Grèce : chaud et froid jusque dans les derniers mètres

La question vaut plusieurs milliards d'euros: la Grèce va-t-elle rembourser le FMI à temps? En pleine négociation-marathon avec ses créanciers, Athènes doit commencer vendredi à payer l'institution sous peine de plonger encore davantage dans l'incertitude.
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Tsipras Juncker
Alexis Tsipras et Jean-Claude Juncker à Bruxelles le 3 juin.
(AP Photo/Virginia Mayo)
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Le paiement de quelque 300 millions d'euros attendu vendredi n'est qu'une fraction des 1,6 milliard d'euros que la banque nationale de Grèce doit virer dans les caisses du Fonds monétaire international, en quatre versements, d'ici au 19 juin.

Si le premier paiement n'arrive pas vendredi soir, le couperet tombera: la Grèce sera considérée en retard de paiement et se verra jusqu'à nouvel ordre privée des 16,5 milliards d'euros que le FMI doit en théorie lui prêter d'ici à 2016, au risque de plonger encore plus ses finances dans les abysses.

Jusqu'à présent, le parti Syriza au pouvoir en Grèce a entretenu le flou sur sa volonté de rembourser cette dette héritée des plans d'aide colossaux de la troïka FMI-Commission européenne-Banque centrale européenne.

Fin mai, le ministre grec de l'Intérieur Nikos Voutsis a jeté un froid dans les couloirs du FMI en affirmant que les remboursements attendus en juin ne "se feront pas".

Son gouvernement a ensuite rectifié le tir en s'engageant à honorer ses engagements seulement s'il est "en situation" de le faire.

L'avertissement ne tombe pas par hasard. Athènes joue cette carte pour assouplir les exigences de la troïka, qui réclame des réformes drastiques en contrepartie d'une tranche de prêt de 7,2 milliards d'euros, bloquée depuis des mois. Une réunion mercredi soir à Bruxelles n'a pas permis d'aplanir tous les différends.

- "Signal d'alarme" -

En attendant le jour fatidique, le FMI affiche un certain optimisme. Jeudi, sa directrice générale Christine Lagarde s'est dit "confiante" après reçu les assurances du Premier ministre grec Alexis Tsipras. "Ses mots étaient: +Ne vous inquiétez pas+. Donc je suis confiante", a-t-elle déclaré.

Athènes a toutefois fait monter la pression en ne demandant pas le regroupement de ses paiements de juin, ce qui lui permettrait d'obtenir un répit jusqu'à la fin du mois, a appris l'AFP mercredi.

Le scénario d'un défaut est ainsi loin d'être exclu. "Sans argent frais venant des bailleurs de fonds, le gouvernement grec a peu de chance d'honorer ses remboursements", assurent les analystes de Commerzbank.

La Grèce pourrait donc rejoindre la liste des pays en guerre (Afghanistan, Irak, Yougoslavie...) ou en butte à une forte instabilité politique (Haïti) qui ont récemment fait défaut sur leur dette au FMI.

"Ce serait un signal d'alarme", analyse pour l'AFP Domenico Lombardi, ancien membre du conseil d'administration du FMI.

L'onde de choc pourrait conduire les Européens à accentuer la pression financière sur Athènes, qui compte entièrement sur l'argent de bailleurs de fonds internationaux pour se financer.

"La BCE pourrait rendre le financement des banques grecques plus difficile si ce n'est virtuellement impossible", détaille M. Lombardi.

L'institut de Francfort pourrait ainsi abaisser ou revoir entièrement le montant de l'aide d'urgence qu'elle accorde aux banques grecques pour les maintenir hors de l'eau.

Maigre satisfaction pour la Grèce, un non-paiement du FMI ne conduirait pas les agences de notation à déclarer le pays en défaut, a fait savoir à l'AFP l'agence Moody's, rappelant qu'elle ne prenait en compte que la dette détenue par les créanciers privés.

La crédibilité du FMI serait également en jeu. Les plans d'aide à la Grèce --les plus importants de son histoire-- ont été vivement contestés au sein de l'institution et la perspective de remboursements aléatoires pourrait relancer la controverse.

L'enjeu est d'autant plus crucial pour le Fonds que ses prêts les plus étendus doivent être remboursés bien plus tôt, en 2024, que ceux accordés par les Européens, qui arrivent à échéance en 2053.

Lourd de conséquences, un défaut vis-à-vis du FMI ne donnerait toutefois pas automatiquement corps au scénario-catastrophe du "Grexit", la sortie de la Grèce de la zone euro.

Le fait de lier ces deux éléments "est totalement injustifié", soutient M. Lombardi.

Les experts de Commerzbank se montrent moins définitifs. "Le Grexit a peu de chances d'arriver à moyen terme" mais le non-remboursement du FMI "serait à n'en pas douter un pas dans cette direction".