Orienter le débat mais convaincre l'opinion qu'elle tranche et se détermine par elle-même
Le but affiché de cette "mission" est troublant : "A partir d’une analyse critique des enjeux et des éléments de langage des soutiens et des détracteurs de l’exploitation du gaz de schiste, nous avons élaboré une campagne de contre-information à mener contre les détracteurs de cette activité en France".
Le principe de "contre-information à mener contre les détracteurs" (sic) peut aller loin, et questionne l'aspect déontologique, éthique, des actions pouvant être préconisées par les spécialistes en "intelligence économique". Cette partie du document, par exemple, à propos de l'organisation de l'influence de l'opinion dans le cadre d'un débat national autour des gaz de schiste ne cache pas ses intentions :
Les scientifiques : objectifs
L'objectif recherché vis-à-vis de la communauté scientifique est de faire participer cette dernière au débat. Les scientifiques visés sont ceux qui seront à même d'amener des éclairages pertinents en matière d'extraction des gaz non-conventionnels. Les sujets abordés doivent non seulement traiter de l'exploitation du gaz de schiste en tant que tel mais aussi des contraintes et risques environnementaux.
Argumentation et éléments de langage
- Les procédés d'extraction des gaz non-conventionnels sont totalement fiables. Les procédés et matériaux utilisés répondent à des normes internationales reconnues. Aucune porosité n'est admise dans les canalisations utilisées pour l'exploitation.
- La fragmentation hydraulique en matière d'extraction du gaz de schiste à lieu à des profondeurs supérieures de plusieurs centaines de mètres que la position des nappes phréatiques dans le sous-sol.
- L'eau et les additifs utilisés lors de la fracturation hydrauliques sont presque totalement récupérés et retraités dans des stations d'épuration dédiées. Cette eau retraitée peut être réutilisée lors d'une fracturation hydraulique postérieure.
- La plupart des additifs utilisés dans l'eau nécessaire à la fracturation hydraulique sont des additifs d'origines naturelles. Des recherches sont actuellement en cours dans le but de les remplacer pardes produits utilisés dans le secteur agroalimentaire.
- Le gaz de schiste n'est autre que du méthane (CH4) il est donc totalement insoluble dans l'eau.
- La production naturelle de méthane sur la planète (animaux, végétaux,...) est largement supérieure à la quantité de méthane qui pourrait éventuellement libérer dans l'atmosphère une activité d'extraction de gaz de schiste.
- La prise en compte d'études géologiques est nécessaire pour déterminer les zones géographiques dans lesquelles l'exploitation du gaz de schiste aurait une incidence sur les risques sismiques. Exploiter le gaz de schiste n'implique pas une exploitation à outrance sans aucun contrôle et sans aucune rationalité scientifique.
Charles Pahlawan, directeur du développement de l’EGE, contacté au téléphone, explique que le but de ce type d'exercices est "d'apprendre aux étudiants à aider l'entreprise à gagner son combat : nous apprenons aux gens à influencer l'information, mais en aucune mesure nous ne pratiquons le mensonge, la désinformation ou la fabrication de rumeurs. Le public est encore naïf en France, mais nous vivons dans un monde dur, ou la logique d'influence est centrale. Les gens découvrent, par exemple, avec étonnement, que des ONG sont en réalité des bras armés de grandes entreprises, mais c'est pourtant la réalité." Interrogé sur le contenu du document "L'intérêt du gaz de schiste pour la France", et plus précisément sur la partie tendancieuse, celle de la contre-information, d'influence de l'opinion, Charles Pahlawan répond sans complexe : "c'est un exercice dans la logique d'influence actuelle, logique qui est très bien comprise dans les pays anglo-saxons : le monde d'aujourd'hui en est entièrement dépendant. Ce document permet d'apprendre, sans prendre parti, comment utiliser des moyens d'influence de l'information. Mais les médias font ça tous les jours ! On peut être choqués parce que c'est au sujet des gaz de schiste, mais ça aurait pu être sur le développement durable, et le public y a été sensibilisé...par des méthodes similaires"
Le grand débat sur l'énergie aura lieu cet automne
Mais quelles en seront les véritables clés, avec quel dénouement ? Aux vues des enjeux et des possibilités d'influence de l'opinion qu'un simple exercice d'école de guerre économique peut laisser entrevoir, il est difficile d'imaginer que les promoteurs du gaz de schiste laisseront échapper une occasion aussi exceptionnelle de faire pencher la balance en leur faveur.
Des tribunes dans la presse ont déjà fleuri depuis quelques semaines et tentent de démontrer l'incontournable nécessité pour la France de se lancer dans l'exploitation des gaz de schiste.
Le sujet est aussi très sensible au Canada, et la sphère internet commence à renvoyer des informations pour modifier les convictions établies sur le forage par fracturation hydraulique, comme ce tweet d'un "consultant, développement stratégique et affaires publiques" très actif sur le réseau de micro-bloging, le démontre :