Fil d'Ariane
Niché en surplomb du fleuve Saint-Laurent, au bout d’une petite route sans issue, le Manoir Richelieu est un endroit rêvé pour tenir un sommet international comme celui d’un G7. Il est difficilement accessible, dispose de centaines de chambres luxueuses pour accueillir les dirigeants et leurs suites, possède une piste d’atterrissage pour hélicoptères et peut se transformer en forteresse durant les deux jours que va durer ce sommet.
Ce sera le cas : une clôture de 3,7 kilomètres a été érigée autour du Manoir, au coût de 4 millions de dollars, pour assurer la sécurité des dignitaires et interdire l’accès à l’établissement à quiconque ne sera pas doté d’une accréditation en bonne et due forme. Accréditation qui ne sera délivrée qu’après une enquête de sécurité exhaustive.
Le sommet du G7 va donc coûter 605 millions de dollars, dont près de 400, pour la sécurité : la Gendarmerie royale du Canada, GRC, a une enveloppe de 259 millions de dollars, la Défense nationale 35 millions, le Service canadien du renseignement de sécurité 2 millions et l'Agence des services frontaliers 1 million.
3000 policiers de la GRC seront déployés à La Malbaie, mille policiers du service de police de Québec assureront la sécurité dans la capitale et des dizaines de bergers allemands seront en action.
Les résidents qui se retrouveront au sein de cette « zone rouge » devront bien sûr posséder cette accréditation et on leur recommande vivement de ne pas sortir de chez eux ces deux journées-là. Une « zone verte » a été délimitée au sein même de la municipalité de La Malbaie, 8000 habitants, dans le quartier de Pointe-au-Pic où se trouve le Manoir. Les 600 résidents qui se retrouvent dans cette zone auront d’entrée de jeu leur accréditation et la circulation y sera restreinte. Une clôture de près d’un kilomètre et demi a aussi été installée autour de cette zone verte. Les organisateurs ont également délimité une zone de libre expression à La Malbaie pour les manifestations et on promet qu'on pourra y manifester.
Car manifs il y aura, comme à chaque sommet du G7 ! Comme le Manoir Richelieu sera inaccessible, ces manifestations vont se tenir essentiellement à Québec, la capitale, où seront regroupés également les journalistes du monde entier.
L'expérience démontre que ces belles paroles ne mèneront à rien de bénéfique. Communiqué du Réseau de résistance anti G7.
Plusieurs rassemblements sont déjà prévus : une première manifestation des altermondialistes du Réseau de résistance anti G7 (RRAG7) va lancer le bal jeudi 7 juin à Québec : « L'objectif de ce sommet n'est pas de régler la catastrophe climatique annoncée, mais de s'assurer de maintenir l'hégémonie de ses pays membres sur une planète à bout de souffle. L'agenda peut sembler progressiste, mais l'expérience démontre que ces belles paroles ne mèneront à rien de bénéfique », dit le groupe dans un de ses communiqués.
Vendredi 8 juin, on nous promet des perturbations dès 7h30 dans la région de Québec, puis le lendemain, une manifestation syndicale se tiendra devant le Parlement à Québec.
Réjean Pleau, inspecteur du Service de police de la Ville de Québec, a récemment déclaré : « Les gens peuvent venir manifester ici, ça fait partie de leur droit, nous on veut juste s’assurer que c’est fait de façon spécifique et que les gens du secteur les citoyens et les commerçants vont pouvoir avoir une vie normale aussi ».
Les routes entre Québec et La Malbaie seront érigées de barrages routiers avec des contrôles assurés par les policiers : ils promettent toutefois qu'ils laisseront passer des autocars remplis de manifestants : « Même un autobus avec manifestants qui passe, on va leur donner l'information et il va pouvoir continuer sa route », a assuré le porte-parole de la Sûreté du Québec, Jason Allard, au quotidien La Presse.
Amnesty Internationale et La Ligue des droits et libertés vont déployer des observateurs à Québec et à La Malbaie : « L'objectif le plus important de cette mission est de prévenir les abus des forces de l'ordre », précise le communiqué conjoint des deux organismes. Pour ce faire, une trentaine de militants vont recevoir une formation.
A noter également qu’une prison a été construite, moyennant un million de dollars, à Clermont, petite municipalité de La Malbaie.
Quand Michel Couturier, le maire de La Malbaie, a reçu un appel de Justin Trudeau en mai 2017 pour se faire dire que le Manoir Richelieu serait l’hôte du sommet du G7, il s’est posé une question : « Cinq minutes après avoir raccroché, je me suis demandé : est-ce que c'est vraiment une bonne nouvelle ? Parce qu'on a tous vu le sommet des Amériques, on a tous vu Montebello et ailleurs. Mais il y a aussi des endroits où ça se passe très bien. La vérité, c'est que tu ne peux pas refuser un événement comme ça. C'est de la grande visite. Il va y avoir des impacts négatifs, mais plus de positifs », a-t-il déclaré en entrevue au quotidien La Presse.
On prévoit le pire. Michel Couturier, le maire de La Malbaie
Parmi ces points positifs, soulignons la visibilité internationale pour La Malbaie et la région de Charlevoix, l’amélioration du réseau cellulaire et de la fibre optique pour internet pour l’ensemble de la région.
Pour le reste : clairement, les résidents vont subir les entraves à la circulation causées par cette rencontre et les risques de dérapages quand les manifestants se rendront sur place – car ils vont y aller, il n’en faut pas douter – sont bel et bien réels.
« On prévoit le pire. Alors là c'est sûr que les gens deviennent un peu inquiets. Mais quelque part ça va se situer entre les deux. Entre le rêve et le cauchemar », conclut le maire en entrevue à Radio-Canada.
Quoi qu’il en soit, ce sommet sera important pour Justin Trudeau et pour le Canada. Plusieurs thèmes sont au programme des grands de ce monde : la sécurité internationale, l'intelligence artificielle, l'égalité hommes-femmes et la croissance économique.
Ce sera aussi l’occasion pour Donald Trump de mettre pour la première fois les pieds au Canada depuis qu’il est président. Il a bafoué la tradition qui veut que le premier voyage d’un président américain après son assermentation se fasse chez le voisin du Nord.
Donald Trump risque fort de se retrouver bien isolé durant ces deux jours à La Malbaie, car les sujets de discorde ne vont pas manquer entre les États-Unis et les six autres pays : le fameux accord nucléaire avec l’Iran que Donald Trump vient de déchirer après le passage à la Maison-Blanche du président français Emmanuel Macron, venu pourtant le défendre, l’épineux dossier nord-coréen, et la guerre commerciale que le président américain vient de déclencher avec le Canada et l’Europe en imposant des tarifs douaniers aux importations d’acier et d’aluminium. Certains analystes se demandent même si on ne va pas assister à un sommet G6 + 1…