Fil d'Ariane
Les détails d'une opération militaire aérienne américaine contre les Houthis au Yémen ont été échangés, mi-mars, dans une boucle de messages "top-secrète''. Problème : le rédacteur en chef du magazine The Atlantic, Jeffrey Goldberg, a été ajouté par inadvertance. Depuis sa divulgation, cette faille de sécurité spectaculaire suscite une onde de choc aux États-Unis, alors que la Maison Blanche tente de minimiser cette affaire particulièrement gênante.
Le magazine américain The Atlantic a publié mercredi le plan de frappes de l'armée américaine contre les Houthis au Yémen, dont son rédacteur en chef a été le destinataire accidentel. Voici les principaux messages échangés par des hauts responsables sur cette action militaire.
Un simple "pépin" qui émane d'un journaliste "tordu". Donald Trump a choisi de contre-attaquer de manière agressive mardi 25 mars, après cette incroyable affaire de plans militaires dévoilés par erreur.
Le président américain, entré en fonction en janvier, a estimé sur la chaîne NBC qu'il s'agissait du "seul pépin en deux mois, et finalement sans gravité". Donald Trump a ensuite déclaré que Jeffrey Goldberg, qui a révélé avoir été ajouté par erreur au groupe de discussions, était un "tordu", et a assuré que "tout le monde se fiche" de ce que publie The Atlantic.
"Il fait de son mieux,(..) c'est un homme très bien."
Donald Trump à propos de Mike Waltz, son conseiller à la sécurité nationale
"Il fait de son mieux" et "c'est un homme très bien", a par ailleurs dit le président américain à propos de Mike Waltz, son conseiller à la sécurité nationale, soupçonné d'être responsable de cet ajout inopiné dans la boucle Signal.
Pendant un échange avec la presse à la Maison Blanche, Donald Trump a jugé que ce dernier n'avait pas à s'excuser. Il a seulement concédé que son conseiller allait "probablement" s'abstenir "dans l'immédiat" d'utiliser à nouveau la messagerie privée Signal, au cœur de cette affaire.
"On a les meilleures équipes techniques qui essaient de comprendre comment cela a pu se produire."
Mike Waltz sur Fox News
Interviewé de son côté sur Fox News, le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump a dit admettre son "entière responsabilité" pour cette "erreur". Mike Waltz a suggéré qu'il avait pu avoir le numéro du journaliste enregistré sur son téléphone en pensant que c'était celui de quelqu'un d'autre.
"Je ne connais pas ce type, je ne le connais que de réputation, et elle est horrible (...) mais je ne lui écris pas", a-t-il insisté. Peu après, il a cherché à son tour à discréditer l’article du prestigieux magazine : «Pas de localisations. Pas de sources, ni de méthodes. PAS DE PLANS D’ATTAQUES», a-t-il martelé sur X.
Alors que le vice-président, J.D Vance, le ministre de la Défense, Pete Hegseth, le directeur de la CIA, John Ratcliffe, ou encore l'émissaire spécial du président américain pour le Moyen-Orient, Steve Witkoff, ont tous partagé des informations sensibles sur le fil de discussion, aucun de ces poids lourds du gouvernement n'a reconnu une quelconque menace pour la sécurité nationale américaine, affirmant que ces échanges n'étaient pas protégés par le secret-défense.
Face à ce déni et aux critiques du clan républicain, The Atlantic a publié mercredi 26 mars davantage de messages, plus précis que ceux mentionnés dans le premier article. La publication inclut des dizaines de copies d'écran avec le plan d'attaque détaillé de l'armée américaine, les cibles et les horaires précis des frappes contre le groupe rebelle du Yémen, avant que celles-ci n'aient eu lieu.
Les Houthis ont affirmé que cette opération avait fait une cinquantaine de morts et une centaine de blessés le 15 mars dernier.
La Maison Blanche a aussitôt accusé The Atlantic de «mentir pour maintenir une NOUVELLE supercherie», estimant que cette deuxième publication révèle des messages qui ne seraient pas aussi top-secret qu’avancé. Le vice-président J.D. Vance a également accusé le magazine d'avoir "survendu" ses révélations.
"The Atlantic a déjà abandonné son récit sur des plans de guerre", a écrit pour sa part sur X le chef de cabinet adjoint de la Maison Blanche, Taylor Budowich.
"Il n'y avait pas d'informations classifiées partagées" a affirmé de son côté la directrice du renseignement, Tulsi Gabbard, assaillie de questions par les élus démocrates pendant une audition au Sénat. Elle a toutefois refusé de confirmer qu'elle était bien l'une des participantes de très haut niveau du groupe de discussion sur Signal.
Le patron de la CIA, John Ratcliffe, auditionné en même temps que Mme Gabbard, a lui admis avoir participé à cette boucle de messages. Il a toutefois défendu un usage "autorisé et légal" selon lui de cette application cryptée pour ces échanges entre le vice-président, JD Vance, le ministre de la Défense, Pete Hegseth et le chef de la diplomatie, Marco Rubio, parmi d'autres.
L'opposition démocrate, qui peinait jusqu'ici à trouver un angle d'attaque contre Donald Trump, pilonne désormais le gouvernement. Le sénateur démocrate Mark Warner a ainsi fustigé "l'attitude négligente, imprudente, incompétente" des lieutenants du président républicain.
Le sénateur de l’Oregon, Ron Wyden, a quant à lui, appelé à la démission du conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche, Mike Waltz, et du ministre de la Défense, Pete Hegseth, tous deux impliqués dans la fameuse conversation sur Signal. En vain, pour le moment.
"Je déteste le comportement de profiteurs des Européens. C'est PATHETIQUE."
Propos de J.D. Vance, vice-président américain selon The Atlantic
Le journaliste Jeffrey Goldberg a aussi relayé certains échanges hostiles envers les Européens, que le vice-président J.D. Vance accuse de profiter à bon compte des opérations militaires américaines. Interrogé à ce sujet, Donald Trump a estimé à son tour que les Européens étaient des "profiteurs".
Selon les messages publiés dans The Atlantic, J.D. Vance a estimé que conduire les frappes au Yémen serait une "erreur", car l'opération, en renforçant la sécurité du transport de marchandises en mer Rouge, bénéficierait surtout aux Européens.
"Si tu penses qu'il faut le faire, allons-y. C'est juste que je déteste venir au secours des Européens encore une fois", écrit le vice-président à l'intention du ministre de la Défense, toujours selon le magazine. Lequel répond : "Je suis complètement d'accord, je déteste le comportement de profiteurs des Européens. C'est PATHETIQUE", mais il justifie néanmoins l'attaque pour "rouvrir les liaisons" maritimes.
Le fondateur de Signal, messagerie prisée des journalistes pour la confidentialité qu'elle promet, ne s'est lui pas privé de vanter son produit.
"Il y a beaucoup de bonnes raisons d'être sur Signal. L'une d'elles est désormais la possibilité pour le vice-président des États-Unis de vous inclure au hasard dans une discussion de groupe sur la coordination d'opérations militaires sensibles", a blagué sur X Moxie Marlinspike.