200 millions de francophones en 2007 ; 220 millions aujourd’hui. Vingt millions de plus, donc. C’est un peu la divine surprise du dernier rapport sur « la langue française dans le monde » survenue dans un ensemble plus habitué à la litanie du déclin qu’aux nouvelles réjouissantes. Son enseignement comme langue seconde progresse de 6% dans la même période. La bonne nouvelle n’est pas le fruit d’un artifice comptable. Les bases de calcul - qui incluent des non-membres de l’
OIF comme l’Algérie, les Etats-Unis ou Israël – demeurent géographiquement les mêmes qu’en 2007, et même qualitativement un peu plus restrictives : sont seulement prises en compte dans une vingtaine de pays d’Afrique les personnes « sachant lire et écrire le français », ce qui laisse de côté – faute d’instrument pour les compter - tout une population non lettrée, notamment des grandes villes. On peut donc estimer, comme le notent les auteurs de l’étude, « le total plutôt sous-évalué ».
LES 9/10e DE LA FRANCOPHONIE EN AFRIQUE D’autant, et c’est l’autre fait marquant souligné par le rapport, que l’Afrique est devenue aujourd’hui la principale force vive de la francophonie : presque sa moitié, avec le Maghreb. A elle seule, l’Afrique sub-saharienne regroupe un tiers de son effectif. Une tendance promise à s’accentuer à court et moyen terme par le fait démographique mais aussi par les progrès de l’enseignement. Naguère langue de l’élite, le français se diffuse dans les sociétés africaines. En 2050, le continent devrait compter un demi-milliard d’habitants et, avec eux, les neuf dixièmes des francophones de la planète.
« C’est à la fois une bonne nouvelle et un sacré point d’interrogation pour la suite, remarque Alexandre Wollf, responsable de l’Observatoire de l’OIF à l’origine du rapport.
Cela veut dire qu’il y a un cœur battant de la francophonie qui est là, potentiellement. Mais aussi que si l’on rate le défi de la scolarisation et sa poursuite en français, la tendance peut complètement s’inverser. Ce n’est pas gagné d’avance. » L’Afrique anglophone elle-même, loin de s’opposer au mouvement, semble soucieuse d’accorder une bonne place à la langue française notamment dans l’enseignement. L’exception du Rwanda, où l’élimination du français obéit à des considérations essentiellement politiques, semble devoir rester isolée. A Madagascar, la marche vers l’anglophonie voulue par le Président démis Ravalomanana ne s’est pas beaucoup traduite dans les faits. Le bilan, comme on le pressentait, n’est pas aussi agréable dans le reste du monde et singulièrement en Europe.
REGRESSION DES LANGUES SECONDAIRES En dépit de la promotion officielle du multilinguisme au sein de l’Union européenne, son enseignement recule de 17 % un déclin particulièrement marqué dans des pays qui lui étaient historiquement favorables : Bulgarie, Pologne, Roumanie, Grèce… Un peu partout, il pâtit, tout comme l’allemand, non seulement de l’hégémonie de l’anglais mais aussi de la disparition progressive de l’apprentissage de plusieurs langues, se retrouvant souvent en concurrence avec l’espagnol qui, lui, se maintient ou progresse. « La désaffection du public, précise le rapport, tient avant tout au déclin du français en tant que langue internationale offrant des débouchés universitaires et professionnels. » Moins riant encore est le sort du français dans les institutions internationales. Seconde langue de travail officielle de l’ONU, sa position effective est en pratique devenue bien éloignée de son statut. Si le multilinguisme reste la règle dans les assemblées, l’anglais, désormais, exerce une domination sans partage dans son administration et ses documents alors que les procédures de recrutement favorisent systématiquement les anglophones dans toutes les instances. L’Organisation, du moins, paraît désireuse d’un certain rééquilibrage et plusieurs mesures en ce sens ont été prises depuis quelques années, confirmées par un Secrétaire général … qui prend lui-même des cours de français.
L’ANGLOPHONIE BRUXELLOISE On ne peut en dire autant des structures de l’Union européenne d’où le français est depuis quelques années assez ouvertement chassé. Si les élargissements ont précipité sa chute, ils n’en sont pas pour autant la seule cause. A la fin des années 90, plus de la moitié des documents de travail de la Commission étaient encore rédigés en français. Ce chiffre est aujourd’hui tombé à moins de 10 %. « Lors des réunions, des conférences et des points presse, la langue utilisée à plus de 90 % est l’anglais, alors que 90 % des participants maîtrisent autant le français », observe le rapport. A l’inverse de ses principes, des traités et même des langues de ses peuples à près de 90 % non anglophones, l’Europe qui se construit, à Bruxelles, devient une structure d’expression anglaise avec l’étrange assentiment … de français.