L'agenda militaire entre Israël et l'Iran coïncide avec le retrait des Etats-Unis des accords sur le nucléaire iranien. Les roquettes tirées sur Israël par l'Iran l'ont été en réponse à un bombardement de l'Etat hébreux en Syrie, qui a ensuite riposté. Ces frappes entre les deux pays via la Syrie n'ont rien d'exceptionnelles, sauf peut-être cette fois-ci l'intensité de la riposte israélienne. Analyse du spécialiste en droit et conflits internationaux, Thomas Flichy de La Neuville, sur les coulisses de cette "guerre médiatique militaire".
Des roquettes iraniennes ont été tirées vers Israël jeudi 10 mai 2018 suite à un bombardement israélien en Syrie, deux jours auparavant. Des Iraniens seraient morts dans ce bombardement, d'où cette riposte de l'armée iranienne à l'encontre d'Israël, qui aurait ensuite justifié ses tirs vers la Syrie… en représailles. Que signifie cette potentielle escalade militaire — via la Syrie — entre deux pays ennemis soutenus chacun par des grandes puissances? Entretien avec le spécialiste Thomas Flichy de La Neuville, chef du département des études internationales à l'Ecole Spéciale de Saint-Cyr.
Qui a tiré en premier sur l'autre, selon vous, et pour quelles raisons ?
Thomas Flichy de la Neuville
Thomas Flichy de La Neuville : Angela Merkel a fait une déclaration, très rapidement, en disant que c'était une provocation iranienne. Je pense qu'il faudrait une enquête de plusieurs jours, voire plusieurs semaines pour savoir exactement ce qu'il s'est passé. Difficile donc, à distance, de dire ce qu'il est survenu mais ce qui est suspect, c'est que ce sont des déclarations faites immédiatement après les premiers tirs, en mettant en accusation l'Iran plutôt qu'Israël.
Il y a bien eu des bombardements israéliens en Syrie dans lesquels des soldats iraniens sont morts, mardi, deux jours avant les tirs de roquettes iraniens ?
T.F.: Oui mais des échanges de coups de dents ou de coups de griffes entre Israël et l'Iran dans le laboratoire militaire qu'est la Syrie, on en a depuis une décennie. Ce n'est donc pas quelque chose de nouveau. Ce qui est le plus important, c'est la médiatisation de ces frappes mais une médiatisation qui est toujours décalée des faits réels. Il y a, par contre, une question intéressante à la quelle je n'ai pas de réponse : Poutine a eu l'intelligence politique d'inviter Netanyahu au défilé de la victoire de la Seconde guerre mondiale et je me demande si les Israéliens ont prévenu les Russes qu'ils allaient s'en prendre aux Iraniens en Syrie ? C'est une vraie question et je n'ai pas vu d'analyse sur ce sujet. L'Iran et Israël ont des réactions de mimétisme très fort. Si l'Iran a tenté d'enrichir de façon clandestine de l'uranium, c'est bien par mimétisme par rapport à Israël qui s'est doté clandestinement de l'arme nucléaire.
Les bombardements d'Israël contre des intérêts iraniens en Syrie surviennent au même moment que la sortie des Etats-Unis des accords sur le nucléaire : coïncidence ?
T.F. : Je pense qu'Israël s'est servi du prétexte du retrait américain pour pouvoir agir, comme si Washington avait donné un blanc-seing à Israël pour pouvoir un petit peu pousser son avantage. En réalité, Washington est loin et Trump avait la promesse depuis le début de la campagne de se concentrer sur la politique intérieure américaine et en plus il a perdu la main en Syrie.
Il n'y aurait pas de stratégie militaire et politique américaine en accord avec Benjamin Nethyanau au sujet de l'Iran ?
T.F : Je pense que c'est plutôt de l'opportunisme pour Israël, qui attendait cette décision américaine dont il se sert pour pouvoir pousser les pions depuis le plateau du Golan. Les Etats-Unis ont perdu la partie au Moyen-Orient face à Poutine et le but de Donald Trump, c'est de s'assurer de sa réélection. Pour ce faire, il doit enregistrer des succès économiques à l'intérieur du pays donc ce n'est pas un problème pour lui.
Quesl objectifs cherchent à atteindre les principaux protagonistes de cette affaire, Israël, l'Iran et la Russie ?
T.F : L'objectif de long terme d'Israël, c'est naturellement la survie. C'est un Etat fragile, qui n'a pas beaucoup de profondeur stratégique mais pour réaliser ce but, ses actions peuvent s'inverser, même de semaines en semaines. Par exemple, Israël a soutenu l'État islamique (Daesh, ndlr) en soignant ses blessés et a empêché, à l'inverse, une attaque américaine sur Bachar El-Assad. Donc Israël n'a pas intérêt de la constitution à ses portes de vraies puissances. Il n'a donc pas intérêt à avoir une Syrie alliée à la Russie. La Russie a comme objectif de s'emparer du manche, qui est l'influence politique et Israël est au centre de cette influence. L'Iran a souffert de pertes de soldats d'élite dans son armée, il souhaite donc ne pas subir trop de pertes en Syrie, que le coup financier ne soit pas trop important non plus. L'Iran souhaite maintenir sa présence en Syrie et surtout éviter que le désengagement américain sur les accords sur le nucléaire aient des conséquences économiques avec les entreprises européennes. Mais les tirs de roquettes iraniens comme israéliens de jeudi sont un coup de griffe, de la communication militaire. Nous sommes dans la démonstration de force, comme avec les récentes pseudo-frappes américaines et françaises. Même s'il y a eu des morts et des blessés, nous ne sommes pas dans un conflit de haute intensité. Aujourd'hui, la plupart des interventions militaires servent à la communication politique des dirigeants…