Ouzo et raki coulent à flots ce soir à la terrasse d'un petit café d'Athènes: Yorgos Giannelis fait ses adieux à sa tribu d'amis avant de s'envoler demain pour le Canada. Un pot de départ parmi tant d'autres en
Grèce, où l'horizon bouché fait fuir les cerveaux. "Tous ceux qui peuvent partir le font", explique à l'AFP le réalisateur de films et documentaires dans un français parfait acquis lors d'études en France et en Belgique -- et sur lequel il compte pour percer au Québec. "Apres les Jeux Olympiques de 2004, le pays a commencé à s'enfoncer. Mais là, la situation s'aggrave", raconte Yorgos, 45 ans, père de deux enfants qu'il espère faire venir rapidement au Canada. La
Grèce traverse sa cinquième année de récession et plus d'une personne sur cinq est au chômage. Le pays, soumis à une sévère cure de rigueur en contrepartie d'un plan de sauvetage financier de l'UE et du FMI, a brutalement taillé dans les salaires et les retraites. Les jeunes sont les plus touchés par la crise: selon les dernières statistiques, 52,7% des 15-24 non scolarisés sont sans emploi, et plus d'un tiers dans la tranche d'âge suivante, de 25 à 29 ans. Conséquence de cet horizon bouché: une fuite des cerveaux vers des contrées plus prometteuses. S'il n'existe pas en
Grèce de chiffres officiels mesurant le phénomène, les statistiques allemandes, elles, montrent qu'en 2011, le nombre de Grecs s'installant au pays d'Angela Merkel a augmenté de 90%, à plus de 25.000. Mais les turpitudes économiques de la
Grèce n'expliquent pas tout, assurent les candidats au départ. Il s'agit aussi de fuir les travers qui ont contribué à mettre le pays à terre: inefficacité, bureaucratie, clientélisme, corruption. "La
Grèce n'a jamais mis en valeur ses talents. Ici personne n'a jamais demandé mon CV. Tu es embauché parce que tu as des relations, pas sur la qualité de ton travail", regrette Yorgos, le cinéaste. Le système éducatif, lui, souffrait déjà d'un manque de ressources et de personnel avant même que le gouvernement serre la vis budgétaire, provoquant des manifestations et la fermeture d'écoles et d'universités pendant des semaines. Des dysfonctionnements qui motivent Lefteris, ingénieur informatique de 50 ans, à vouloir inscrire sa fille Maria dans une fac de médecine à l'étranger une fois bouclée sa dernière année de lycée cet été. "En
Grèce, elle n'a pas une seule journée entière de cours à cause des problèmes de budget, des manifs... Ici on ne sait jamais quand on sera diplômé", déplore-t-il. Pour pallier ces carences, il paie des cours d'allemand à sa fille à l'institut Goethe d'Athènes. Première économie de la zone euro et premier contributeur aux plans d'aide accordés aux pays européens dont la
Grèce, l'Allemagne ne s'y trompe pas. Berlin a lancé un site internet (
www.make-it-in-Germany.com) spécifiquement conçu pour attirer les brillants étudiants étrangers. "De nombreux camarades de ma fille posent aussi leur candidature dans les universités européennes. Et ils risquent de rester là-bas, vu la situation en
Grèce. Je ne sais pas si ma fille reviendra", commente Lefteris. L'institut Goethe, spécialisé dans la diffusion de la langue et de la culture allemandes, enregistre des records de fréquentation. Il a indiqué récemment que les demandes de cours avaient progressé de 50% en
Grèce, et de 30% en Italie, également touchée par la crise. Aphrodite Gkargkaniti, 18, ans, étudie la psychologie à Leeds, en Angleterre. De retour cet été dans son pays natal pour un boulot de saisonnière sur les îles grecques, elle veut néanmoins s'installer en Grande-Bretagne. "Les études sont chères à l'étranger mais elles sont de meilleure qualité. De toute façon, il n'y a pas de travail ici".