Gaz et huiles de schiste : futur problème écologique mondial ?

Le 1er juillet 2011, la Pologne prend la présidence de l'Union européenne. Les autorités de ce pays ont annoncé qu'elles se lanceraient sans réserve dans l'exploration et l'exploitation des gaz et huiles de schiste, très abondants en Pologne. Or cette technologie pose déjà de nombreux problèmes environnementaux, sociétaux ainsi que de santé publique aux Etats-unis. L'Europe n'échappe pas à la tentation de l'exploitation des " hydrocarbures de roche-mère " bien qu'elle  soit dénoncée comme un fléau par de nombreux observateurs. Mais les enjeux politiques et économiques semblent assez puissants pour passer outre la catastrophe écologique et humaine annoncée due à l'utilisation de ces nouvelles ressources dites " non conventionnelles ".
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Gaz et huiles de schiste : futur problème écologique mondial ?
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Corinne Lepage : « La loi votée ne sert à rien puisque Total utilisera la fracturation hydraulique sous prétexte de recherche »

Gaz et huiles de schiste : futur problème écologique mondial ?
Derrick et plateforme de forage d'un puits de gaz de schiste dans le Marcellus Shale (Pennsylvanie, États-Unis)
Les habitants des régions américaines où les gaz de schiste sont exploités ne peuvent plus vivre normalement. Eau impropre à la consommation, rejets de gaz autour et dans les habitations, bétail empoisonné, nappes phréatiques contaminées, explosions. Le documentaire Gasland (voir repères et bande annonce ci-contre) a été un révélateur du danger manifeste que représentait l'exploitation des gaz et huiles de schiste pour l'environnement et les populations vivant dans les zones où ces mines d'un nouveau genre s'ouvraient. Les grandes compagnies pétrolières et gazières ont entrepris une marche forcée vers ce nouvel eldorado énergétique, alors que le pétrole se raréfie. Une exploitation ancienne mais qui s'intensifie grâce à de nouvelles techniques Si le premier puits de gaz naturel a été foré aux États-Unis en 1821, il a fallu attendre 1940 pour voir la première fracture hydraulique être opérée, toujours outre-atlantique. Cette technique consistant à fracturer la roche par un fluide sous haute pression pour libérer le gaz ou huile enfermés dans le sous-sol était à l'époque très onéreuse et donc peu rentable. Jusqu'à la mise en oeuvre industrielle de la technique de forage horizontal par la société Devon (plus grand producteur pétrolier et gazier indépendant des États-Unis), en 2002. Les essais les plus concluants datent de 2005 et une exploitation intensive a débuté en 2007 aux États-Unis. Début 2011, on comptait 493 000 forages d'exploitation actifs aux états-unis dont 93 000 au Texas et 71 000 en Pennsylvanie. Le Canada a suivi la voie de son voisin, avec aujourd'hui 31 puits exploratoires au Québec, sans toujours effectuer les demandes officielles obligatoires (voir encadré vidéo - Reportage de Radio Canada).
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Carte de France des sites dont les permis ont été accordés et les sites en cours de “ prospection “ (cliquer pour agrandir)
Des enjeux économiques et politiques qui poussent les décideurs à s'arranger La dépendance énergétique, le prix de l'énergie, la raréfaction du pétrole (et depuis Fukushima, la défiance envers l'énergie nucléaire) sont au cœur des préoccupations des grands pays industriels. Selon plusieurs études, l'exploitation des gaz de schiste aux états-Unis et au Canada (nommés aussi hydrocarbures de roche-mère) pourrait changer la donne d'ici 10 ans pour la Russie, le Qatar et l'Iran qui dictent actuellement une politique de prix élevés pour le gaz qu'ils exportent vers l'Europe. Dans le même temps les états-unis estiment que 40% de leur consommation énergétique sera issue de l'exploitation de ces " ressources non-conventionnelles " (autre terme encore appliqué aux gaz et huiles de schiste) en 2040, contre 20 % aujourd'hui (étude du MIT, 2010 page 17-18). Les pays européens, extrêmement dépendants du gaz russe et moyen-oriental, cherchent des issues pour augmenter leur autonomie énergétique, les investissements dans les énergies renouvelables n'étant pas encore massifs, particulièrement en France ou dans les pays satellites de l'ex-Union soviétique. Un document interne de la société Total cité par le magazine économique " Les Echos " estime les réserves Françaises en hydrocarbures de roche-mère à cent ans de consommation nationale. Les grandes compagnies pétrolières américaines, seules détentrices pour l'heure de la maîtrise technologique d'extraction des gaz et huiles de schistes s'allient avec des groupes pétroliers européens pour de futures explorations et exploitations. Quitte à pratiquer un lobbying intense qui peut semer le doute entre intérêts privés et décisions politiques. La réforme du code minier (voir encadré repères) avait été effectuée dans l'urgence par Eric Besson début 2011 alors que des voix commençaient déjà à s'élever contre les permis d'exploration accordés en mars 2010 par le ministre de l'écologie Jean-Louis Borloo. Mediapart a publié récemment un document de la direction régionale de l'environnement de  l'aménagement et du logement Midi-Pyrénées attestant que la fracturation hydraulique a déjà été utilisée en France sur la commune de Franquevielle en Haute-Garonne, en mars et en avril 2007 par la société Encana France, filiale française du groupe américain mis en cause dans  " Gasland ". Le permis de recherche avait été attribué début 2006. Et on se souvient que le président Nicolas Sarkozy avait décerné la légion d'honneur en 2008 au milliardaire canadien Paul Desmarais, soutien inconditionnel du candidat Sarkozy en 2007, co-pdg de  la Power Corporation du Canada, principale actionnaire des deux plus grande entreprises françaises d'exploitation de gaz, Total SA et GDF-Suez.
Gaz et huiles de schiste : futur problème écologique mondial ?
L'un des protagonistes américain de “ Gasland “ vivant près d'un forage et dont l'eau du robinet s'enflamme
Des populations qui n'ont d'autre choix que de manifester leur désaccord Au Canada, début 2011, un moratoire a été demandé par les associations d'usagers suite à un rapport d'enquête du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement, indiquant que sur 31 puits au Québec, 11 produisaient des émanations de gaz (rejets indésirables dans l'air, NDLR). L'Angleterre a débuté l'exploration par fracturation hydraulique en mars 2011, dans la région de Blackpool par l'entremise de la société Cuadrilla Resources qui a dû stopper son activité 3 mois plus tard : un séisme de magnitude 1,5 sur l'échelle de Richter a été enregistré, son épicentre se situant à l'endroit même où la première fracturation avait été effectuée. Des mouvements de contestations ont vu le jour en France obligeant le gouvernement au printemps 2011 à faire voter une loi " interdisant la fraturation hydraulique à des fins non-scientifiques " (encadré repères) suite à des manifestations citoyennes et d'élus inquiets pour leurs territoires. Le Groupe Total n'est pas inquiet des décisions françaises Un responsable du groupe Total interrogé à propos de la loi française sur l'interdiction de la fracturation hydraulique estimait que " la loi, bien que votée à l'Assemblée nationale et au Sénat n'est pas encore applicable, une commission doit encore rendre son rapport. Mais qu'il " serait par contre dommage de se priver de jauger le potentiel du sous-sol français ". Sur ce sujet, et de façon contradictoire, le représentant explique que " de toute façon, il est possible d'effectuer des explorations en forage vertical, sans fracturation hydraulique, en prélevant des carottes ". Pour ce responsable, " le groupe Total a des exigences bien plus élevées que les entreprises mises en cause aux USA, aucune contamination de nappe phréatique n'a été relevée en France depuis que nous exploitons du gaz ". Certes, mais Total n'a jamais exploité de gaz de schiste sur le territoire, seulement du gaz conventionnel. Sur les nuisances esthétiques causées (paysage défiguré par les forages et pollué par le balai sonore et visuel incessant des camions, NDLR), la réponse est très claire : " C'est vrai, on ne peut pas le nier, mais c'est un choix de société  par rapport à notre indépendance énergétique ". Pour l'inquiétude vis à vis de l'utilisation de grandes quantités d'eau, incontournable avec la technique de fracturation hydraulique, " c'est l'équivalent d'un terrain de golf par puits, ce n'est donc pas si important qu'on le dit ". Le problème que ne souligne pas le responsable du groupe est que sur une zone contenant des réserves de gaz de schiste, il y a un puits tous les 200 mètres. Alimenter 10, 20 ou 30 terrains de golf dans un espace aussi réduit ne pose visiblement pas de problème au groupe pétrolier. Le pétrolier a entamé la phase exploratoire en Pologne Total affirme qu'il n'est pas inquiet d'un point de vue économique par la loi française interdisant l'exploration et l'exploitation des gaz de schistes par fracturation hydraulique puisque " 98% de notre activité est à l'étranger, nous sommes présents dans 40 pays, donc ce n'est pas très grave. Total respectera la loi et est prêt à soumettre des projets en toute transparence  ". Pour Corinne Lepage, ancienne ministre de l'Environnement, députée européenne et avocate spécialisée dans les domaines de l'énergie et de l’environnement, Total n'a effectivement pas à être inquiet " la loi votée et qui sera bientôt au journal officiel ne sert à rien, puisqu'elle n'empêche absolument pas d'utiliser la fracturation hydraulique en cas de recherche scientifique. Total explorera donc avec cette technique sous prétexte de recherche, c'est évident ! "
Proposition législative de Corinne Lepage
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En réaction au documentaire " Gasland ", le ton du représentant de Total se veut conciliant : " Les préoccupations des habitants touchés par les rejets et les contaminations sont légitimes, le film est bien fait, mais il faut savoir que les entreprises mises en cause aux états-unis ne se conforment pas à nos standards. Il y aussi les remontées naturelles (de gaz, sans que l'exploitation n'en soit la cause, NDLR) qui ne sont pas abordées. Le problème du film reste qu'il est trop dans l'émotion, ne fait pas assez la part des choses ". Total a débuté des phases exploratoires par fracturation hydraulique en Pologne, en partenariat (à 49% des intérêts) avec le groupe américain Exxon Mobil. Le président français Nicolas Sarkozy s'est empressé de rassurer le Premier ministre polonais Donald Tusk en lui déclarant le 4 juin dernier " On sait que le gaz de schiste est important pour vous, on ne veut pas vous créer des difficultés au niveau européen ". La Pologne est le pays européen possédant les plus grandes réserves de gaz et huiles de schiste d'Europe (selon des estimations géologiques), juste devant la France.
Nathalie Kosciusko-Morizet , ministre de l'Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, le 7 février 2011 : " Ce n'est pas à proprement parler un moratoire, puisqu'un moratoire n'est juridiquement pas possible dans le code minier ".
Reportage de Radio Canada sur l'exploitation des gaz de schiste sous les basses-terres du Saint-Laurent en novembre 2010. Première partie de l'émission. Reportage de Radio Canada sur l'analyse de l'eau rejetée par les puits de gaz de schiste  et traitée par la municipalité de Trois-Rivières.

Repères

La loi du 12 mai 2009 (possibilité de modifier certains droits) a permis au ministre Eric Besson le 7 décembre 2010 de réformer le code minier par l'introduction de l'article 28 dans la loi 2010-4088 . Cette réforme a été actée par une ordonnance du 20 janvier 2011 . En mars 2010, 3 permis exclusifs de recherche de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux avaient été accordés par le ministre de l'écologie Jean-Louis Borloo en toute discrétion, sans consultation préalable. Ces permis touchaient les départements de l'Ardèche, de la Drôme, du Gard, de l'Aveyron, de la Lozère et de l'Hérault. Aujourd'hui plus de 20 sites sont concernés . Le code minier réformé permet désormais dans le cas de permis exclusifs de recherche que " l'instruction de la demande ne comporte pas d'enquête publique " Article L122-3, alors qu'auparavant l’enquête publique préalable était laissée à l’appréciation des autorités locales. Grâce à ces dispositions du ministre de l'industrie, les exploitations offshores sont simplifiées, les enquêtes publiques environnementales et archéologiques sont donc supprimées. La loi votée le 11 mai à l'Assemblée nationale (Proposition de loi visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique), puis au Sénat le 8 juin, n'empêchera probablement pas l'exploitation des gaz et huiles de schiste en France. La restriction ne se situe que sur la technique d'exploration et d'exploitation dite de " fracturation hydraulique ". Pour de nombreux parlementaires et spécialistes de la question, opposés à l'exploitation des gaz et huiles de schiste, il semble évident que les exploitants donneront des appellations différentes à leurs techniques d'exploration et de d'exploitation afin de pouvoir utiliser leurs permis...en toute légalité, et sans enquête publique préalable. Sachant qu'un amendement a été voté au Sénat laissant la possibilité d'utiliser la technique de fracturation hydraulique pour effectuer des recherches à " caractère scientifique ". Consulter le rapport provisoire sur les enjeux des gaz et huiles de schiste demandé en février 2001 par le ministère de l'écologie et celui de l'énergie français, remis en avril 2011.
Bové à Varsovie pour sensibiliser aux risques liés aux gaz de schiste (AFP) – le 13 juin 2011 Une délégation de cinq eurodéputés verts, dont le Français José Bové et l'Allemand Reinhard Bütikofer, sera mardi et mercredi à Varsovie pour sensibiliser le gouvernement polonais aux risques liés à l'exploitation des gisements de gaz de schiste dans ce pays. "On va voir comment (les autorités polonaises) abordent la question des gaz de schiste, on va les sensibiliser, on va essayer de les convaincre de ne pas pousser plus loin, de sortir de ce type de projet", a déclaré à un journaliste de l'AFP, José Bové, leader de la mobilisation en France. Avant de rencontrer mercredi le Premier ministre polonais Donald Tusk, en compagnie de ses ministres de l'Energie et de l'Agriculture, les parlementaires rencontreront mardi des organisations de défense de l'environnement de la région de Lublin (sud-est de la Pologne). D'après un récent rapport américain, la Pologne possède les plus importants gisements de gaz de schiste en Europe, estimés à 5.300 milliards de mètres cubes qui pourrait lui assurer une indépendance énergétique par rapport à la Russie. Le groupe pétrolier français Total a annoncé en mai avoir pris une part de 49%, aux côtés de l'américain ExxonMobil, dans deux concessions d'exploration de gaz de schiste en Pologne. La Pologne prenant le 1er juillet la présidence de l'Union européenne, les élus d'Europe-Ecologie vont également plaider, avertit José Bové, pour que Varsovie favorise l'émergence d'un cadre légal européen pour combler le vide juridique qui entoure l'exploitation des gaz de schiste. En France, les opposants réclament l'interdiction d'exploitation de gaz de schiste, craignant que la technique de fracturation hydraulique de la roche ne pollue les nappes phréatiques.