« French for all » : l'enseignement du français aux États-Unis suscite toujours de l'intérêt

C’était en décembre 2022 : de passage à la Nouvelle-Orléans, en Louisiane, le président Macron lance l’initiative « French for all », qui vise à encourager les programmes d’enseignement bilingue, anglais-français, dans les écoles publiques américaines. Une initiative qui commence à porter ses fruits.

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Le programme « French for all » lancé en décembre 2022 vise à développer les programmes d’enseignement bilingue dans les écoles publiques américaines.

Le programme « French for all » lancé en décembre 2022 vise à développer les programmes d’enseignement bilingue dans les écoles publiques américaines.

Catherine François
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Dans un bureau feutré de l'hôtel particulier qui abrite les services culturels de l’Ambassade de France aux États-Unis, sur la fameuse 5ème Avenue de New York, en face de Central Park, je rencontre le directeur de la Villa Albertine, Mohamed Bouabdallah, qui est aussi le conseiller culturel de l’Ambassade de France aux États-Unis. 

C’est lui qui est chargé de déployer cette initiative de « French for all » sur tout le territoire américain. Près de deux ans après son lancement, il en dresse un bilan positif. L'objectif : aider à l'apprentissage et à la diffusion de la langue française aux États-Unis. 

« French for all, c'est quatre programmes : le premier, ce sont les écoles bilingues américaines. Il y en a 185 écoles qui sont partenaires aujourd'hui. Le deuxième, c'est le programme French Héritage, pour les migrants d’origine francophone qui viennent d'arriver aux États-Unis. 12 écoles sont partenaires. Le troisième, ce sont les vingt universités, French in high education. Enfin, le programme de formation des futurs professeurs de français aux États-Unis. Chaque année, nous avons à peu près une soixantaine de futurs enseignants qui sont accompagnés par la Villa Albertine, explique Mohamed Bouabdallah. L’idée, c’est de susciter un désir de français dans les institutions d’enseignement aux États-Unis. »

Mohamed Bouabdallah, directeur de la Villa Albertine, chargé de la mise en place de l’initiative French for all aux États-Unis.

Mohamed Bouabdallah, directeur de la Villa Albertine, chargé de la mise en place de l’initiative French for all aux États-Unis.

Catherine François

« C'est un programme qui a beaucoup de succès et nous avons deux indicateurs pour mesurer ce succès. Le premier, c'est que nous avons de plus en plus d'écoles américaines qui sont candidates au programme French for all et qui, chaque année, déposent des dossiers d'un très bon niveau pour bénéficier des fonds du programme. Le deuxième indicateur, c'est qu'en termes de levée de fonds, nous sommes déjà à 3,5 millions de dollars sur les 5 millions prévus sur 5 ans, grâce aux mécènes américains et aux entreprises, notamment françaises, qui nous soutiennent ». Le gouvernement français injecte aussi des fonds faisant de ces programmes un partenariat public-privé.

Des programmes en place à New York depuis 2007

C’est une école primaire de Brooklyn qui a mis en place en premier un programme d’enseignement bilingue à New York, sur l’initiative d’un Français, Fabrice Jaumont, attaché de coopération éducative de la Villa Albertine, arrivé aux États-Unis en 2001. 

« Je crois que la réflexion s’est amorcée dans la foulée du 11 septembre. Beaucoup de gens ont quitté Manhattan pour s’installer à Brooklyn, dans le New Jersey, mais ça a aussi recentré les gens sur les choses essentielles de la vie comme la culture et la langue maternelle. Les parents d’origine francophone se sont réunis et ont commencé à se dire que ce serait bien que leurs enfants puissent continuer à apprendre le français. Bien sûr, il existait à New York des écoles privées, comme le Lycée français, où le français était enseigné mais ça coûte très cher d’envoyer ses enfants dans ces institutions. Alors on a eu envie d’offrir l’enseignement de la langue française dans des écoles publiques de New York ».

Aujourd'hui, 12 écoles publiques de New York offrent ces programmes d’enseignement bilingue, comme la New York French American Charter School, la NYFACS, une école primaire de Harlem située dans le quartier dit « le petit Sénégal », parce que de nombreuses communautés d’origine africaine y habitent. C’est là que tous les matins, le directeur Bertrand Tchoumi, lui-même d’origine camerounaise, accueille les petits qui rentrent à l’école. 

La New York French American Charter School, la NYFACS, une école primaire de Harlem située dans le quartier dit « le petit Sénégal ».

La New York French American Charter School, la NYFACS, une école primaire de Harlem située dans le quartier dit « le petit Sénégal ».

Catherine François

« C’est ma quatrième année comme directeur ici », dit-il en souriant entre deux « bonjour, comment ça va ce matin ? » retentissants lancés aux enfants. Plein de fierté, il nous emmène dans la classe de 4ème année où une quinzaine d’écoliers de 10 ans répètent l’une des scènes du petit chaperon rouge. Le directeur présente ensuite une classe de maternelle où les petits, assis sagement sur un tapis devant leur enseignante, chantent à plein poumon le palmarès des comptines françaises. Plus de 320 enfants suivent un enseignement bilingue, moitié anglais, moitié français, dans l'école. 

« On touche environ 2000 élèves actuellement, souligne Fabrice Jaumont. Je pense que depuis 2007, on a servi presque 20 000 enfants, sur 120 000 francophones à New York. Il y a donc un certain enjeu à contribuer au développement de cette communauté de locuteurs du français, qu'ils viennent d'Europe, d'Afrique, du Canada. On leur permet d'accéder à l'enseignement bilingue dans le système scolaire public ».

Classe de maternelle dans l’école de Harlem

Classe de maternelle dans l’école de Harlem

Catherine François

Ces programmes d’enseignement bilingue sont financés par la Ville de New York, l’ambassade de France aux États-Unis et des campagnes de levée de fonds menées par les associations de parents pour acheter des manuels et des fournitures scolaires ou offrir des activités culturelles. « C’est sûr que l’argent reste le nerf de la guerre, reconnait Fabrice Jaumont. Cela dépend de ce qu’il se passe dans la ville de New York, qui est à la mairie, de certains évènements comme la pandémie qu’on a vécue... Ces programmes ont été mis en place à la force des parents qui ont réussi à convaincre les éducateurs, les directeurs d'école. Ça s'est construit par la base. Il y a toujours cet engouement des familles pour maintenir la langue française, scolariser les enfants en deux langues, cela existe toujours et c'est toujours positif ».

Au-delà du financement, l’autre grand défi est de recruter les enseignants pour ces programmes. « On compte aujourd'hui plus d'une centaine d'enseignants à New York qui enseignent dans des filières francophones, précise Fabrice Jaumont. On peut trouver des solutions si on s'y met tous ensemble : les éducateurs, les parents, les institutions culturelles. » 

Prochain objectif : les universités américaines

« Notre prochaine étape, c'est un programme qui va s'appeler Next Generation et qui vise à préparer les futures générations de dirigeants américains francophiles et je l'espère, francophone » annonce Mohamed Bouabdallah. 

Il faudrait que l'éducation s'éloigne de ce monolinguisme du passé et qu'elle s'ouvre à la diversité linguistique. Fabrice Jaumont

Un projet ambitieux, parce que la langue de Molière a été quelque peu délaissée sur les campus américains au cours des dernières décennies. « Les États-Unis est le pays de l'ambition, ajoute le directeur de la Villa Albertine. Si vous voulez réussir aux États-Unis, il faut avoir de l'ambition. Nous, notre ambition, c'est de resserrer les liens entre la France et les États-Unis. Nous le faisons ici, à la Villa Albertine, à travers la culture, à travers l'éducation, à travers notre programme de résidence artistique et le programme French for All. Ce que nous voulons faire, c'est convaincre les futurs dirigeants américains qui sont aujourd'hui dans les écoles et dans les universités de s'intéresser à la France. Quand vous regardez quelle est la plus-value, quelle est la langue qui a le plus d'intérêt sur tous les champs diplomatiques, business, culturels : c'est la langue française. C’est une revue anglaise, The Economist, qui en avait fait le constat il y a quelques années en disant que s'il fallait apprendre une autre langue étrangère, c'était la langue française ».

Les multiples avantages du bilinguisme

Fabrice Jaumont est devenu un spécialiste du bilinguisme. Son livre « La révolution bilingue » a été traduit en 11 langues. Pour lui, aucun doute, le bilinguisme offre des avantages sur de nombreux plans : « On peut parler des avantages cognitifs et du développement sur le cerveau que cela apporte vraiment aux enfants. Certains arrivent à débloquer d'énormes compétences, que ce soit en maths, en langue, même en musique. Des études le montrent. L'éducation bilingue, c'est aussi une histoire d'apprendre la langue de mon voisin, de parler à mon voisin dans sa langue, de comprendre sa culture, de comprendre d'où il vient, ce qu'il pense. C'est un vecteur de compréhension mutuelle, de tolérance, de respect et de paix, et en ce moment, on en a besoin. C'est aussi très important pour l'identité et pour la famille, savoir, parler sa langue, garder son héritage culturel et linguistique. En termes de construction d'identité, c'est très important ».

Bertrand Tchoumi abonde : « C'est un atout pour les enfants d'être bombardé au quotidien avec deux langues, avec 2 cultures, avec plusieurs cultures. Le français est une langue parlée par plusieurs pays à travers le monde, ce n'est pas seulement cela. C'est aussi la culture française et la culture francophone de façon générale ».

Bertrand Tchoumi, directeur depuis 4 ans de la NYFACS, école de Harlem qui offre un programme d’enseignement bilingue 50% anglais-50% français à quelque 320 enfants.

Bertrand Tchoumi, directeur depuis 4 ans de la NYFACS, école de Harlem qui offre un programme d’enseignement bilingue 50% anglais-50% français à quelque 320 enfants.

Catherine François

Pour Fabrice Jaumont, il faudrait instaurer le bilinguisme dans toutes les écoles. Il cite Gregg Roberts-Aguirre, un spécialiste de l’Université de Salt Lake City, dans l’Utah, qui estime que le monolinguisme, c'est l'illettrisme du XXIe siècle. « Il faudrait que l'éducation s'éloigne de ce monolinguisme du passé et qu'elle s'ouvre à la diversité linguistique, à l'éducation multilingue, qu'elle permette à tout le monde d'arriver avec sa langue et de la préserver, de se construire avec sa langue tout en apprenant la langue dominante » conclut ce défenseur du bilinguisme.

Pourquoi « French for all », « Next generation » ? Et pas « Le Français pour tous », « La prochaine génération » ?

 Quand je demande à Mohamed Bouabdallah pourquoi traduire les noms de ces programmes en anglais si on veut justement promouvoir la langue française, il me répond : « Nous, notre enjeu ici, c'est de convaincre. Convaincre les Américains qu'il y a un intérêt à aller  vers la langue française. Il faut d'abord faire un geste vers nos interlocuteurs. Voilà pourquoi nos programmes ont un nom anglais, pour qu'ils soient immédiatement compréhensibles. Moi, je n'ai aucun problème à appeler ce programme « French for all ». Nous leur expliquons aussi que « Next generation » est un programme conduit par la ville Albertine et l'ambassade de France qui permet de créer des ponts entre les dirigeants de demain, la France et les États-Unis. Si j'arrive sur un campus en disant le programme « Prochaine génération », je perds déjà 90% de l'audience potentielle. Notre approche à nous, c'est d'essayer d'être cohérent, de susciter le désir et la demande. »