Par ailleurs, "L'emplacement des camps est déjà connu de certaines ONG ou de chercheurs comme ceux de la
KINU en Corée du Sud" ajoute Benjamin Ismail, responsable du bureau Asie-Pacifique à Reporters sans Frontières.
Sans oublier que beaucoup de réfugiés nord-coréens informent à leurs risques et périls le reste du monde via divers médias : " Il y a des radios qui diffusent en Corée du Nord depuis la Corée du Sud en ondes courtes. Il existe aussi le site d'information
DailyNK ou le magazine
Rimjin-gang, co-fondé par un journaliste japonais et un réfugié nord-coréen, qui sont des sources d'information fiables."
Les informations sortent de Corée du Nord par SMS : les Nord-Coréens les envoient depuis la frontière chinoise. Car le pays n'est évidemment pas relié à Internet.
"Les internautes nord-coréens n'existent pas !" explique Benjamin Ismail. "Les rares accès à Internet sont limités, contrôlés et censurés : ils concernent une élite proche du pouvoir basée à Pyongyang ainsi que les officiels du régime - ministères, institutions... Et deux à trois ordinateurs sont reliés au web à l'Université des Sciences de Pyongyang, mais les étudiants n'ont accès qu'à certains sites".
On peut se demander quel est alors l'objectif de Google en dévoilant cette carte, trois semaines après le voyage d'Eric Schmidt en Corée du nord ? Le patron de Google a fait
une visite "humanitaire privée" de trois jours, avec un ancien diplomate américain, Bill Richardson. A son retour, il a déclaré que "la décision (des Nord-Coréens) de demeurer virtuellement isolés ne peut qu'affecter leur univers, leur croissance économique", tandis que "la planète devient de plus en plus connectée".
Chevalier blanc
Pour
Fabrice Epelboin, professeur à Sciences Po Paris, chef d'entreprise et spécialiste d'Internet, c'est un coup de communication. "Ce serait beaucoup plus délicat pour Google de dénoncer les goulags chinois par exemple. Les intérêts économiques de l'entreprise en Chine ainsi que les relations diplomatiques entre Washington et Pékin en souffriraient. En Corée du Nord, où le web n'existe pas, Google n'a rien à perdre. Et puis la Corée du Nord a un autre avantage : tout le monde est contre elle !"
Bref, avec cette annonce, le géant de l'Internet apparaît comme un "chevalier blanc" dans les médias du monde entier, ce qui est très "hypocrite" pour Fabrice Epelboin, qui souligne aussi les limites et les dérives du "User Generated Content" (le contenu généré par les utilisateurs, dont le "crowdsourcing" fait partie): "Par exemple, si vous êtes restaurateur, vous pouvez facilement acheter à des entreprises des critiques positives sur votre établissement dans des guides en lignes. A Madagascar ou en Tunisie, l'économie numérique repose en grande partie là-dessus. Ce qui est beaucoup moins connu, c'est que les services de renseignements et des cabinets occultes influencent l'opinion en ligne avec des fausses informations, des faux sites, des faux commentaires... "
Alors au final que penser de la carte de Google ? Curtis Melvin, beau joueur, le résume assez bien : "[Google] a permis d'attirer l'attention sur la question [de la Corée du Nord]. La Corée du Nord est un défi complexe en matière de politique, d'humanitaire et de sécurité et plus nous en savons, mieux c'est."
Le spécialiste s'est quand même payé le luxe de repérer une erreur sur la carte de Google : un terrain de golf indiqué sur l'île Yanggak, sur la rivière Taedong qui traverse Pyongyang, n'existe plus d'après plusieurs photos récentes de touristes.