Deux ans de prison pour des syndicalistes, dont neuf mois ferme. Il y a juste un an, la
lourde et inédite condamnation par un tribunal - sur réquisition du parquet soumis légalement au pouvoir politique - choquait le monde du travail français et suscitait un malaise au sein du Parti socialiste au gouvernement. Ces huit ex-salariés des usines de pneumatiques Goodyear d’Amiens (nord de la France) étaient accusés d’avoir séquestré des cadres dans le cadre d'un conflit social particulièrement dur, où plus d'un milliers de travailleurs s'étaient vus jetés à la rue par un groupe multinational en excellente santé.
Trois ans plus tôt, en 2011, le candidat François Hollande avait soutenu le personnel de cette usine emblématique des «
licenciements boursiers », thème porteur en situation de campagne électorale. La liquidation du site n'en a pas moins suivi son cours.
Sa fermeture effective en janvier 2014 donne alors lieu à l'action désespérée d'une partie du personnel qui retient pendant près de trente heures le directeur des ressources humaines et celui de la production. Les deux cadres jugeront l'expérience éprouvante mais admettront n'avoir pas été malmenés. Ils retirent leur plainte initiale, comme d'ailleurs la direction de l'usine. Mais l'action pénale, elle, se poursuit avec zèle contre les présumés participants à la séquestration.
►Lire notre archive : Goodyear : la prison pour des syndicalistes, nouvelle blessure pour la gauche française Pour l'exemple
Le gouvernement a voulu faire de nous un exemple. Et dire aux gens : ’faites attention si vous vous battez pour votre boulot, regardez ce qui peut vous attendre’ Reynald Jurek, prévenu
Il y a un an, la condamnation sans précédent récent de huit d'entre eux à des peines de prison ferme surprend et provoque de vives réactions. Celle-ci, surtout obéit à des réquisitions inédites en la matière et politiquement lourdes de sens.
«
Le gouvernement a voulu faire de nous un exemple. Et dire aux gens : ’faites attention si vous vous battez pour votre boulot, regardez ce qui peut vous attendre’ », déclare alors Reynald Jurek, un prévenu, dénonçant une «
décision purement politique ». Même analyse de leur avocat , Fiodor Rilov, qui voit «
une réelle volonté du parquet et du gouvernement d'intimider les militants syndicaux ».
En première ligne dans le conflit, la CGT s'élève particulièrement contre ce verdict, symbole de la «
criminalisation de l'action syndicale ». «
C'est tout le mouvement syndical qui est attaqué » s'inquiéte son secrétaire général Philippe Martinez. Pour le leader du premier syndicat français, la direction de l'usine «
avait fait le choix de l'apaisement, alors que ce que vient de décider la justice, c'est de rallumer la flamme ». «
La lourdeur de la condamnation peut nous interroger sur le fait que cette demande a été faite au plus haut niveau de l'État, de l'Élysée ou de Matignon ».
Tout en justifiant la condamnation, le Premier ministre Manuel Valls la reconnaît «
indéniablement lourde ». Celle-ci va, en tout cas, entraîner une certaine mobilisation, dans un contexte ou s'ouvrent d'autres fronts à risque – lutte contre la loi Travail, «
Nuits debout » parisiennes – désastreux pour le pouvoir .
Mobilisations
Toute l'année 2016, les actions de soutien aux « 8 de Goodyear » - laissés libre jusqu'au jugement d'appel - se succèdent. Une pétition en ligne réclamant l'arrêt des poursuites à leur encontre recueille plus de 170.000 signatures.
Lors du procès en appel tenu en octobre dernier, 10.000 personnes selon la CGT (5.000 selon la préfecture) se rassemblent à Amiens.
Et mercredi, pour le verdict, «
nous attendons entre 2.000 et 2.500 soutiens devant le tribunal. Sur un cas de répression syndicale, c'est le mouvement le plus rassembleur depuis près de 20 ans », affirme à l'AFP Mickaël Wamen, l'un des prévenus et figure emblématique de la lutte des Goodyear.
Lors de l'audience d'appel d'octobre sans plaignant - Goodyear ayant retiré sa plainte, comme les deux cadres concernés - les prévenus avaient tenté de convaincre les juges de leur absence de culpabilité et de la légitimité de leur action.
«
Séquestration ? Je n'aime pas le mot. A aucun moment, je n'ai entravé leur liberté de se lever et de partir, mais les salariés étaient en train de perdre leur emploi, c'était tendu, c'est sûr, on n'était pas en train d'applaudir la direction ! », avait résumé à la barre l'un des prévenus, Reynald Jurek.
Atténuation
Si on utilise la séquestration, c'est qu'on ne veut pas discuter, c'est qu'on veut contraindre
L'avocat général
«
Si on utilise la séquestration, c'est qu'on ne veut pas discuter, c'est qu'on veut contraindre, on tue le dialogue », avait rétorqué l'avocat général. Sourd au contexte social, celui-ci avait qualifié les faits reprochés aux salariés de «
délinquance pure et simple ». Moins sourd, cependant, au risque de l'éclat politique , il n'a toutefois pas requis de prison ferme, à l'inverse de son prédécesseur, prenant en compte opportunément le «
casier judiciaire vierge » des prévenus... ignoré en première instance.
«
En fonction de la décision des juges, il est possible qu'on se pourvoit en cassation, en espérant qu'on ne soit pas obligé de le faire, car on en a un peu ras-le-bol de cette histoire, ça fait trois ans que l'usine est fermée, on aimerait bien passer à autre chose, mais malheureusement ce conflit s'éternise », a poursuivi M. Wamen.
«
Nous attendons une décision juridique et non politique, on croit à la relaxe », a-t-il conclu.