Grèce : dispensaires solidaires pour malades de l'austérité

Depuis le début de la crise financière, les gouvernements grecs successifs ont pratiqué une politique de réduction des dépenses publiques drastique. L'austérité grecque, imposée par la Troïka (Fonds monétaire international, Banque centrale européenne, Commission européenne), est arrivée à un point tel que depuis quatre ans, une part croissante de la population n'accède plus aux soins. Face à l'inhumanité de la situation, des dispensaires sociaux solidaires se sont créés un peu partout, sans l'aide de l'Etat ni des entreprises privées et avec la seule volonté de citoyens et de professionnels bénévoles.
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Grèce : dispensaires solidaires pour malades de l'austérité
Illustration du « Solidarité France Grèce pour la Santé », initiative pour soutenir les dispensaires sociaux solidaires grecs
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L'austérité économique a ravagé la Grèce : le taux de chômage officiel est à plus de 26%, celui des jeunes de moins de 25 ans dépasse les… 56%. Face à la crise de la dette, le gouvernement grec a pris de nouvelles mesures d'économie depuis 2010, mais en défaveur des plus démunis : après un an de chômage, les droits  à la sécurité sociale des allocataires sont supprimés. Cette injustice a été partiellement annulée par le parlement, en juin dernier, en rétablissant le remboursement des seuls médicaments pour les chômeurs de plus d'un an. Mais le mal est fait : entre 30 et 40% de la population grecque, selon Médecins du monde, n'accède plus aux soins.

Suppléer l'incurie des services publics

Grèce : dispensaires solidaires pour malades de l'austérité
La pharmacie du dispensaire autogéré de Katérini est informatisée, alors que les hôpitaux… ne le sont pas (Photo NewPost
Face à ce problème sanitaire très inquiétant, de nouveaux systèmes basés sur la solidarité, le bénévolat, le don et l'entraide se sont mis en place : les dispensaires sociaux solidaires. Ces lieux ont été créés par des médecins, pharmacien(ne)s, para-médicaux bénévoles au sein de locaux inoccupés, la plupart du temps. Les dispensaires solidaires ouvrent plusieurs heures par semaine pour soigner ceux que les médecins ou les hôpitaux ne veulent plus soigner pour cause de perte de couverture médicale. Le principe est simple : dans ces dispensaires autogérés, les professionnels de toute spécialité consultent gratuitement et donnent des traitements à des personnes exclues de la sécurité sociale ou sans revenus. La pharmacie du dispensaire est gérée par un pharmacien qui trie, range, et stocke les médicaments offerts par la population, le secrétariat est tenu par des bénévoles, les consultations sont assurées par des médecins, orthophonistes, psychologues, dentistes qui donnent de leur temps. La journaliste grecque Alexia Kefalas souligne le travail incroyable et indispensable que réalisent ces dispensaires : "des personnes atteintes de cancer ne peuvent plus se faire soigner, leurs traitements coûtent 500 euros la boite, il leur en faut deux par mois, les dispensaires leur fournissent gratuitement".

Reportage : dispensaire social solidaire de Péristeri (banlieue d'Athènes)

Solidarité et inventivité sociale

Les budgets de l'Etat pour les hôpitaux ont été amputés de 25% en Grèce depuis 2009 pour satisfaire aux exigences de la Commission européenne, de la BCE et du FMI (Troïka, ndlr). L'accès et la qualité des soins, de façon générale, se sont excessivement détériorés, et l'Etat ne compte pas reprendre la main vis-à-vis des dispensaires sociaux solidaires, selon Alexia Kefalas : "L'Etat grec ne fait pas de travail social, n'a jamais fait ça. L'Etat a toujours laissé le travail social à l'église, parce que l'Etat et l'église ne sont pas séparés. Il y a d'ailleurs un hôpital de l'église qui est bien équipé et soigne les personnes sans assurance sociale". Si la situation semble terrible et inacceptable depuis la France, il faut toutefois souligner que cette solidarité très présente dans la société grecque n'est pas nouvelle et met en lumière une inventivité sociale au sein de la société grecque, doublée d'une solidarité des rapports humains qui ne se dément pas. La journaliste Alexia Kefalas rappelle à ce propos que "les Grecs ont traversé bien pire avec la guerre civile, période durant laquelle il y avait une pauvreté extrême, où les gens avaient vraiment faim. Là, du fait de cette solidarité, on ne voit pas beaucoup de SDF (sans domiciles fixes, ndlr) comme c'est le cas dans beaucoup de villes de France, par exemple. Cette solidarité est médiatisée, mise en valeur, et tout le monde en parle positivement, de toutes tendances confondues".

Dispensaire Social de Solidarité d'Iraklion (Crète)

Quel avenir pour le secteur de la santé en Grèce ?

Il existe une cinquantaine de dispensaires sociaux et solidaires auto-gérés en Grèce aujourd'hui (voir liste partielle et lien en encadré). Plus de 3 millions et demi de personnes sans revenus ou couverture sociale en bénéficient. Cette solidarité citoyenne oblige à un constat amer sur les pouvoirs publics grecs, qu'Alexia Kefalas effectue sans concessions : "l'Etat grec se repose sur ces dispensaires sociaux, il s'en contente très bien. L'état des hôpitaux est tragique, il manque des compresses, des seringues, des machines ne fonctionnent pas. Pour les anesthésistes, par exemple, c'est un vrai calvaire. L'Etat grec se désengage au lieu de réagir, et tout ça pousse les médecins à un système de corruption où il faut donner la 'petite enveloppe' pour être soigné. C'est une santé à plusieurs vitesses qui est en train de se créer, et c'est dramatique." Alors que l'Etat grec veut se dégager de la tutelle de la Troïka en 2015, et retrouver la gestion pleine et entière de son budget, rien n'indique que le secteur de la santé pourrait s'améliorer. Et comme le rappelle la journaliste, "l'entrée dans l'euro s'est faite en trichant sur les comptes de l'Etat, et l'organisation des Jeux olympiques est un tel gouffre financier qu'il faudra plusieurs générations pour le rembourser". Dans ces conditions, l'état de la santé publique, en Grèce, ne semble pas prêt de s'améliorer.