de l'été a été celle pour rassurer les marchés et expulser les Roms, alors que le gouvernement doit se recentrer là où il est attendu : la justice, la dynamique démocratique. C'est le rôle de la presse de rappeler cet aspect des choses, parce que si nous laissons les grandes décisions se prendre dans le secret d'un bureau, il y a un grand danger. Particulièrement celui que les forces de l'argent l'emportent…" L'intervention télévisée du chef de l'Etat de ce dimanche 9 septembre 2012 est attendue, mais sur quels critères sera-t-elle jugée ? Si c'est avec le filtre de l'attitude, du style et de la seule réaction à une situation, ou encore de futures décisions gouvernementales, il est probable que l'essentiel soit oublié : la normalité que Hollande devait offrir est celle qui devait permettre de retrouver un véritable espace démocratique : des institutions qui respirent et non qui se plient aux injonctions d'une majorité toute puissante aux ordres d'un pouvoir dominé par la volonté de réussir seulement par lui-même. C'est cette normalité là que le chef de l'Etat avait promise. L'intervention de ce soir permettra donc, peut-être, de mieux savoir quelle est réellement cette normalité revendiquée. Mais au delà du style…
Mediapart et Edwy Plenel
Depuis fin 2007, date de la création de la SAS Mediapart, Edwy Plenel dirige Mediapart, journal d'information payant sur internet, en tant que président de la société éditrice et directeur de publication du journal. Six fondateurs sont à l'origine de la création du journal en ligne Mediapart : outre Edwy Plenel, il s'agit de François Bonnet (directeur éditorial), Gérard Desportes, Laurent Mauduit, Marie-Hélène Smiéjan (directrice administrative et financière) et Godefroy Beauvallet. Mediapart est également à l'initiative de la création, à l'automne 2009, du Syndicat de la presse indépendante d'information en ligne (SPIIL), dont Edwy Plenel est le secrétaire général. En mars 2011, Edwy Plenel a annoncé le lancement de FrenchLeaks, site de documentation et d'alerte animé par Mediapart et inspiré de WikiLeaks, dont Mediapart est l'un des partenaires. (Source wikipedia)