Francophonie : quelle influence diplomatique pour l'OIF ?

Dès l'ouverture du XIXe sommet de la Francophonie organisé à Villers-Cotterêts, vendredi 4 et samedi 5 octobre, le président français Emmanuel Macron a plaidé pour une francophonie comme « espace d'influence diplomatique ». Mais quelle est l'influence réelle de l'OIF sur les conflits actuels dans le monde ?

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Sommet de la Francophonie

Le président français Emmanuel Macron, 3e à droite, la secrétaire générale de l'Organisation internationale de la Francophonie Louise Mushikiwabo, 2e à droite, et Brigitte Macron, 3e à gauche, posent parmi les chefs d'État pour une photo de groupe lors du XIXe sommet de la Francophonie à Villers-Cotterets, en France, le vendredi 4 octobre 2024.

Ludovic Marin, Pool via AP
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« La Francophonie est un espace d'influence diplomatique qui nous permet d'embrasser les enjeux du siècle », a déclaré le président de la République française, Emmanuel Macron, vendredi 4 octobre lors de l’ouverture du XIXe sommet de la francophonie, à Villers-Cotterêts, dans le nord de la France. 

En faisant référence à l’Ukraine et au Liban, il a plaidé pour un espace francophone uni avec une diplomatie qui défende partout la « souveraineté et l'intégrité territoriale ». Mais de quel poids diplomatique l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) bénéficie-t-elle réellement à l’échelle internationale ? Quelle influence a la francophonie sur les crises mondiales actuelles ?

La francophonie est avant tout le partage d’une langue commune, le français. Plus de 321 millions personnes la parlent sur les cinq continents. Elle est la cinquième la plus parlée au monde. D’ici 2070, le nombre pourrait grimper à 750 millions de locuteurs. 

L’Organisation internationale de la francophonie, institution intergouvernementale de promotion de la langue française et de sa diversité culturelle et linguistique, définit la francophonie comme « un dispositif institutionnel voué à promouvoir le français et à mettre en œuvre une coopération politique, éducative, économique et culturelle au sein des 88 États et gouvernements » membres. Parmi les missions de l’OIF, on retrouve aussi la promotion de la paix, la démocratie et les droits de l’Homme. 

Un tournant plus politique

« À partir des années 2000, nous sommes devenus une organisation qui n'a pas abandonné la langue française et la culture, mais qui a ajouté d'autres champs d'action dans le domaine de la coopération et a pris un tournant beaucoup plus politique », explique la Secrétaire générale de l’OIF, Louise Mushikiwabo, dans un entretien accordé à l’AFP. 

Si le sommet de deux jours a eu pour thème « Créer, innover et entreprendre en français », il a été aussi l'occasion pour les dirigeants, réunis à huis clos, d'échanger sur des sujets brûlants comme la guerre au Proche-Orient et les conflits armés en Afrique. 

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Dans son discours à Villers-Cotterêts, Emmanuel Macron a assuré que la francophonie « défend une vision où il n'y a pas de place pour les doubles standards, où toutes les vies se valent pour tous les conflits à travers le monde ». « Il ne pourra y avoir de paix au Proche-Orient sans solution à deux États » israélien et palestinien, a assuré le président, évoquant aussi le Liban « aujourd'hui bousculé dans sa souveraineté et sa paix ».

Le Premier ministre tunisien Kamel Madouri, dont le pays avait organisé le précédent sommet de l'OIF en 2022, a convenu que la communauté francophone devait « jouer son rôle dans la recherche de solutions aux crises ». « Cependant, nous rejetons toute immixtion dans les affaires internes des pays, le principe de respect mutuel et de la souveraineté des États est sacro-saint à nos yeux », a-t-il lancé. 

Dénonçant un « génocide » à Gaza et les actions militaires d'Israël au Liban, le Premier ministre tunisien a insisté pour que l'OIF s'exprime en faveur d'un « cessez-le-feu immédiat » au Proche-Orient. Dans son discours de clôture du sommet, Emmanuel Macron a déclaré que les 88 membres de l'OIF demandent « unanimement » un cessez-le-feu « immédiat et durable » au Liban, autre membre de l'organisation, sous le feu de frappes israéliennes. Le président de la République française a également remercié les membres de l'OIF « d'avoir approuvé l'organisation par la France d'une conférence internationale de soutien au Liban » en octobre.

L'organisation de promotion de la langue française s'est progressivement muée en un « bloc » politique à l'influence encore « modeste » mais croissante, a assuré la Secrétaire générale de l’organisation, Louise Mushikiwabo, qui concède que « ce n'est pas la Francophonie qui va régler la question du Liban ».

Le sommet a pour devise "créer, innover et entreprendre" mais, pour décrire la francophonie, les termes "inégalités, pauvreté et injustices" auraient été plus justes. Alan Anic, chargé de plaidoyer pour Oxfam.

Peser sur les crises est d'autant moins aisé avec un budget total de 67 millions d'euros pour tout l'espace francophone. Dans un communiqué, l'ONG Oxfam, qui lutte contre la pauvreté, dénonce pour sa part « l'hypocrisie » de la France qui a coupé selon elle un quart de son aide publique au développement (APD) depuis deux ans, alors que « 70 millions de francophones ont besoin d’une aide humanitaire d'urgence ». « Le sommet a pour devise « créer, innover et entreprendre » mais, pour décrire la francophonie, les termes « inégalités, pauvreté et injustices » auraient été plus justes », a dénoncé Alan Anic, chargé de plaidoyer pour Oxfam.

L’ONG n’est pas la seule à émettre des critiques à l’encontre de l’OIF. Le magazine indépendant en ligne Afrique XXI a publié, au premier jour du sommet, une tribune sur la francophonie. Co-signée par plusieurs journalistes et universitaires, elle développe l’idée que la francophonie est « un projet politique mû par la vieille ambition impérialiste française ». Les signataires expliquent que, pour de nombreux pays, la francophonie est « avant tout la promotion d’une langue coloniale ». 

Sommet de la Francophonie

Le président français Emmanuel Macron ajuste sa cravate alors qu'il pose pour une photo de groupe avec les chefs d'État lors du 19e sommet de la Francophonie à Villers-Cotterets, en France, vendredi 4 octobre 2024.

Ludovic Marin, Pool via AP

« La Francophonie n'est pas la Françafrique »

Dans son entretien à l’AFP, Louise Mushikiwabo a réfuté toute domination de l'organisation par la France. « La Francophonie n'est pas la Françafrique et la Francophonie n'est pas la France », a-t-elle asséné.

Si l’influence diplomatique de l’OIF semble avoir une portée limitée à l’échelle mondiale, cela se caractérise aussi par l'absence d'intervention sur certains conflits. « La francophonie n'est pas les Nations unies, elle n'a pas de troupes de maintien de la paix », souligne la porte-parole de la Secrétaire générale Louise Mushikiwabo, Oria K. Vandeweghe, interrogée par TV5MONDE. En Afrique de l'Ouest, l'action de l'OIF semble plus volontariste à l'égard de ses membres. À l'instar d'autres organisations régionales, elle a sanctionné des pays qui ont connu un coup d'État militaire. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont suspendus des instances de l'organisation jusqu'à nouvel ordre.

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En revanche, l'OIF a décidé de réintégrer la Guinée, quelques jours avant l’ouverture de la XIXe édition du sommet, le 24 septembre. « Bien qu’ayant relevé la nécessité pour la Guinée de poursuivre ses efforts sur le volet des droits et des libertés, le CPF [conseil permanent de la francophonie, instance de l’OIF] a décidé d’exprimer sa solidarité avec ce pays membre en levant totalement sa suspension », écrivait-elle dans un communiqué.  Après le putsch de septembre 2021 mené par le général Mamadi Doumbouya, alors colonel, l’OIF avait exclu la Guinée de l’organisation pour « rupture de la démocratie et de l’ordre constitutionnel ».

Le conflit entre le Rwanda et la République démocratique du Congo, qui accuse son voisin de présence militaire sur son territoire et de soutien à la rébellion du M23, n'est pas à l'ordre du jour officiel du sommet de la Francophonie. Des entretiens bilatéraux ont été menés entre le Président français Emmanuel Macron et ses homologues congolais et rwandais, Félix Tshisekedi et Paul Kagamé, mais en amont du forum. 

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À propos du conflit qui oppose les deux pays, la porte-parole de la secrétaire générale, Oria K. Vandeweghe, explique que le sommet n’est pas le lieu pour une rencontre entre les deux dirigeants. « Mais s’ils veulent saisir une occasion pour discuter, pourquoi pas », assure-t-elle.

Occasion manquée : le président Félix Tshisekedi est parti plus tôt que prévu du sommet de la Francophonie, avant le déjeuner. De source officielle, les autorités congolaises auraient été frustrées que la RDC ne soit pas citée par Emmanuel Macron comme faisant partie des pays en conflit.