Fil d'Ariane
Dès 2017, des grands noms du réseau tels Google et Facebook — accusés d'avoir activement participé à la diffusion des fausses informations ayant influencé la population pour le Brexit ou le vote en faveur de Trump — se proposent de mettre en place des outils de contrôle de la qualité de l'information : en vain. La campagne électorale française est alors sous le feu des projecteurs, à savoir : quelle influence ont les "fake news" sur le vote et jusqu'à quel points celles-ci peuvent avantager un candidat au détriment des autres ?
> Quand Google et Facebook chassent les "fake news"
Dans le cas d'espèce c'est la Russie, accusée d'aider Trump qui est surveillée pour son intérêt à soutenir Marine Le Pen. Le résultat n'est pas probant : malgrè la présence de la candidate du Front national au second tour — largement anticipée bien avant le début de la campagne électorale — rien n'empêche l'élection du candidat Emmanuel Macron. Une victoire largement relayée en amont par les sondages, poussée par une couverture médiatique très importante plus de 6 mois avant le premier tour et avantagée par un candidat de la droite, François Fillon empêtré dans des affaires judiciaires plus qu'embarassantes pour son électorat.
(…) La panique engendrée par les fake news, les chambres d'écho [informationnelles] et les bulles de filtre est exagérée et ne trouve pas de réalité concrète chez les citoyens étudiées à travers 7 pays.
The Conversation : Fake news, echo chambers and filter bubbles: Underresearched and overhyped
Des chercheurs continuent de travailler sur le phénomène de manipulation de l'information influençant les votes et leurs conclusions ne permettent pas de valider la théorie du "vote imputé aux fake news" : le public, déjà majoritairement convaincu par un candidat ou des idées politiques précises, ne fait que conforter son adhésion grâce aux "informations fausses et manipulées" qu'ils peuvent consulter. Ceux qui y sont opposés ne les lisent pas ou les rejettent, quant aux indécis il ne semble pas que les fake news ne les fassent particulièrement basculer. Si la quantité de fake news qui circule et le nombre de personnes qui les lisent ou les visionnent sont de plus en plus importants, rien ne permet d'affirmer en revanche — en terme de qualité et d'effets — que celles-ci changent les intentions des électeurs, comme cet article de Slate s'en fait l'écho : Les fake news sont préoccupantes, mais elles ne peuvent pas faire basculer une élection
Malgré ces constats plutôt rassurants sur les conséquences de la circulation des fake news, les fausses informations sur Internet continuent de préoccuper le gouvernement et sa majorité, tandis que la population ne semble, elle, pas véritablement inquiète ou concernée par le sujet. La cause nationale de lutte contre les fake news a été abordée au départ par la sénatrice Nathalie Goulet (UDI), après l'élection présidentielle de 2017.
> "Fake News" ou "fausses nouvelles" : future grande cause nationale ?
Depuis lors, la cause a été reprise par le président de la République qui dénonce des attaques à base de rumeurs mensongères sur Internet à son égard durant la campagne électorale. L'idée de la loi "contre la manipulation de l'information" est de pouvoir lutter contre "Toute allégation ou imputation d'un fait dépourvue d'éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable" au cours d'une campagne électorale. Au delà des dispositions d'obligation de transparence des plateformes numériques sur les annonceurs, le renforcement de l'éducation aux médias, des textes visant à censurer des sites font polémique. L'un d'eux propose que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) puisse "empêcher, suspendre ou mettre fin à la diffusion de services de télévision contrôlés" par un État étranger ou sous l'influence de cet État", et qui portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation".
Emmanuel Macron s'était plaint du traitement de l'information à son égard par les chaînes russes Sputnik et Russia Today implantées en France. Cette nouvelle disposition pemettra-t-elle, si elle est adoptée, de pouvoir suspendre les médias en question dans le cas où ils viendraient à critiquer ou donner des informations qui seraient qualifiées comme étant "dépourvues d'éléments vérifiables de nature à les rendre vraisemblables" ?
Les outils de vérification doivent être eux-mêmes vérifiables, et les règles de validation soumises à discussion.
Louise Merzeau, chercheuse en sciences de l'information : Les fake news, miroir grossissant de luttes d’influences (Ina Global)
La question est actuellement soulevée au sujet des révélations de Mediapart entre les deux tours de la présidentielle en 2012 sur le financement libyen de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy de 2007 : le document dévoilant que la Libye avait accepté en 2006 de financer pour 50 millions d'euros la campagne de Nicolas Sarkozy a été depuis l'origine dénoncé comme étant un "faux" par l'ex président de la République française. Si la loi "contre la manipulation de l'information" avait eu cours à cette époque, ce document aurait-il pu être interdit de publication et Mediapart censuré ? Il semble que oui, puisque Nicolas Sarkozy a porté plainte pour "faux et usage de faux" et que s'il a fallu attendre plusieurs années pour que la justice confirme la validité du document et déboute Nicolas Sarkozy, dans le cadre de la nouvelle loi, cela pourrait être une autre paire de manche. Celle-ci prévoit en effet de permettre à un candidat ou à un parti de saisir le juge des référés pour faire cesser la diffusion de "fausses informations" durant les trois mois précédant celui d'un scrutin national. Le juge devra alors statuer dans un délai de 48 heures et pourrait ainsi prononcer le retrait ou le blocage du contenu illicite à l'encontre des hébergeurs de contenus et fournisseurs d'accès à Internet. Cette disposition est à double tranchant : d'un côté la presse pourrait se voir censurer pour toutes les révélations gênantes à l'encontre d'un candidat — comme dans le cas du document libyen sur la campagne de Nicolas Sarkozy — et de l'autre, la validation dans l'urgence, par des juges, d'informations douteuses, pourrait survenir.
La chercheuse en sciences de l'information, spécialiste de l'éditorialisation, des mémoires, des traces et des identités numériques, Louise Merzeau, estime pour sa part sur le site de presse de l'INA que la voie prise par cette nouvelle loi n'est pas la bonne, et que d'autres pistes devraient suivies : "À l’ère des réseaux, le design du contrôle ne peut, de fait, se concevoir comme une boîte noire ou un surplomb. Les outils de vérification doivent être eux-mêmes vérifiables, et les règles de validation soumises à discussion (…) il est temps de rétablir la vérité comme co-construction, contre l’illusion de l’immanence et de l’immédiateté. Ce faisant, n’en déplaise aux fact-checkers et autres tenants de l’objectivité journalistique, on replacera l’information dans un champ de force politique — qu’elle n’a, bien sûr, en fait jamais quitté. Ce champ, c’est celui-là même du principe démocratique, qui fabrique du nous avec des différences et de la référence commune avec d’innombrables médiations".