Géopolitique : sur qui la Russie peut (encore) compter ?

Tout l’Occident se range désormais derrière l’Ukraine, envahie par les forces russes depuis plus de 10 jours. Qu’en est-il des autres régions du monde ? Cible de sanctions économiques sans précédent, la Russie peut-elle se reposer sur des pays alliés ?  

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Poutine 4 mars 2022
Le président russe Vladimir Poutine le 4 mars 2022.
AP/Andrei Gorshkov
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Difficile pour la Russie de trouver des soutiens dans la guerre qu’elle a décidé de mener contre l’Ukraine. Si le camp du soutien à Kiev semble largement l’emporter tant sur le plan diplomatique qu’au regard des populations, certains pays ont affiché un soutien sans faille au Kremlin ou ont préféré, prudemment, ne prendre aucun parti.

La Chine, allié de Moscou ? 

Ce fut un temps le cas pour la Chine, qui tout en « [regrettant] profondément le conflit » auprès du chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kouleba, a déclaré qu’elle « [comprenait] les préoccupations de sécurité légitimes de la Russie. » Ce 7 mars, le gouvernement chinois a cependant décider d’afficher une relation sino-russe indiscutable, fruit d’une « amitié solide comme un roc » a annoncé le ministre des Affaires étrangères chinois Wang Yi lors d’une conférence de presse.

« Partenaire le plus stratégique de la Chine », « l’une des relations bilatérales les plus essentielles au monde », les qualificatifs ne manquaient pas au chef de la diplomatie pour décrire l’attachement chinois envers Moscou qui se retrouve de plus en plus isolée sur la scène internationale. « Depuis 2014, la Chine cherche à ne pas laisser la Russie seule face aux sanctions de l’Occident. La rivalité commerciale, économique et presque psychologique entre Pékin et Washington motive le soutien chinois à la Russie » explique Frédéric Encel, géopolitologue et auteur de les Voies de la puissance chez Odile Jacob.

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Désormais fuie par des enseignes de tout secteur, visée par de lourdes sanctions économiques, exclue du système SWIFT, la Russie pourrait rapidement se retrouver tributaire de sa relation avec la Chine qui détient en obligations près d’un quart des avoirs russes. Mais le soutien de Pékin, premier partenaire commercial de la Russie, ne pourra s’inscrire que sur le plan économique précise Julien Théron, enseignant-chercheur à Sciences Po. « La stratégie politique de Moscou qui cherche à reconnaitre des républiques séparatistes met la Chine dans l’embarras. Elle n'a aucune envie de voir des revendications d'indépendances naître en Mongolie intérieure, au Xinjiang ou au Tibet. » souligne le chercheur, auteur de "Poutine, la stratégie du désordre" aux éditions Tallandier.

Cette relation asymétrique sino-russe pourrait faire alors la part belle à Pékin : « Les sanctions de l’Occident permettent d’installer un rapport de force avantageux de la Chine avec la Russie, et à la fois de vendre auprès des Occidentaux une absence de soutien politique envers Moscou. »

Soutien entre régimes totalitaires

Le 2 mars dernier, à l’Assemblée des Nations Unies, 203 pays étaient amenés à s’exprimer sur la résolution qui « exige que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine. » Si une écrasante majorité a soutenu le texte, 35 pays se sont abstenus, dont la Chine, tandis que quatre autres (en plus de la Russie) ont voté contre.

On ne peut toutefois pas considérer qu'il y ait un réel réseau d'alliances en faveur de la Russie.

 Frédéric Encel, géopolitologue

Les votes "contre" de la Biélorussie, la Syrie, la Corée du Nord et l’Érythrée étaient cependant attendus selon Frédéric Encel, bien qu’ils « ne correspondent à aucune cohérence ni géographique ni qualitative ». « La Biélorussie est un régime inféodé et même partie prenante de la guerre. La Syrie de Bachar Al-Assad, dont le bilan de ces 10 dernières années est connu de tous, n’a tenu que par les bombardements massifs russes sur Alep. Enfin, la Corée du Nord, même si elle n'a aucune force de projection diplomatique reste pro-russe et anti-occidental. On ne peut toutefois pas considérer qu'il y ait un réel réseau d'alliances en faveur de la Russie » développe le géopolitologue.

En Amérique latine, nombreux aussi sont les pays soutiens historiques à Moscou. Parmi eux, le Nicaragua et le Venezuela font partie des six pays à avoir reconnu, à la suite de la Russie, les régions séparatistes pro-russes de l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud. Ces régions rattachées autrefois à la Géorgie, ont mené des luttes d’indépendance en 1999 et 2008, clairement soutenues par la Russie.

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Le président vénézuelien, Nicolas Maduro, a dès le début du conflit affiché son soutien à Moscou en qualifiant de « crimes » les sanctions infligées à la Russie. Avant l'invasion de l'Ukraine, le président chaviste avait même lancé : "Le Venezuela est avec Poutine, il est avec la Russie. Il est avec les causes courageuses et justes dans le monde ».

Le 6 mars, le New York Times faisait état cependant d’une visite de hauts responsables du département d’Etat à Caracas. La Maison Blanche a par la suite indiqué qu'elle examinait comment réduire les importations de pétrole russe, tout en étant disposés à revoir sa politique de sanctions à l'égard du Venezuela. L'une des mesures mise en oeuvre en avril 2019, empêche toujours le pays - en récession depuis 7 ans - de vendre son pétrole brut sur le marché américain.
 

Qui a reconnu Donetsk et Lougansk ?

Le 21 février 2022, Vladimir Poutine signe la reconnaissance des Républiques séparatistes de Donetsk et Lougansk. Depuis, la Biélorussie, la Centrafrique, la Syrie, le Nicaragua, le Kirghizistan et le Vénézuela ont aussi reconnu l'indépendance des territoires.

Qui a reconnu la Crimée ?

La Russie a annexé et reconnu la Crimée comme territoire russe en mars 2014. En parallèle, la Biélorussie, l’Afghanistan, le Vénézuela, la Syrie, le Soudan, la Corée du Nord, le Zimbabwe, Cuba, la Bolivie, le Nicaragua et le Kirghizistan ont aussi reconnu l'indépendance de la péninsule.

L’Afrique inattendue

Si les manifestations en soutien à l’Ukraine se multiplient dans nombre de villes à travers le monde, jusque dans des anciennes républiques soviétiques, les rassemblements pro-russes se font  bien plus rares. En Centrafrique, où la présence de paramiltaires russes de Wagner n’est plus à prouver, une centaine de manifestants se sont rassemblés le 5 mars en soutien à Moscou, armés de pancartes proclamant "La Russie sauve le Donbass" ou encore "C’est la faute de l’Otan".

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Le Sénégal a aussi levé le ton contre le représentant de Kiev à Dakar à la suite d'un appel de l'ambassade de l'Ukraine à combattre aux côtés des forces ukrainiennes. 36 volontaires avaient accepté de partir. Le gouvernement sénégalais avait alors rapidement « invité instamment l'ambassade à retirer immédiatement l'appel et cesser sans délai toute procédure d'enrôlement de personnes de nationalité sénégalaise ou étrangère à partir du territoire sénégalais ».

À l’instar de 22 pays africains, le Sénégal comme la Centrafrique ou le Mali, ont fait partie des abstentionnistes le 2 mars lors de l’Assemblée générale de l’ONU. « Malheureusement, le continent africain a enregistré quelques coups d'État dernièrement. Pour ces régimes néo-autocratiques, Moscou n'est donc pas vu comme un acteur négatif » analyse Julien Théron.
 

Si Poutine atteint ses objectifs en dépit de la grande colère des Occidentaux, certains de ces États iront rechercher le partenariat de la Russie.

Frédéric Encel, géopolitologue.

Comme pour la Chine, le fait de ne pas prendre parti permet aussi à ces pays de ne renoncer à aucune opportunité tout en se prévalant d’une neutralité. « Il s'agit d’attendre afin de pouvoir voler au secours de la victoire » avance Frédéric Encel. « Si Poutine atteint ses objectifs en dépit de la grande colère des Occidentaux, certains de ces États iront rechercher le partenariat de la Russie et éviteront ainsi le courroux du Kremlin. Si, à l’inverse, Poutine perd cette guerre, ces derniers pourront toujours dire qu’ils n’ont pas soutenu la Russie. »