Fil d'Ariane
Ce dimanche à Libreville, le calme règne dans les rues quasi-désertes. La situation est identique dans la capitale économique du pays, Port-Gentil. Hier matin, les accès au centre de Libreville étaient encore jalonnés de barrages de police, de gendarmerie et de l'armée, alors que la Garde républicaine bloquait les accès au palais présidentiel, sur le front de mer. La ville était régulièrement survolée par un hélicoptère militaire. Le dispositif a ensuite pu être allégé.
De fait, le 31 août, la proclamation de la réélection d'Ali Bongo avait provoqué des émeutes meurtrières et des pillages massifs à Libreville et dans plusieurs villes de province. Retour en images sur un mois de tumulte électoral :
Redoutant de nouvelles violences à l'annonce du verdict de la Cour en cas de confirmation de la victoire d'Ali Bongo, de nombreux Gabonais s'étaient calfeutrés chez eux dès jeudi soir.
► Notre dossier sur les tensions autour de l'élection présidentielle au Gabon.
En validant la réélection du président Bongo, 57 ans, la Cour constitutionnelle rejetait l'essentiel du recours de son rival, Jean Ping. S'étant lui même proclamé élu, cet ancien cacique du régime, avait déposé un recours devant cette même Cour le 8 septembre, tout en jugeant que l'institution était inféodée au pouvoir.
Anomalie
Jean Ping demandait notamment un nouveau comptage des bulletins de vote dans la province du Haut-Ogooué. Dans ce fief familial de la famille Bongo, le président sortant avait obtenu, selon les résultats de la commission électorale qui ont mis le feu aux poudres le 31 août, 95% des voix pour 99% de participation, lui garantissant au plan national une avance de 5000 voix sur Jean Ping, sur un peu plus de 325 000 électeurs. Les observateurs de l'Union européenne au scrutin avaient fait état d'une "anomalie évidente" dans les résultats.
"Nul ne peut contester le fait que Jean Ping a largement gagné cette élection", a réagi auprès le porte-parole de Jean Ping, Jean Gaspard Ntoutoume Ayi, après l'annonce de la Cour.
Ce samedi 24 septembre, Jean Ping a réagi à la décision de la Cour lors d'une conférence de presse : "Je ne reculerai pas. Président clairement élu des Gabonais, je demeure à votre côté pour défendre votre vote et votre souveraineté", a-t-il lancé Jean Ping devant la presse à l'intention de ses partisans, dénonçant une décision "inique" et le "parti pris" de la Cour.
La Cour, tout en modifiant partiellement les résultats du scrutin du 27 août, indiqué qu'Ali Bongo garde une avance sur son rival qui, lui, s'était proclamé élu après l'élection. Lors de l'audience, dans une salle quasiment déserte, la Cour a indiqué que Ali Bongo avait recueilli 50,66 % des suffrages contre 47,24 % à Jean Ping, avec 11 000 voix d'avance, contre moins de 6000 selon les résultats officiels provisoires.
Peu après le verdict, Ali Bongo, élu une première fois en 2009 à la mort de son père, resté au pouvoir 41 ans, a appelé à un "dialogue politique", dans une allocution télévisée. "J’entends réunir très rapidement les conditions d’un dialogue politique ouvert à tous ceux qui le voudront, a-t-il assuré. "J’appelle donc tous les responsables politiques, y compris les candidats malheureux de la présidentielle du 27 août dernier, à travailler avec moi, dans le respect de nos différences certes, mais animés de la volonté de situer l’intérêt supérieur de la Nation au-dessus de nos intérêts particuliers et partisans".
L’exécutif avait déjà mis en garde Jean Ping, l'avertissant qu'il serait arrêté s'il franchissait "la ligne rouge" dans l'hypothèse où il n'obtiendrait pas gain de cause en justice. Un ancien patron du renseignement, Léon-Paul Ngoulakia, par ailleurs cousin du président Bongo, récemment rallié à Jean Ping, a été interpellé vendredi à Libreville, quelques heures avant le verdict de la Cour. A Port-Gentil, l'opposition a fait état de plusieurs interpellations dans ses rangs ces derniers jours.
"Nous sommes préoccupés par ce qui paraît être des arrestations arbitraires de supporters de l’opposition", a indiqué l'ambassade des Etats-Unis au Gabon qui "prend note" de la décision de la Cour.
Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, a regretté que l'examen des recours n'ait pas levé "tous les doutes" sur la réélection du président gabonais. La France demande "à ceux qui continuent de contester les résultats de récuser l’action violente et de poursuivre leurs revendications selon des voies qui ne remettent pas en cause la paix et le bien-être du pays". De leur côté, les autorités gabonaises doivent "prendre les initiatives qui restaurent la confiance des Gabonais en leurs institutions et n'éloignent pas le Gabon des normes internationales en matière de droits de l'Homme et d’Etat de droit", a-t-il dit.
Par la voix du Tchadien Idriss Déby Itno, qui avait vu sa réélection en avril à un 5e mandat à la tête de son pays contestée par son opposition, l'Union africaine, dont il assure la présidence en exercice, a elle aussi "pris acte" du verdict.
Rappelant que "l'intégrité du processus électoral peut légitimement être mise en doute", l'UE a, elle, appelé "l'ensemble des parties prenantes" à "s’abstenir de recourir à la violence", souhaitant que "la sécurité des responsables politiques" soit "garantie".