Francophonie au Canada : la langue française en progrès au Yukon

Le Yukon est l’un des trois territoires qui composent le Canada, en plus des dix provinces. Situé dans l’ouest du pays, au nord de la Colombie-Britannique et à la frontière de l’Alaska, ce territoire presque aussi grand que la France, est maintenant le troisième endroit le plus bilingue du pays, après le Nouveau-Brunswick et le Québec. C’est même l’un des coins du Canada où la langue française enregistre des progrès depuis des années. 

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Le drapeau franco-yukonnais et le drapeau canadien au Yukon.

Le drapeau franco-yukonnais et le drapeau canadien au Yukon.

ICI Radio-Canada/Mark Evans
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Les chiffrent parlent d’eux-mêmes. Selon le dernier recensement de Statistique Canada, près de 15% des quelque 45 000 habitants du Yukon peuvent soutenir une conversation en français, un nombre qui a plus que doublé depuis 1991, passant de 2 595 (soit 9,4%), à 5 745 (soit 14,4%). 

« À tous les niveaux, nous avons des augmentations au recensement de 2021, que ce soit au niveau du français langue maternelle, du français comme langue première parlée, et du bilinguisme, on est la troisième place la plus bilingue au Canada, » se réjouit Isabelle Salesse, la directrice de l’Association franco-yukonnaise, un organisme créé en 1982 et consacré à la défense des intérêts de la communauté francophone du Yukon. 

Ces progrès notables du français au Yukon au cours des trente dernières années s’expliquent par trois phénomènes : la mise en place d’un réseau scolaire francophone et de programmes d’immersion française dans les écoles anglophones du territoire, le travail de long terme de l’Association franco-yukonnaise pour maintenir le français au Yukon et l'augmentation de l’immigration francophone.

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Le premier pilier de la langue française au Yukon : l’école

Il n’y a pas de secret : pour qu’une langue vive et s’épanouisse, il faut qu’elle soit enseignée sur les bancs de l'école. C’est désormais le cas pour le français au Yukon. 

Tout d’abord, au sein du réseau anglophone, ont été mis en place des programmes d’immersion dans la langue française qui ont tellement suscité d'engouement qu’il y a des listes d’attente. « Les classes d'immersion en général sont pleines. Il y a des listes d'attente pour entrer et puis c'est valorisé par la communauté d'avoir deux langues » explique Catherine Bolduc-Gagnon, titulaire d’une des 10 classes d’immersion de l’école primaire Selkirk de Whitehorse. 

La Québécoise d’origine enseigne à 23 élèves âgés de dix ans qui apprennent le français depuis leur maternelle. « Pour moi, ce n'est pas juste une autre langue. Je veux être docteur, alors c'est vraiment une bonne chose que je parle deux langues, ça ouvre des portes dans le monde que d’autres personnes ne vont peut-être jamais avoir » nous dit Emily Rook, une des élèves. 

Son amie Avery Mcloughlin ajoute : « C'est comme de la magie pour moi. Ca m'a fait voir toutes les choses que tu ne peux pas voir quand tu parles juste une langue, je peux faire plus de connections et avoir plus de fenêtres ouvertes ». Emily et Avery font partie des quelques 900 élèves inscrits dans ces programmes d’immersion française offerts dans trois établissements anglophones du Yukon. 

Emily Rook, élève dans une des classes d’immersion de l’école primaire Selkirk de Whitehorse dans le Yukon.

Emily Rook, élève dans une des classes d’immersion de l’école primaire Selkirk de Whitehorse dans le Yukon. 

© Catherine François

« Je pense qu'il y a une grande volonté pour les prochaines générations d'être bilingues, les parents veulent avoir des enfants qui parlent deux langues. Ton cerveau, ta perception de la vie changent, se transforment quand tu es capable de communiquer dans deux langues, ça ouvre vraiment les perspectives, ça ouvre les portes de ton cerveau » constate Catherine Bolduc-Gagnon.

De la crèche au collège secondaire

En plus de ces programmes d’immersion dans le réseau anglophone, il existe au Yukon un réseau scolaire francophone depuis la création, en 1996, de la Commission scolaire francophone du Yukon. L’organisme gère une garderie – l’équivalent d’une crèche publique – une école primaire et un collège secondaire. Et les listes d’attente sont aussi remplies pour intégrer ces trois établissements nous dit Jean-Sébastien Blais, président de la Commission scolaire francophone du Yukon. 

« À tous les niveaux, que ce soit maternelle, primaire, secondaire, on voit un engouement à s'inscrire chez nous. Cela en dit long sur le travail exceptionnel que notre équipe fait au niveau administratif et au niveau pédagogique. La demande est là parce que le Yukon grandit au niveau démographique et parce qu’il y a une croissance de la communauté francophone et puisqu'on a des programmes crédibles, de qualité, les gens n'ont pas d'hésitation à venir s'inscrire chez nous »

Une classe d'immersion française de l'enseignante Catherine Bolduc-Gagnon, titulaire d’une des 10 classes d’immersion de l’école primaire Selkirk de Whitehorse dans le Yukon.

Une classe d'immersion française de l'enseignante Catherine Bolduc-Gagnon, titulaire d’une des 10 classes d’immersion de l’école primaire Selkirk de Whitehorse dans le Yukon.

© Catherine François

Jean-Sébastien Blais nous explique le long combat judiciaire que la Commission a dû mener auprès des autorités yukonnaises pendant de longues années pour ouvrir les portes du collège secondaire il y a deux ans. Et ce collège affiche déjà complet. 

« On est vraiment chanceux parce que la communauté a toujours voulu cette école secondaire, pour que les enfants restent au secondaire, souligne Anie Desautels, enseignante de français au collège. Je suis maman, moi aussi, et je ne me vois pas envoyer mes enfants ailleurs, c'est très important pour moi qu'ils soient bilingues et de préserver le français ». 

L’enseignante estime que l’école joue un rôle important de réseautage pour la communauté francophone, « c’est là que les parents se rencontrent, c'est là qu'on crée des liens entre nous souvent ».

Des effectifs qui explosent

Le grand défi, en fait, de la Commission scolaire francophone du Yukon, c’est de gérer la croissance de ses établissements : le nombre d’élèves a triplé en trente ans. 

« L'avenir est rayonnant, estime Jean-Sébastien Blais. Je crois que le succès que nous avons aux programmes, aux écoles me porte à croire qu'on va développer d'autres écoles à Whitehorse, notamment une nouvelle école primaire et une garderie pour que dès leur plus tendre enfance, les petits puissent venir chez nous. L’avenir, c’est aussi le développement des études postsecondaire, nous sommes en train de concevoir des programmes en partenariat avec l’Association franco-yukonnaise. Et nous allons poursuivre aussi notre partenariat étroit avec les premières nations du Yukon ».

Le deuxième pilier de la langue française au Yukon : l’Association franco-yukonnaise

L’Association franco-yukonnaise a été créée en 1982 pour que la communauté francophone du Yukon puisse avoir accès à des services en français sur le territoire. « La mission de l'AFY, c'est de s'assurer qu'il y ait des services en français, que les gens, les francophones, les parlants français puissent vivre et s'amuser en français au Yukon, que les enfants grandissent en français et qu'on ait les ressources en français » explique la directrice de l'association depuis 12 ans, Isabelle Salesse. 

C’était, à la base, un organisme qui avait surtout une vocation culturelle mais qui, rapidement, a déployé ses activités dans toutes sortes de domaines. 

« L’AFY, avec le temps, est devenu un guichet unique : en plus de notre rôle de porte-parole auprès des autorités, des politiciens et des bailleurs de fonds, il y a toute une série de services directs à la communauté, poursuit Isabelle Salesse. Entre autres on a un service d'aide à l'emploi, un service d'accueil pour les immigrants francophones, un service de formation, on est en train de développer un service au niveau du post-secondaire en français, on a un service d'aiguillage au niveau des services de justice, on a des services pour les entrepreneurs touristiques pour faire la promotion du tourisme en français au Yukon ».

Isabelle Salesse, directrice de l'Association franco-yukonnaise.

Isabelle Salesse, directrice de l'Association franco-yukonnaise.

© Catherine François

L’AFY, qui compte plus de 35 employés et dispose d’un budget de 4 millions de dollars par an, est donc la première porte à laquelle frappe tout francophone qui s’installe au Yukon pour s’installer, trouver un logement – véritable défi sur tout le territoire -, trouver un emploi, suivre des formations, inscrire ses enfants à l’école, se faire aider à remplir les documents pour son immigration et autres démarches administratives etc.

L’AFY joue donc un rôle essentiel pour toute la communauté franco-yukonnaise souligne Angélique Bernard, qui a été la première commissaire francophone du Yukon, soit la représentante du gouvernement canadien sur le territoire : « Depuis le début des années 2010, l'Association franco-yukonnaise a fait beaucoup d'efforts sur le côté touristique et développement économique. Elle participe à des foires destination Canada, des foires en France, en Belgique en Tunisie et le kiosque du Yukon. Il y a tout le temps plein de monde ».

Une francophonie des peuples

La promotion du Yukon à l'international a porté ses fruits, puisque de plus en plus de francophones viennent s'y installer. Ils viennent de France, de Belgique, de Suisse, du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. Cet afflux de francophones explique la vitalité de la langue française sur le territoire. « Il y a vraiment une croissance de la population francophone d'Europe, surtout de France et de Belgique, c'est assez incroyable. C'est un grand changement » déclare Jeanne Beaudoin, ex-directrice de l’Association franco-yukonnaise.

Il y a vraiment une francophonie des peuples ici au Yukon, les gens viennent de partout. Marie-Hélène Comeau, artiste en arts visuels

« Dans les dernières années, on voit aussi une diversité dans cette francophonie qu'on n'avait pas avant. Avant, la francophonie yukonnaise, c'était très blanc, le Français de France et le Québécois, et depuis quelques années on voit de plus en plus de gens qui viennent d'Afrique du nord, du Cameroun, d'Haïti. C'est une richesse. » estime Isabelle Salesse.

Un avis partagé par l’artiste en arts visuels, Marie-Hélène Comeau, qui adore faire des projets artistiques avec sa communauté. « Il y a vraiment une francophonie des peuples ici au Yukon, les gens viennent de partout. On se reconnait par la langue, on partage le même code linguistique mais culturellement c'est une découverte, on ne se connait pas personnellement, d'où mon intérêt à faire des projets d'art communautaire, c’est fascinant et stimulant » explique-t-elle. 

L’artiste parle même d’une identité francophone yukonnaise : « C’est une identité multiple parce qu'on vient de milieux très différents, de culture, de générations très différentes... On partage tous ce territoire, avec des cultures différentes, alors ça donne une identité franco-yukonnaise super riche par rapport à son territoire, son histoire passée et actuelle ».

Le Centre de la Francophonie à Whitehorse, où se trouvent les bureaux de l'Association franco-yukonnaise.

Le Centre de la Francophonie à Whitehorse, où se trouvent les bureaux de l'Association franco-yukonnaise.

© Catherine François

Une communauté qui se serre les coudes et mène les combats quand il faut les mener

« On a fait un progrès extraordinaire depuis 1982 mais il y a encore beaucoup à faire » glisse Jeanne Beaudoin, surnommée "Madame Francophonie" au Yukon. Elle a été de toutes les luttes pour la langue française au cours des dernières décennies, notamment en étant à la tête de l’Association franco-yukonnaise pendant plusieurs mandats. 

« Quand je suis arrivée en 1982, il n’y avait presque rien, la seule option, c'était de parler français aux enfants à la maison et de s'assimiler, se souvient la Québécoise d’origine. Il y avait 15% de la population qui avait un héritage francophone mais plusieurs d'entre eux ne parlaient plus la langue à ce moment-là. La communauté francophone a commencé à s'organiser et on a développé les services, on a créé une école, une garderie au fil des ans. Et ce qu'on voit aujourd'hui c'est une communauté qui peut conserver sa langue parce qu'elle a accès à des institutions, un service de garde et des écoles ». 

Mais « Mme Francophonie » se désole de voir que l’anglais reste encore la plus parlée chez les jeunes qui sont nés au Yukon, même s’ils parlent aussi français, et cela l’inquiète : « J'ai l'impression qu'on fait encore trop souvent trois pas en avant, mais deux pas en derrière. Mais cela reste réjouissant de voir que c'est une communauté jeune et en croissance, une communauté qui n’est pas artificielle ».

Angélique Bernard, qui a fini en mai 2023, son mandat de cinq ans de Commissaire du Yukon, croit notamment que l’un des reculs actuels pour la langue française, c'est dans le domaine de la santé : « Cela reste un domaine préoccupant parce que, même si on est parfaitement bilingue, quand il t'arrive un accident, tu vas tout de suite revenir à ta langue maternelle. Tu veux te faire comprendre dans ta langue maternelle, donc la santé pour moi ça va être un domaine à surveiller pour les prochaines années ».

Le Centre scolaire secondaire communautaire Paul-Émile-Mercier.

Le Centre scolaire secondaire communautaire Paul-Émile-Mercier.

© Catherine François

Quel avenir pour la langue française au Yukon ?

Une grande partie des francophones sont optimistes quant à l'avenir de la langue française au Yukon, comme l’artiste Marie-Hélène Comeau : « Il y a un bel avenir pour notre langue, parce que, même si on vient tous d'ailleurs, on s'est tous adapté à ce territoire qui est différent. Les liens sociaux sont faciles à créer, c’est un tissu social qui est très fort et qui a en commun cette langue-là. On veut la garder, cette langue, parce qu'elle est rattachée à nos origines mais on veut aussi la faire fleurir ici, qu’elle prenne sa place, sa couleur ici aussi ».

Je pense qu'on est en train de développer une culture franco-yukonnaise. Mes enfants, qui sont nés au Yukon, ont une culture qui leur est propre. Ce n'est pas ma culture et ce n'est pas la culture québécoise traditionnelle que j'ai apprise. Anie Desautels, enseignante de français au collège

Un avis partagé par Catherine Bolduc-Gagnon : « La communauté francophone est très forte, très solide. Elle a beaucoup ouvré par le passé pour la langue, ce qu'il fait que je peux vraiment vivre en français, être servie en français partout ».

L’enseignante Anie Desautels, d’origine québécoise, revient sur le concept d’une culture francophone propre au Yukon : 

« Je pense qu'on est en train de développer une culture franco-yukonnaise. Mes enfants, qui sont nés au Yukon, ont une culture qui leur est propre. Ce n'est pas ma culture et ce n'est pas la culture québécoise traditionnelle que j'ai apprise. Pour mes enfants, le français est beaucoup plus élargi que la version québécoise fermée qu'on avait. Ce que je vois, c'est le développement de cette culture franco-yukonnaise qui prend un peu le meilleur de tous les membres de la francophonie et qui crée quelque chose de nouveau. Je vois que les Francophones qui viennent s'établir ici vont contribuer à nourrir la culture franco-yukonnaise ».

L’historien Yan Herry voit l’avenir sous un beau jour lui aussi : « Je suis très optimiste, comme au temps de la ruée vers l'or, on peut vivre en français au Yukon. De savoir aussi que les générations actuelles utilisent les services en français et envoient leurs enfants à l'école française, qu'il y a un intérêt pour la diversité de cultures, de langues. Je pense que ça contribue à la vitalité de la communauté francophone. Entre la société qui est plus réceptive et une francophonie qui a les institutions pour se développer, je suis optimiste ».  

Yann Herry, historien et fondateur de la Société d’histoire francophone du Yukon.

Yann Herry, historien et fondateur de la Société d’histoire francophone du Yukon.

© Catherine François

Isabelle Salesse pense que la francophonie va continuer de grandir au Yukon, mais elle note : « Si on survit, si on grandit comme on le fait ici au Yukon c'est parce qu'on ne lâche pas, c'est parce qu'on est vigilant aussi ». « Le Yukon, c'est une terre de possibilités » déclare Angélique Bernard. « On est là pour rester... » conclut Jeanne Beaudoin.