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« Chine et « fake news » : ce manichéisme qui perdra certains intellectuels français », c’est ainsi que la média chinois CGTN a titré un de ses articles du 1er avril qui n’a rien d’humoristique.
Face aux récentes accusations de la communauté internationale sur le Xinjiang, et les doutes exprimés sur l’origine de la pandémie de COVID-19, la Chine déploie une communication de démenti automatique, quitte à attaquer ouvertement ses pourfendeurs ou même... produire des comédies musicales. Entretien avec Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), spécialiste de la Chine, Taïwan et des deux Corées.
TV5MONDE : Quelle stratégie politique se cache derrière cette communication ?
Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) : Depuis quelques années, on a vu une montée en puissance des efforts de communication chinois à l'étranger, notamment depuis un discours de Xi Jinping d’août 2013 où il appelait à « mieux raconter l'histoire et mieux faire entendre la voix de la Chine ».
En juillet 2020, vous aviez 151 comptes officiels sur Twitter associés à la diplomatie chinoise, c’est à dire des comptes de porte-paroles, d’ambassadeurs ou de consuls. Sur ces 151 comptes, 113 avaient été créés entre juillet 2019 et juillet 2020. La majorité l’ont été après l'été 2019, principalement en réaction au mouvement pro-démocratie à Hong Kong, qui utilisait beaucoup les réseaux sociaux dont Twitter. Il y a eu une volonté des autorités chinoises de contrer cela en apportant leur propre communication.
En parallèle, il y a eu une augmentation par 10 de l'activité des comptes, entre décembre 2019 et mai 2020. Le compte de l'ambassade de Chine en France, créé en septembre 2019, commence vraiment à être actif à partir du 20 janvier, date du discours de Xi Jinping où la Chine reconnaît pour la première fois l’existence d’une crise sanitaire. À partir de ce moment-là, c'est très net, on va voir des comptes devenir extrêmement actifs pour essayer d'imposer des éléments de langage de la Chine.
Les diplomates étrangers en Chine ont une expression extrêmement contrainte, y compris sur les réseaux sociaux. A contrario, les diplomates chinois à l’étranger bénéficient d'une liberté totale, y compris celle de désinformer. Il ne faut pas qu’une société ouverte soit synonyme d’une société naïve qui fermerait les yeux sur de telles manœuvres. On est dans une communication de plus en plus débridée et ce n'est pas acceptable. La Chine est devenue un acteur de désinformation.
TV5MONDE : Les Etats-Unis ont longtemps été « l’ennemi juré » de la Chine. Les relations sont-elles désormais en train de se tendre avec l’Union Européenne?
La Chine a déjà essayé d'isoler certains pays en leur imposant une pression considérable, qu'elle soit politique ou économique. On l'a vu avec la Corée du Sud en 2017, quand les Sud-coréens ont annoncé le déploiement d'un système de défense anti-missile américain.
Avec l’Europe, c'est un peu différent. Les Chinois considèrent l'Europe comme le ventre mou de l'Occident, qui n'osera jamais prendre des mesures contre elle. Ça explique d’ailleurs la surenchère de la semaine dernière : l’UE a sanctionné quatre individus et entités chinoises pour des violations des droits de l’homme, et la Chine a sanctionné en retour 10 individus, dont 4 élus. En retour de 10 individus et 4 d’hommes politiques élus. Le but ici est d'envoyer un message à l'Europe : "Nous contrôlons l'escalade, et si vous faites quoique ce soit nous le ferons puissance 10". Ce n'est pas un hasard si le boycott sur les entreprises de textiles repose sur une entreprise européenne à savoir H&M. Je pense que l'objectif est de neutraliser politiquement l'Europe.
TV5MONDE : La pandémie de Covid-19 a-t-elle entrainé en Chine un verrouillage de l’information encore plus important?
Ça a catalysé des tendances qui existaient déjà. Depuis mars 2020, le cadre pandémique permet à la Chine de vanter les réussites de son système politique, même s’il est vrai qu’elle a mieux géré la crise sanitaire que l’Europe.
Cette année marque aussi les 100 ans du Parti communiste chinois, et l'an prochain se déroulera le 19e congrès du parti où Xi Jinping a l'ambition d'être réelu comme secrétaire général et de rester au pouvoir. L'objectif est de mettre en scène la supériorité du système politique chinois sur les autres systèmes politiques étrangers, avant tout auprès de sa population. Il s’agit d’une bataille de système à système, pour des valeurs, des modèles politiques.
Voir aussi : "Petite frappe" : quand l'ambassadeur de Chine s'en prend à un chercheur français
TV5MONDE : Vous avez été la cible d’attaques personnelles de la part du pouvoir chinois, notamment de l’ambassade en France. Qu’est ce que cela révèle selon vous?
Ce n'est pas nouveau. D'autres chercheurs précédemment ont fait l'objet d'attaques similaires comme Anne-Marie Brady ou Adrien Zenz. Là où mon cas est singulier, c'est ce ne sont pas mes travaux qui ont été attaqués mais la personne. Quand on me qualifie de "petite frappe", "hyène folle", "troll idéologique", on ne remet à aucun moment mes travaux en cause, on ne cherche pas à me contredire en me disant que mes analyses sont fausses. Ça souligne tout d’abord que les autorités chinoises sont mal à l'aise avec le fait qu’un débat émerge à l’étranger sur la Chine, et qu'elle ne soit pas capable de le contrôler ou de l'empêcher.
La principale raison de ces attaques repose, selon moi, sur le fait que la Fondation pour la Recherche Scientifique (FRS) a lancé un programme de recherche sur Taïwan, avec l'objectif de normaliser le pays comme un sujet de recherche et un objet de débat politique.
Or, il n'y a aucun d'angle d’attaque pour eux. Ils ne peuvent pas attaquer l'existence d'un programme. Et c'est là qu'il y a une évolution inquiétante : leur objectif est d'empêcher un débat public, ou de le contraindre, mais en aucun cas d’y participer.