TV5MONDE : Les États-Unis sont catégoriques : l'Iran est responsable des attaques contre des navires pétroliers dans le Golfe d'Oman jeudi 13 juin. L'Arabie saoudite affirme que la République islamique est coutumière de ce genre d'actes. Qu'en pensez-vous ?
François Nicoullaud : Les Iraniens, au cours de la période la plus dramatique de l'histoire agitée de la République islamique, ont eu recours au terrorisme. On l'a vécu nous les Français pendant la guerre Irak-Iran. Quand la France vendait des armes à l'Irak, que des armes, des avions, des missiles français, frappaient l'Iran, ce dernier, ne pouvant pas répondre sur le même mode, se considérait autorisé à pratiquer le terrorisme (attentats, enlèvements...), l'arme des faibles, au fond, selon les Iraniens. Pendant ce conflit, il y a eu une guerre des tankers, déclenchée par les Irakiens, mais il s'agissait d'attaques visibles, de type militaire, de part et d'autre. A l'époque, il y a aussi eu des poses de mines flottantes dans le Golfe persique qui ont touché un certain nombre de navires.
En ce qui concerne, les attaques de jeudi dans le Golfe d'Oman, on attend toujours la preuve concrète. La première hypothèse qui vient à l'esprit c'est effectivement la responsabilité de l'Iran. Mais ce n'est pas totalement certain, une opération sous un faux pavillon pour faire porter le chapeau à Téhéran est aussi plausible.
Les Iraniens menacent de bloquer le détroit d'Ormuz, peuvent-ils réellement passer des paroles aux actes ?Si c'est eux qui se trouvent derrière ces opérations, c'est un avertissement sans frais. Le détroit d'Ormuz, vous le savez, est particulièrement étroit et c'est assez simple, en effet, de coincer ou de créer des dommages à des navires, avant, après ou pendant qu'ils passent le détroit d'Ormuz. La mise en garde des Iraniens est claire : si eux ne peuvent pas exporter leur pétrole, alors les autres non plus. Et en ce moment tout est fait pour empêcher l'Iran d'exporter son pétrole.
Malgré l'embargo l'Iran continue de produire du pétrole : que devient-il ? Où part-il ? et comment ? Il continue en effet d'en produire, probablement moins. Une grande partie est stockée. Arrivent-ils à en expédier de façon clandestine ? C'est possible, mais ça doit être assez marginal. Depuis 2012, (date à laquelle l'UE a décrété un embargo sur le pétrole iranien) les méthodes de détection des opérations clandestines d'exportation (suivi satellitaire, surveillance sur Internet des transactions...) ont fait de grands progrès.
Par ailleurs, Il faut bien comprendre que les sanctions américaines ne signifient pas que des navires de guerre interceptent les pétroliers iraniens. Les navires iraniens peuvent circuler comme ils veulent, en revanche, dès que l'Iran, essaye de vendre son pétrole, les banques, les sociétés, les raffineries, tombent sous le coup des sanctions américaines. Lesquelles ont découragé,de fait, les clients de l'Iran. A ce jour, officiellement en tout cas, plus personne n'achète de pétrole iranien.
Les sanctions américaines ne concernent pas seulement le pétrole, comment Téhéran fait face à ce nouveau tour de vis ?L'Iran souffre énormément, c'est certain. En effet, les sanctions ne touchent pas uniquement le pétrole, elles concernent désormais la pétrochimie, la métallurgie, et, surtout, plus personne n'a le droit d'utiliser le Dollar dans ses transactions avec l'Iran. Le Dollar étant la monnaie internationale on ne peut ni acheter ni vendre, y compris dans des secteurs qui ne sont pas spécifiquement soumis à sanctions. Le fait même que cela passe par une opération qui matérialise la transaction en Dollar suffit pour les faire entrer en jeu.
C'est un système extraordinairement sophistiqué et très efficace : le ministre iranien du Pétrole a récemment avoué que son pays traversait actuellement une période encore plus difficile que pendant la guerre avec l'Irak.
En outre, la monnaie iranienne fait du yoyo, elle est soumise à une puissante inflation. L'économie iranienne se rétracte mais pour le moment le régime résiste, à la grande surprise de Donald Trump d'ailleurs. Le président américain imaginait faire tomber l'Iran à genoux beaucoup plus tôt, espérait que ses sanctions entraîneraient soit la soumission du régime, soit la révolte de la population. Pour le moment on ne voit ni l'une ni l'autre.