Les dix neuf ministres des Finances sont réunis avec le FMI ce 22 avril à Bruxelles pour décider de débloquer une nouvelle tranche de prêts à l'Etat grec assortie peut-être d'un allégement de la dette, en échange de mesures d'austérité. Aucune décision n'a été prise. Mais qui prête vraiment à la Grèce et quel intérêt y a-t-il à effectuer ces fameux prêts ?
Le problème de la dette grecque, depuis 2010, est souvent résumé par des phrases un peu simplistes telles que : "
l'Europe ne peut pas éternellement prêter à la Grèce", ou encore, "
Ce nouveau prêt correspond à une dette de milliers d'euros par foyer allemands, le pays qui prête le plus à la Grèce", etc…
Des tranches de dizaines de milliards d'euros sont effectivement débloquées par "l'Eurogroupe", à des moments critiques pour l'économie de la Grèce, ce petit pays qui représente pourtant moins de 2% de l'économie européenne. L'Eurogroupe : une structure qui n'a pas de forme juridique, n'étant que la réunion mensuelle des ministres des Finances des pays de la zone euro dans une même salle.
Ces plans de "sauvetage" de la Grèce, tels qu'il sont appliqués depuis 2010, ne sont pas aussi simples et transparents que ce que les responsables européens veulent bien répéter à longueur de tribunes. La Grèce reçoit de l'argent en échange de réformes à effectuer, toutes basées sur une baisse des dépenses publiques et des hausses d'impôts. En réalité, elle bénéficie surtout des rachat de titres de dettes par la Banque centrale européenne (BCE).
Quant à l'utilisation de ces prêts, selon
un rapport de 2015 tiré de la Commission pour la vérité sur la dette grecque, "
La majorité des prêts accordés dans le cadre du plan de « sauvetage » a été utilisée pour le remboursement des dettes existantes. Seul approximativement 10 % de ces prêts ont servi à financer le budget de l’État". Et ceux qui prêtent, ne perdent pas leur mise. Au contraire.
Les plans de "sauvetages grecs" : un marché juteux ?
Le journal Le Monde rappelait en 2015 "
Les profits réalisés par la BCE (Banque centrale européenne) sur ses achats d’obligations grecques. Pour 2014 et 2015, ces profits avoisinent 3,3 milliards d’euros". Les Etats membres, comme la France, réalisent eux aussi des bénéfices grâce aux prêts à la Grèce, puisque leurs emprunts sont proches de zéro, voire négatifs (les prêteurs payent la France pour qu'elle leur emprunte) et qu'à chaque nouvelle tranche, des remboursements sont effectués par la Grèce. Avec des taux d'intérêts, qui eux, peuvent grimper de façon vertigineuse.
Il y a donc un aller-retour un peu curieux entre des prêteurs qui s'inquiètent de la dette grecque, un Etat grec qui emprunte pour continuer à partiellement se financer, et rembourse des intérêts à ses créanciers pour réemprunter en perdant des sommes astronomiques. Au delà des Etats et de leurs banques publiques, les prêteurs sont aussi des banques privées, des fonds de pensions et des assurances. Après le Fonds européen de stabilité financière (FESF) devenu le MES (Mécanisme européen de stabilité) et le FMI (Fonds monétaire international), la BCE est le troisième créancier de la Grèce avec 27 milliards d’euros.
Emmanuel Carré, économiste spécialisé dans la macroéconomie financière et la politique monétaire, rappelle que "
la dette primaire, dont la grecque, ne peut être achetée que par des entreprises privées, la BCE n'a pas le droit d'acheter sur le marché primaire. Ce sont des dettes avec horizon à long terme achetées par les investisseurs privés, typiquement, des fonds de pension".
Qui gagne quoi dans ces opérations ?
Il est très difficile de savoir précisément quels sont les taux d'intérêts appliqués aux prêts accordés à la Grèce, puisque seul le MES déclare prêter à 1,5%. Emmanuel Carré explique les conditions de ces prêts par rachats d'obligation, qui intéressent au plus haut point les créanciers : "
Quand il y a une crise de la dette grecque, les taux d'intérêts sur les obligations grecques montent de l'ordre de 30%, donc même si ceux qui les détenaient, font des pertes, parce qu'une partie ne sera pas remboursée, il touchent quand même 30% d'intérêts !".
Alexis Tsipras a promis d'effectuer 4,9 milliards d’euros d’économies à l'aide de nouvelles coupes dans les retraites et des hausses d'impôts, et de rembourser 7 milliards d'euros en juillet, afin d'emprunter de nouveau à ses créanciers européens. La Grèce reste dans tous les cas une "très bonne affaire" pour les milieux financiers qui lui prêtent,
comme le souligne le magazine Les Echos : "
Les emprunts de la Grèce sont les plus performants de la zone euro depuis le début de l'année, apportant des gains de plus de 11%, selon des données de Thomson Reuters".
Continuer de prêter à la Grèce pourrait donc fragiliser, voire ruiner les finances européennes ? Pour l'économiste Emmanuel Carré, ce n'est absolument pas le cas :"
Ceux qui gagnent de l'argent aujourd'hui, ce sont les organismes publics européens, puisqu'ils ont racheté la plus grosse partie de la dette grecque. Et ce qu'on oublie, c'est que si les banques ont acheté autant de dette grecque avant la crise, c'est parce que c'était celle qui avait le meilleur rendement, sans être trop risquée. Elle est devenue ensuite très risquée mais encore plus rémunératrice, il faudrait donc que ces structures financières assument leur prise de risque. Parce qu'ils ont touché des rendements."
Il y a comme une impression de boucle sans fin dans la gestion de la crise grecque. Et cette boucle ne se terminera pas tant qu'une partie importante de la dette de la Grèce n'aura pas été effacée : une possibilité envisageable quand les créanciers estimeront qu'ils auront suffisamment profité des rendements exceptionnels de celle-ci ?