Google Stadia : le streaming de jeux vidéo risque d'accélérer la crise environnementale

Le lancement de Google Stadia ce 19 novembre 2019, n'est pas une bonne nouvelle pour la planète. La plateforme mondiale de jeux vidéo en streaming risque de faire exploser les impacts environnementaux du numérique, déjà très importants. Explications. 
Image
Google Stadia : conférence
Présentation de Stadia, le système de "cloud gaming" de Google, lors du Game Developers Conference (GDC) en mars 2019, à San Francisco. (Photo : Google)
Partager7 minutes de lecture
Avec Stadia, la plus grande plateforme de streaming de jeux vidéo au monde, développée par Google, il y a deux nouvelles : une bonne et l'autre mauvaise. La bonne est à destination des joueurs, puisqu'ils vont pouvoir jouer sans limites, sur n'importe quel type de terminal. La mauvaise, c'est que Stadia risque de faire exploser l'impact environnemental du numérique sur la planète entière. La proposition de Google est simple : jouer de partout, sans console de jeu ou ordinateur spécialisé dans le "gaming", sans jeu à télécharger ou DVD à acheter, avec seulement l'accès à une liaison Internet.

En gros, tous les jeux proposés par Stadia — aujourd'hui une vingtaine des meilleurs titres du moment aux graphismes les plus sophistiqués et les plus lourds — sont jouables sur un téléviseur, une tablette, un smartphone ou un ordinateur, sans rien avoir à faire d'autre que de… s'abonner à Stadia. Tout se passe ensuite dans le nuage Internet, puisque le principe même du streaming est que l'ordinateur qui gère le jeu… n'est pas chez vous. Dans le cas de Stadia, tout est donc chez Google, dans ses centre de données. Si ce principe peut sembler intéressant par de nombreux aspects — dont celui d'être en apparence économe —, la réalité risque d'être à l'opposé. Stadia risque en fait de faire exploser le compteur des impacts écologiques du numérique.

Impact des usages numériques

Ce que l'on ne sait pas toujours, c'est que les usages numériques ont un impact environnemental global très important, au delà de leur consommation électrique. Le site greenit.fr vient de publier une étude (Empreinte environnementale du numérique mondial) — avec le soutien de l’Institut du numérique responsable (INR) — qui indique très précisément toutes les pollutions, consommations de ressources et destructions environnementales que les technologies de l'information génèrent. Les chiffres sont éloquents :


En 2019, le numérique mondial représente un 7ème continent de la taille de :
— 2 à 3 fois celle de la France
(selon l’indicateur environnemental observé) ;
et jusqu’à plus de 5 fois la France si on considère d’autres indicateurs
(masse, etc.).


Sa contribution à l’empreinte de l’humanité est loin d’être négligeable, puisque rapporté à des usages quotidiens, cela revient à :
— Gaz à effet de serre : 1,5 milliard de salariés français allant travailler pendant 1 an ;
— Eau : 242 milliards de packs d’eau minérale de 9 litres;
— Électricté. : 82 millions de radiateurs électriques (1000 Watts) allumés en
permanence.

La consommation électrique n’est pas un indicateur environnemental
pertinent, explique le rapport de GreenIT, qui calcule par contre tous les coûts environnementaux induits par l'utilisation du numérique, dont, en premier lieu, la construction de l'équipement de l'utilisateur. Ce sont les étapes d’extractions des matières premières (minerais notamment) et leur transformation en composants électroniques qui induisent les impacts les plus importants : épuisement des ressources abiotiques (terres rares le plus souvent), pollutions diverses (eau, terre, air), émissions de gaz à effet de serre, etc.


Goggle Stadia : quelques repères

— Connexion de plus de 35MB/s pour profiter de la 4K avec 60 images par seconde (60 FPS) et son 5.1 surround : 16 Go de données consommées à l'heure (l'équivalent de 2 DVD, alors qu'une heure de surf classique consomme entre 10 et 20 Mo de données)
— Connexion entre 10 et 35MB/s pour une qualité HD 1080p 60 FPS et stéréo (connexion à 20MB/s conseillée) : 9 Go de données consommées à l'heure.
— Entre 5 et 10MB/s pour l’offre HD 720p en 60 FPS et stéréo : 4,5 go de données à l'heure.

Stadia permet de "passer d’un écran à l’autre" pour un même jeu. Il est ainsi possible de commencer une partie sur smartphone, de la poursuivre sur ordinateur et de la terminer sur un écran de télévision… sans interrompre la progression. Pour jouer avec Stadia sur un téléviseur, une manette de jeu Stadia est nécessaire, associée à un "boîtier" de streaming Google Chromecast (connexion sur le port HDMI, pilotage du téléviseur par smartphone) ainsi qu'un abonnement mensuel Google Stadia. 

Avec Stadia, il va s'ajouter des milliards d'heures de jeu supplémentaires de nouveaux joueurs, qui pourront le faire depuis leur téléviseur.Frédéric Bordage, spécialiste du numérique responsable et auteur du rapport "Empreinte environnementale du numérique mondial"

Il faut savoir qu'en 2019, "l’univers du numérique" est constitué de 34 milliards d’équipements pour 4,1 milliards d’utilisateurs. Les télévisions sont passées devant tous les autres équipements connectés et sont responsables de 9 à 23 % des impacts environnementaux du numérique en 2019. La taille des écrans augmente en permanence, et avec elle, les dégâts environnementaux pour leur construction…

Stadia : la ruée du "gaming pour tous"

Le rédacteur principal du rapport "Empreinte environnementale du numérique mondial", Frédéric Bordage, explique les conséquences de l'arrivée de Stadia : "Que ce soit Google Stadia ou toute autre solution équivalente, cela va permettre aux éditeurs de jeux vidéo de vendre plus d'heures de jeux vidéo qu'ils n'en vendaient alors. Ces systèmes vont permettre de toucher des publics qui n'avaient pas de console de jeu ou un PC de gamer, jusque-là. L'industrie ne s'attend pas à une substitution. Les joueurs continueront à jouer avec leur matériel haut de gamme, mais il va s'ajouter des milliards d'heures de jeu supplémentaires de nouveaux joueurs, qui pourront le faire depuis leur smartphone, leur téléviseur."

Avec l'émergence de la 5G, s'il y a une offre alléchante de jeux vidéo en streaming, ce sera un facteur supplémentaire pour pousser les consommateurs à s'équiper de nouveaux appareils.Frédéric Bordage, spécialiste du numérique responsable et auteur du rapport "Empreinte environnementale du numérique mondial"

L'une des cibles de Google, avec Stadia, sont les pays en voie de développement, comme le souligne le spécialiste : "Avec l'essor de la 5G qui est particulièrement adaptée au streaming vidéo ou de jeux, les pays émergents sont un marché énorme pour les acteurs qui développent ces plateformes." Avec Stadia, les impacts environnementaux risquent de se jouer avant tout sur la taille des écrans, qui va s'accroître pour le confort de jeu ou la qualité d'affichage — jusqu'en 8K (!)  — mais aussi les types de connexion. 

Fredéric Bordage souligne d'ailleurs qu'un autre aspect catastrophique pourrait survenir avec la plateforme de jeux de Google : "Avec l'émergence de la 5G, s'il y a une offre alléchante de jeux vidéo en streaming, ce sera un facteur supplémentaire pour pousser les consommateurs à s'équiper de nouveaux smartphones 5G compatibles avec les plateformes de jeux. Ça ne peut être qu'un facteur aggravant, qui accélèrera l'obsolescence programmée de smartphones qui fonctionnent pourtant parfaitement."

(Re)lire : Réseaux 5G : des problèmes et des inconnues à tous les étages

Google attend 2 milliards d'utilisateurs sur Stadia à l'horizon 2025-2030, soit un tiers des utilisateurs du numérique dans le monde pour cette date. "Un chiffre énorme", comme le remarque Frédéric Bordage, qui estime qu'il pourrait être atteint, puisque "avec Stadia, on consomme du jeu vidéo avant la "friction" qui limitait l'industrie, celle de l'achat d'une console ou d'un PC de gamer. Cela va créer un effet rebond, et avec ces centaines de milliards d'heures de jeux vidéo supplémentaire., il y aura forcément un accroissement de l'impact écologique du jeu vidéo", conclut le spécialiste. 

Playing for the planet : le greenwashing de l'industrie du jeu vidéo ?

L'initiative "Playing for the planet — Jouer pour la planète", lancée le 23 septembre 2019 lors du sommet pour le climat à l'ONU, a comme objectif d'"atteindre plus de 970 millions de joueurs de jeux vidéo pour :
Réduire les émissions de 30 millions de tonnes de CO2 d'ici à 2030
— Planter des millions d'arbres
— Faire progresser la conservation de l'énergie
— Sensibiliser les consommateurs au moyen d'incitations dans le jeu
Réduire les matières plastiques et les produits toxiques contenus dans les emballages
— Améliorer l'économie circulaire dans la gestion des dispositifs plastiques et électroniques (déchets électroniques)
Inciter les joueurs de jeux vidéo à l’échelle mondiale à participer à la résolution de problèmes planétaires .

Google Stadia a annoncé pour sa part vouloir publier un nouveau "Guide de développement de jeux durables" et financera des recherches sur la manière d’intégrer efficacement les "incitations vertes" au jeu.