Le FIFDH, on le sait, aborde les sujets difficiles : tortures, disparitions forcées, droit des femmes, réfugiés, violences politiques, autant de thématiques que l'on ne verra pas forcément à la télé, entre le match de foot et la tournée triomphale d'un chanteur inconsolable. Ni chantage à l'émotion ni images insoutenables ou gratuites. Les oeuvres présentées, films ou documentaires, relèvent d'une très haute exigence artistique et pédagogique.
Depuis 15 ans, l'intelligence infuse une programmation aussi subtile que douloureuse. Léo Kenneman, créateur de l'événement, a tracé une feuille de route rigoureuse. Découvrir, comprendre et dénoncer.
On vient au FIFDH chercher des clés de compréhension d'un monde maboul. On revigore ici une empathie anémiée.
Lors de cette quinzième édition, nous avons croisé dans les couloirs Dilma Roussef. L'ancienne présidente destituée est venue à Genève pour évoquer «Fome Zero», un régime de sécurité alimentaire qui a permit à plus de 20 millions de Brésiliens de sortir de la faim et de la misère.
Dans une autre salle, au même moment, quelques mètres au dessus d'elle, le prix Pullitzer Afgan et sa femme évoquaient le
photojournalisme, ses dangers et ses contraintes. Une passionnante table ronde avec les photographes Massoud Hossaini, Farzana Wahidy, Bulent Kilic et Teddy Mazina, prix Martine Anstett 2017.
La salle était comble et le silence chargé d'émotion après la projection du film Frame by Frame. L'oeuvre évoque l'émergence du photojournalisme en Afghanistan depuis l'invasion américaine de 2001. Un métier ressuscité avec ses dangers, ses contraintes et toujours soumis au bon vouloir éditorial des agences étrangères.
Le Festival est aussi une mémoire.
En invitant Louis Joinet, le FIFDH a tenu cette année à rendre hommage à l'un des juristes parmi les plus subtils et inventifs du droit international, un homme discret qui est aussi une légende. Il est l'artisan, entre autres, de la convention internationale contre les disparitions forcées, il a donné son nom aux «principes Joinet» de l’ONU pour lutter contre l’impunité en cas de violation des droits de l’homme. Cet homme précis au sourire d'enfant étonné est venu lire une communication écrite quelques heures plus tôt, "Un états des droits humains dans un monde devenu imprévisible".
Louis Joinet, après avoir rappelé que "les victimes les plus nombreuses de Daech sont les musulmans", après avoir évoqué les malentendus de la justice transitionnelle, le fin juriste aborda le dernier chapître de son intervention : "tenter d'endiguer les viols de masse". Et de donner les chiffres de l'ONU : " On évalue à plus de 500 000 cas le nombre de viols commis dans la région des Grands Lacs, 250 000 ou plus lors du génocide du Rwanda et entre 20 et 50000 lors du conflit en Bosnie. Mais je constate qu'il y a cependant quelques bonnes raisons d'espérer depuis que d'une part le statut pénal de Rome de la Cour Pénale Internationale (CPI) accorde une place prépondérante aux violences à caractère sexuel et d'autres part, la société civile se mobilise de plus en plus.. Dans ce type d'affaire, il faut le souligner, les seuls témoins sont presque toujours les victimes. Elles peuvent désormais déposer sous un pseudonyme, avec une voix dénaturée, une image floutée ou à huis clos".
Sa voix se brisa quand il évoqua la thématique des disparitions forcées, cette lutte contre le temps qui passe, contre l'oubli.
Les larmes jaillirent au souvenir de Norma Scopise, une grande amie uruguayenne, torturée puis disparue en 1976.
Norma avait 24 ans.
Louis Joinet tenait à rendre hommage à sa mémoire.
Il lu ce poème bouleversant :
"Étais-je de Cordoba ?
De Dili de Djakarta
De Conception ou Bogota
Je m’appelle Norma
J’étais, Je suis
Je ne suis plus
Je ne sais pas
Je ne sais plus
Enlevée disparue
En toute impunité
Victime d’un crime
Presque parfait
De lèse humanité
N’être plus que l’ombre
D’un crime imprescriptible
Disparue dans les cieux
D’un vol de la mort
Demeuré mystérieux
Errante dans ce Palais
De salles en salles
De Nations en Nations
Compagne de cette diaspora
De visages oubliés
Invisible parmi vous
Mais présente à vos côtés
Merci ô vivants
De ne pas m’oublier"