Sergueï Brin, co-fondateur de Google et directeur du laboratoire secret Google X Lab
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Cela fait des années que la firme américaine Google investit dans la recherche médicale et se paye les meilleurs scientifiques du monde. Le géant d'Internet a décidé il y a peu d'investir dans le stockage et l'analyse du génome humain. Google X Lab : délire de milliardaire ou laboratoire d'un futur ultra-technologique ?
Le "laboratoire secret" Google X Lab existe, mais personne ne sait où il est situé dans la baie de San Francisco. Ce qui est normal en soi, puisqu'il est secret. Mais pas totalement secret, car son directeur, Sergueï Brin, co-fondateur, avec Larry Page, de la célèbre entreprise géante Google, basée à Moutain View, parle [un peu] des projets du Google X Lab. Le dernier en date se nomme "Baseline Study". L'objectif ? Rien de moins que collecter le génome complet de centaines d'individus, puis de milliers, afin de connaître les biomarqueurs permettant de prévoir et prévenir les maladies. Il y aurait une centaine d'experts en biochimie, imagerie médicale, biologie moléculaire qui travailleraient sur le sujet depuis plusieurs mois. Ce projet du Google X Lab n'en est qu'un parmi des dizaines, voire des centaines, tous plus incroyables les uns que les autres, et ne reflète qu'une partie du "grand projet" en cours, celui qui devrait "révolutionner l'humanité" si l'on croit les affirmations des responsables de la firme.
Convergence
Ce que le grand public ignore encore peut-être au sujet de Google, c'est sa "véritable" activité. "Aujourd'hui, Google ne fait plus de l'informatique, mais des neuro-technologies" : c'est en substance ce que déclare Laurent Alexandre, chirurgien et PDG d'une entreprise de séquençage d'ADN, lors d'une conférence en juin dernier à Paris (voir vidéo "les neuro-révolutionnaires" en fin d'article). L'entreprise Calico est au cœur de cette nouvelle orientation de la firme californienne, et les rumeurs les plus folles circulent à son sujet. Et pour cause : Calico, fondée par Google, est basée dans le complexe secret… du Google X Lab. Calico est un raccourci pour "California Life Company" ("Entreprise californienne pour la vie", ndlr) et a, pour principale activité déclarée, la biotechnologie. L'entreprise "fille de Google" est censée mener des recherches afin de lutter contre le vieillissement et les maladies qui y sont liées. L'objectif affiché de Calico est, d'après ses créateurs, de "tuer la mort". Rien que ça. Les créations ou rachats d'entreprises, ainsi que les recrutements de Google vont tous dans le même sens depuis plusieurs années, celui des NBIC : Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives. Une convergence de sciences et de technologies censée apporter les nouveaux outils permettant de repousser les limites physiques et physiologiques humaines jusqu'à offrir… l'immortalité. La "philosophie" qui sous-tend ces recherches se nomme le "transhumanisme". Une vision ultra-technologique d'un futur où l'homme et la machine se confondront, où des implants électroniques augmenteront les capacités physiques ou intellectuelles, jusqu'à la "singularité technologique" : le moment où l'intelligence artificielle supplantera celle de l'homme. Cela, c'est pour la théorie.
Transhumanisme
Ray Kurzweil, fondateur de l'Université de la singularité affirme qu'il vivra jusqu'à 800 ans
En pratique, le courant transhumaniste n'est pas encore parvenu à repousser très loin les limites humaines. Mais il y travaille dur, particulièrement chez Page et Brin. Raymond Kurzweil, le futurologue, ingénieur et informaticien surdoué, ardent défenseur de la cause transhumaniste, ne s'y est pas trompé : il travaille désormais chez Google comme directeur de l'ingénierie, ou de la prospective, selon les sources, et ce depuis 2012. L'inventeur de la reconnaissance de caractères et spécialiste de l'apprentissage des machines, créateur de l'Université de la singularité, est persuadé que la première intelligence artificielle émergera au plus tard dans quinze ans.
Robots de Boston dynamics (entreprise rachetée par Google)
Cette intelligence artificielle (IA) est pour Kurzweil, ainsi que pour les dirigeants de la firme de Moutain View, la clé qui permettra, à terme, de parvenir à l'immortalité, avec l'émergence d'un "homme augmenté". L'IA, d'après Kurzweil, serait en mesure, en 2049 au plus tard, de résoudre tous les grands problèmes liés au vieillissement et à la perte de capacités, et devrait permettre de fabriquer toutes les technologies imaginables pour compenser les défaillances humaines. Le corps humain serait ainsi, par exemple, maintenu en bonne santé par des centaines de nano-robots de la taille d'une cellule, et la connexion au "cloud" (le réseau mondial) se ferait directement par un implant dans le cerveau. Il faut dire que l'intelligence informatique promise par l'ingénieur en chef de Google est prévue pour être un milliard de fois plus importante que celle d'un être humain… Toutes ces prédictions techno-futuristes font sourire, agacent ou emballent, et pourtant, des réalités bien tangibles sont déjà là. Créées par Google et son fameux X Lab.
Coffre à jouets technologiques ?
Les forces de l'ordre de Dubaï s'équipent de Google glass pour scanner les plaques d'immatriculation et prendre en photo les fuyards.
Les avancées de Google dans le domaine de l'intelligence artificielle et des "appareils intelligents" sont surprenantes, et préfigurent certainement les technologies du futur. La "Google Car" est emblématique des prouesses techniques que le X Lab est capable de mettre en œuvre : cette voiture sans chauffeur a déjà parcouru sans encombre plus d'un million de kilomètres sur les routes américaines. L'engin est assimilable à un robot autonome, désormais en capacité de reconnaître le geste d'un cycliste voulant tourner et de s'adapter à la situation, il peut donc parfaitement circuler… seul et sans chauffeur.
Une arrestation filmée par des Google glass
Les "Google glass" font déjà grand bruit à cause des problématiques qu'elles génèrent : droit à la vie privée, à l'image, inattention au volant. Ces lunettes connectées, capables de filmer, prendre des photos, afficher des informations, pilotables par la voix, sont dignes d'un film de science-fiction et prêtes à être commercialisées : les policiers de Dubaï en sont d'ailleurs déjà équipés, la police de New-York en a testé deux paires. Google a ainsi une nuée d'appareils ou de concepts révolutionnaires dans son grand coffre à jouets technologiques qu'est le Google X Lab : le cerveau électronique doté de 16 000 processeurs — auto-apprenant — est aujourd'hui capable de reconnaître des visages humains ; les implants neuronaux sont en cours de recherche ; la viande artificielle a été créée ; les prototypes de lentilles de contact intelligentes pour diabétiques existent ; les ballons stratosphériques pour fournir des connexions internet dans les lieux les plus isolés de la planète arrivent…
Neuro-amélioration : la fin de l'humanité ?
Une Google Car circulant sans chauffeur dans les rues de Washington (Photo Karen Bleier/AFP)
Les nouveautés technologiques high-tech de Google sont impressionnantes, épatent et emballent le public, mais pour l'heure, Google vend ses inventions les plus pointues en matière de robotique et d'intelligence artificielle au Département de la Défense américain. Nul doute qu'elles viendront ensuite envahir les rayons des magasins, mais leur application militaire ne peut qu'inquiéter. Au final, la "révolution technologique" prônée par l'entreprise considérée comme la plus puissante de la planète, si elle voit le jour, pose de nombreux problèmes. La firme de Moutain View et son laboratoire secret ont décidé de changer l'humanité, certes, mais leur principal objectif se situe à d'autres niveaux que la simple amélioration du quotidien. Si l'on adhère aux prédictions transhumanistes de Kurzweil, l'homme augmenté, le post-humain, sonnent le glas de l'humanité telle que nous la connaissons. Que feront les milliards de personnes dans l'incapacité de se payer les implants permettant l'allongement de la vie ? Quel statut pour les humains augmentés aux capacités prodigieuses — comparés aux humains "non-augmentés" ? La démocratie peut-elle survivre à des intelligences artificielles un milliard de fois plus performantes que l'Homme ? Où se situe la limite entre amélioration de l'Homme et création d'un surhomme ? Si les machines intelligentes fusionnent avec la biologie humaine, ne peut-on craindre, au final, la disparition de l'Homme ? Ces questions, bien qu'hypothétiques, ne sont pas entièrement dénuées de sens en 2014 au vu des avancées technologiques qu'une firme géante comme Google est capable de produire. Le monde futur, s'il est tel que les fondateurs du chef de file des moteurs de recherche internet l'envisagent, semble effrayant pour la grande majorité. Malgré la possibilité d'un recul de la maladie — et d'une immortalité, que chacun n'est pourtant peut-être pas prêt à accepter. Puisque comme le disait l'écrivain Franz Kafka : "l'éternité c'est long, surtout vers la fin…"
Les neuro-révolutionnaires : conférence de Laurent Alexandre à l'USI en juin 2014
En Une du magazine Time : “Google peut-il résoudre le problème de la mort ?“