Gaz de schiste : Total pourrait-elle passer outre au moratoire ?

En France, il est interdit d'utiliser la technique de fracturation hydraulique depuis le moratoire de 2011. L'entreprise pétrolière Total voit pourtant son recours avec le tribunal administratif de Cergy-Pontoise accepté, pour récupérer son permis d'exploration. Le moratoire sur les gaz de schiste va-il être contourné ?
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Blocage de Total au Danemark
Des citoyens danois bloquent l’accès à un site de forage de Total au nord du Danemark, à Ovnstrupvej. La compagnie française détient un permis depuis 2010 pour explorer le gaz de schiste dans cette zone.
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Les dégâts écologiques causés par la fracturation hydraulique — que ce soit pour l'exploration ou l'exploitation des gisements de gaz de schiste — sont connus (lire notre dossier : "Gaz et huiles de schiste : futur problème écologique mondial ?").

Le gouvernement Fillon, suite aux manifestations de mécontentements à l'encontre des grandes compagnies pétrolières prêtes à exploiter cette ressource en France, avait déclaré en 2011 un moratoire interdisant l'exploration ou l'exploitation des gaz de schiste par fracturation hydraulique. Les compagnies ont donc dû se plier à cette interdiction, tout en annonçant qu'elles ne renonçaient pourtant pas à exploiter cette ressource… mais qu'elles envisageaient d'autre technologies d'extraction.

Une autorisation "prévue" d'avance ?

Le moratoire sur les gaz de schiste n'est en effet pas une interdiction définitive puisqu'il repose  uniquement sur la technique contestée (et contestable) de la fracturation hydraulique.

La fracturation hydraulique consomme des quantités d'eau particulièrement importantes. Elle peut créer des mini-séismes et polluer durablement les nappes phréatiques.

Le gouvernement Fillon, s'il a bien pris en compte ces phénomènes et fermé la porte à cette technique particulière en mai 2011, l'a entrouverte pour l'exploitation des gaz de schiste à l'aide… d'autres techniques.
Dès l'été 2011, un document d'exercice d'influence de l'association d'anciens élèves de l'Ecole de guerre économique (AEGE)  expliquait d'ailleurs à son" client fictif Total" comment convaincre les dirigeants et l'opinion, d'exploiter les gaz de schiste. (lien vers le document PDF)

La possibilité pour des groupes pétroliers de revenir à la charge sur ce dossier et obtenir le droit de "fracturer" sur le territoire français n'est pas récente : dès 2012, des tribunes, déclarations politiques et autres études, laissaient entrevoir une nouvelle approche afin de "préparer les esprits" à ce changement (lire notre article : "Gaz de schiste en France : préparer les esprits pour leur autorisation ?".

Arnaud Montebourg, peu de temps avant de quitter le ministère de l'économie, fin 2014, avait commandé un rapport qui poussait à une exploitation "respectueuse de l'environnement" des gaz de schiste. Ce rapport — bien qu'enterré à l'époque — laisse entrevoir que le gouvernement n'était pas insensible à la possibilité de laisser Total ou d'autres pétroliers exploiter ces "hydrocarbures non-conventionnels" :

Une autorisation de fracturation par fluides ?

Le  permis d'exploration des gaz de schiste de Total sur la région de Montélimar a été abrogé, par décret, en octobre 2011 Ce permis concernait plus de 4 000 km2 dans la Drôme, l’Ardèche, l’Hérault, le Gard et le Vaucluse.
 

Carte permis
Carte par Marion Boucharlat pour OWNI Source : INSEE/BEPH


Le parlement a voté la loi sur l'interdiction de la fracturation hydraulique fin 2011, puis, en 2013, le Conseil constitutionnel a validé cette loi. Total a demandé alors l’annulation de l’abrogation de son permis de recherche de Montélimar.C'est cette annulation d'abrogation qui vient d'être acceptée par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise (Val d'Oise).

Etrangement, ce même tribunal a refusé récemment deux permis à des entreprises, comme le rappelle José Bové dans une interview datée du 8 janvier au quotidien Libération : "Il y a une dizaine de jours, le même tribunal administratif de Cergy a rejeté une requête similaire de la société américaine Schuepbach, titulaire des permis de gaz de schiste de Nant et de Villeneuve-de-Berg. Le tribunal nous a donné raison et a définitivement abrogé les permis de cette compagnie."

Sauf que Total semble jouer sur les mots, en déclarant au tribunal administratif utiliser pour ses recherches, les "techniques qui seront alors disponibles". Le tribunal administratif, ne voyant pas la fracturation hydraulique apparaître dans la demande de Total est donc en droit d'accepter la requête du pétrolier. Mais les écologistes, José Bové en tête, estiment que "tout le monde sait qu’il n’existe pas d’autre technique disponible que la fracturation pour accéder aux hydrocarbures de schiste piégés dans la roche". Ils ne comprennent pas comment il sera possible pour Total de contourner la loi. Pourtant, certains sites spécialisés semblent avoir la réponse : les fracturations alternatives, qui utilisent un fluide autre que l’eau, ou encore de nouveaux procédés à base d'explosifs, d'arcs électriques ou thermiques…


(Extraits de l'article "Techniques alternatives à la fracturation hydraulique" sur le site Connaissances énergies)

Techniques de fracturation alternatives utilisant un fluide autre que l’eau

Le choix d’un fluide pour les techniques de fracturation implique de faire un compromis entre de nombreux paramètres de natures différentes. En effet, un tel fluide doit être :

  • peu compressible afin d’éviter la consommation d’énergie qui serait nécessaire à une compression. Cela exclut de fait quasiment tous les fluides sous forme gazeuse(1) ;
  • peu visqueux afin de pouvoir pénétrer dans les interstices de la roche de manière à la fracturer ;
  • écologiquement acceptable ;
  • non inflammable ;
  • peu cher.

Autres techniques de fracturation

D’autres expérimentations de fracturation sont réalisées en exploitant une onde de choc ou un très fort chauffage de la roche.

(…) La fracturation par arc électrique
(…) La fracturation par explosifs
(…) La fracturation par procédé thermique

La décision du Tribunal administratif d'accepter la demande de Total semble indiquer que le permis de fracturer avec une méthode alternative risque d'être accordé fin janvier à l'entreprise. Si tel était le cas, la loi sur l'interdiction de la fracturation hydraulique serait contournée, et les défenseurs de l'environnement seraient alors de nouveau sur le pied de guerre.

A peine deux mois après la COP21, (conférence mondiale sur le changement climatique), le gouvernement français sera sans doute bien à la peine pour justifier cette autorisation, en totale contradiction avec les engagements pris pour préserver l'environnement et effectuer la transition énergétique, déclarée" incontournable" par François Hollande.