Fraude scientifique : face à la multiplication des scandales, le CNRS réagit

Un nombre croissant d'études scientifiques sont contestées avec leur lot de scandales et de fraudes avérées. En France, le plus récent a touché la présidente du CNRS ainsi que deux de ses chercheurs en biologie. L'institut de recherche français a donc décidé de réagir et dévoilé un plan d'action contre la fraude scientifique. Comment et pourquoi les études scientifiques peuvent-elles être falsifiées ?
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CNRS
(Photo JOEL SAGET / AFP)
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Le nouveau président du CNRS (Centre nation de recherche scientifique), Antoine Petit veut renforcer sa politique visant "l'intégrité scientifique et le respect de la déontologie scientifique". Il a donc dévoilé ce 14 novembre 2018 un plan d'action pour lutter contre la fraude scientifique et notamment contre les "méconduites". Celles de son précecesseur, en l'occurrence, puisque l'ancienne présidente du CNRS qu'Antoine Petit a remplacée dans l'urgence en janvier dernier,  Anne Peyroche, a été accusée d'avoir "embelli" ou possiblement "fabriqué ou falsifié" des résultats de cinq études lorsqu'elle était employée par le Centre de l'énergie atomique (CEA). Les falsifications scientifiques ne sont pas l'apanage des Français, loin de là, mais deviennent un véritable problème mondial qui s'accentue années après années. Pourquoi et comment des chercheurs trichent-ils, et dans quelle mesure ? 

Des publications à surveiller…

Le biologiste Olivier Voinnet, membre de l'Académie des sciences et médaille d'argent du CNRS dont il est détaché en Suisse depuis 2010 a été l'objet d'une polémique mettant en cause certaines de ses publications scientifiques. A l'automne 2018, 36 articles dont il est co-signataire sont répertoriés par le site Retraction Watch parmi lesquels 23 ont dû être corrigés et 8 ont été retirés de la littérature scientifique. Patrice Dunoyer, directeur de recherche au CNRS a été aussi sanctionné.  C'est ainsi que l'organisme de recherche français, désormais sur la sellette, tente de trouver des solutions pour pallier ce problème grave, avec deux "référents", l'un sur l'intégrité scientifique, Rémi Mossari et l'autre, sur la déontologie et les lanceurs d'alerte du CNRS, Joël Moret-Bailly. Une adresse de courrier électronique — mais sous condition de ne pas être anonyme — va permettre de dénoncer des soupçons de fraude : lancement.alerte@cnrs.fr .

Dans beaucoup de cas, ces alertes sont venues d'un site : PubPeer. Le principe est simple : des articles scientifiques sont publiés sur le site et les erreurs, biais ou tricheries trouvés y sont pointés. Le site est tenu par deux scientifiques anonymes, soupconnés de travailler au CNRS. L'un des derniers en date a fait l'objet d'un article dans le Washington Post : les erreurs contenues en son sein ont été démontrées par un scientifique, Nic Lewis (sur le site de la climatologue Judith Curry) qui s'étonne de l'audience énorme que cet article a eu, au point d'être publié dans la prestigieuse revue Nature. Le sujet n'est pas anodin, puisqu'il touche le réchauffement climatique, un domaine dans lequel les biais et autres manipulations scientifiques créent des polémiques depuis des années. 

La fraude scientifique est la plupart du temps favorisée par une forte compétition entretenue entre chercheurs et peut avoir des conséquences qui vont bien au-delà de la simple rétractation d’un article.  Mais pour ce simple aspect des rétracations d'articles, le site Retraction Watch estime qu'au moins 1000 d'entre eux l'ont été dans le monde sur la seule année 2017. Un record plutôt inquiétant. 

Pourquoi et comment frauder en sciences ?

Le sujet est sensible et peu médiatisé, mais il est pourtant de grande importance : des décisions politiques sont prises, des lois sont votées, des opinions publiques se forgent sous le coup d'études scientifiques. Mais qu'est ce exactement que la fraude scientifique ?


Un consensus international définit la fraude comme « une violation sérieuse et intentionnelle dans la conduite d’une recherche et dans la diffusion de résultats », excluant par là-même « les erreurs de bonne foi ou les différences honnêtes d’opinion ». La communauté scientifique interna­tionale s’accorde ainsi pour identifier trois grands types de fraudes, connus sous l’acronyme FFP : la fabrication, la falsification et le plagiat. Fabriquer consistant à forger de toutes pièces les données d’une recherche ; falsifier, à les altérer intentionnellement de façon à les rendre plus conformes aux hypothèses que l’on privilégie ; plagier, à utiliser, voire s’approprier, les travaux ou les idées d’un autre à son insu et sans le créditer correctement.

Le journaliste scientifique Yaroslav Pigenet explique sur le blog du CNRS que "certaines fraudes ont des motifs principalement crapuleux (pour obtenir indûment un poste, une récompense ou la reconnaissance de ses pairs), parfois idéologiques (pour justifier ou susciter une politique) et relèvent simplement de l’escroquerie et/ou de la manipulation. Ce sont des cas de ce type qui, une fois découverts, ont été à l’origine des scandales les plus médiatiquement retentissants de la dernière décennie". 

Anne Fagot-Largeault,  philosophe et psychiatre française, professeure honoraire au Collège de France et membre de l'Académie des Science, donne quant à elle plusieurs explications dans un long article intitulé "Petites et grandes fraudes scientifiques —Le poids de la compétition". L'une d'elle concerne une nouvelle culture de la "triche" : "Les jeunes qui arrivent à l’université ont un niveau scientifique faible, et ils ont été éduqués dans une ambiance de triche généralisée (le Web, le téléphone portable). Nous avons là, disent-ils, « une génération de tricheurs », qu’ils soient, au demeurant, chercheurs ou banquiers ! Ensuite, il faut avouer que la politique de promotion de l’intégrité a été combattue par un lobbying tenace venant des scientifiques, qui prétendent que les enseignements d’éthique sont une perte de temps et qu’il suffit d’une bonne formation scientifique pour faire de bons chercheurs." Des enquêtes auprès des chercheurs américains et britanniques ne manquent pas de surprendre : "Interrogées sur les pratiques des collègues, plus de 14 % des personnes pointent des falsifications, et 72 % d’autres pratiques contestables". C'est sur ces constats que plusieurs initiatives privées et indépendantes ont vu le jour, dont celle du milliardaire John Arnold…

Vérifier la reproductibilité des études scientifiques

L'ancien trader John Arnold a quitté le monde de la finance a 38 ans pour se lancer dans la philanthropie en 2010. Son objectif principal est de pourfendre la "mauvaise science" en finançant des projets de vérification de la qualité des études scientifiques par la reproductibilté. Plusieurs projets ont abouti à des résultats surprenants, comme celui du chercheur en psychologie Brian Nosek ou du prodige en mathématiques John Ioannidis, converti à la recherche biomédicale. Pour le projet Reproductibilité de Nosek, plus de 270 chercheurs ont entrepris de reproduire 100 expériences de psychologie. En août 2015, Nosek a dévoilé les résultats de ses équipes : 64 % des résultats n’ont pas pu être reproduits.

Le cas de John Ioannidis est encore plus marquant : financé en 2013 par la Fondation Arnold, ce chercheur professeur de Stanford avait expliqué en 2005 dans un article désormais célèbre que les bases statistiques sur lesquelles s'appuyaient bon nombre d'études n'étaient pas suffisamment rigoureuses pour que les résultats obtenus aient une véritable valeur. Ioannidis soulignait aussi que les biais étaient légions dans la conception d'essais cliniques censés décider de la mise sur le marché de médicaments, sans oublier les intérêts financiers qui faisaient pression pour l'obtention de résultats. Cet article se nomme : "Pourquoi la plupart des résultats de recherche publiés sont faux" (Why Most Published Research Findings Are False). Mais en dehors du monde occidental, l'état des lieux de la "qualité de la science" n'est pas meilleur, puisque selon une étude officielle chinoise, "un tiers des 6 000 chercheurs travaillant dans les six plus grands instituts chinois ont reconnu avoir plagié ou fabriqué des données". 

Comment corriger un "monde biaisé" ?

Les études scientifiques ne sont pas majoritairement fausses ou falsifiées, le monde de la recherche scientifique n'est pas globalement corrompu, mais les alertes sur le sujet sont loin  d'être anedoctiques. La pression financière sur les laboratoires de recherche, la compétition entre universités, les budgets alloués "au mérite et au nombre de publications", les lobbyes de tous ordres qui s'activent, jouent en faveur "d'arrangements" de plus en plus importants de la part des chercheurs qui pour beaucoup pratiquent des biais pour que leurs résultats "collent" mieux avec ce qui est attendu. Les chercheurs sont donc sommés de "trouver", et si possible dans le sens attendu, puisque le nerf de la guerre reste le financier relié à la notoriété : qui a envie de récompenser quelqu'un qui ne trouve rien dans ses recherches ou trouve des résultats qui ne vont pas dans le sens attendu par les responsables politiques, économiques ou sa propre communauté scientifique ? 

Le plan d'action du CNRS pour inciter les chercheurs à ne pas frauder, et inciter les lanceurs d'alerte à faire connaître les "méconduites" scientifiques, est un premier pas vers une reconnaissance du problème. Quant à sa résolution, elle viendra probablement plus d'initiatives comme celles de la Fondation Arnold, des sites de vérifications comme PubPeer ou de pointage des falsifications comme Retractation Watch. Tout en gardant à l'esprit que la science, par son omniprésence est devenue profondément politique et idéologique : qui oserait par exemple médiatiser aujourd'hui cette étude sur l'évolution du climat grâce à de l'intelligence artificielle, de deux chercheurs australiens ? Pas grand monde, et ce pour une raison simple : les résultats de "The application of machine learning for evaluating anthropogenic versus natural climate change" ne collent pas avec les résultats des modèles officiels du GIEC et utilisés pour les COP et tout la politique de lutte contre le changement climatique.

Cette recherche aux résultats "politiquement incorrects" n'a pourtant pas été invalidée, ou considérée comme biaisée ou fausse, mais les résultats ne sont pas ceux attendus par les acteurs financeurs des recherches sur le climat, ni des médias. Des scientifiques, dont d'éminents climatologues continuent pourtant de regretter que des nouvelles recherches sur l'évolution du climat ne puissent être débattues, dont l'éminente climatologue Judith Curry, qui au moment de faire valoir ses droits à la retraite — pour cesser d'enseigner au Georgia Institute of Technology et ne comptant pas occuper d'autres postes universitaires ou gouvernementaux, a expliqué : "Un facteur décisif de ma résolution est que je ne sais plus quels conseils donner aux étudiants et aux jeunes chercheurs en science du climat, qui, à cause de la folie qui règne dans cette discipline, doivent souvent choisir entre l'intégrité scientifique et le suicide professionnel".

La recherche scientifique semble donc quand même avoir un véritable problème en cette fin de deuxième décennie du 21ème siècle : la rigueur et l'intégrité.