Au 100e jour d'une grève de la faim sans précédent parmi les détenus de Guantanamo, une pétition a été remise ce vendredi 18 mai à Barack Obama. Quelque 370 000 personnes réclament la fermeture du camp, où certains prisonniers en grève de la faim depuis le mois de février sont alimentés de force par une sonde gastrique. Le président américain avait pourtant promis de fermer ce centre de détention qui échappe à toute juridiction. Le point sur une prison sans fin avec la rédaction de TV5Monde.
Ils seraient 23 à être nourris de force et trois hospitalisés selon les derniers chiffres donnés par la base de Guantanamo. Mais les avocats et les associations redoutent qu’ils soient bien plus nombreux. Une centaine de détenus (sur 166) sont en grève de la faim depuis début février. Le mouvement a été déclenché quand des exemplaires du Coran – texte sacré des musulmans – ont été examinés d'une manière que les prisonniers ont jugé blasphématoire. « Un nouveau commandement est arrivé en janvier, plus strict et avec des procédés différents du précédent, explique Laura Pitter de l’association pour la défense des droits de l’Homme Human Right Watch. Ils ont confisqué des courriers, examiné les corans d’une manière jugée irrespectueuse par les détenus... » Très vite, les protestations se sont élargies pour dénoncer la détention illimitée. Voilà près de douze ans, alors que le président George W. Bush menait la guerre contre le terrorisme lancée après les attentats du 11 septembre 2001, que ces 166 personnes sont enfermées à Guantanamo, sans être passées préalablement devant un juge ni avoir été inculpées d’aucune charge. La moitié d’entre elles ne sont d’ailleurs plus considérées comme des menaces pour la sécurité américaine et sont donc potentiellement libérables.
Craignant que les détenus meurent de leur grève de la faim, l’administration militaire américaine a ordonné de les nourrir de force. Or l’alimentation forcée est considérée comme un traitement inhumain par l’Association Médicale Mondiale, une organisation internationale de médecins, et par l’ONU dont le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme a affirmé que cette pratique n’est « jamais acceptable ». Polly Rossdale, qui travaille à Reprieve, une association d’aide aux détenus de Guantanamo, dénonce des méthodes violentes : « Ils sont assis sur une chaise d'exécution électrique, sanglés aux chevilles et aux mains, et on leur penche la tête en arrière pour faire rentrer un tube dans leurs narines. » Nabil Hadjarab, un des détenus nourris de force, a décrit à Reprieve son état physique, son poids. L’association a alors fait étudier ses propos par un expert médical indépendant pour juger de sa santé. « L’expert nous a dit que si le régime actuel persiste pour Nabil il risque sa vie, explique Polly Rossdale. La dernière personne qui a quitté Guantanamo, c'était un suicide, en septembre 2012. Je crains que la prochaine à sortir ne le fasse dans un cercueil. »
Dessin d'Ali Dilem, 2 mai 2013, pour tv5monde.com
Obama se remobilise Barack Obama avait fait de la fermeture de Guantanamo une promesse de sa première campagne en 2008. Mais le Congrès entrave depuis des années cette mesure, en empêchant notamment de transférer les détenus les plus dangereux vers des prisons de haute sécurité sur le continent américain. Il a également réduit les financements dont l'exécutif aurait besoin pour renvoyer les prisonniers libérables vers leurs pays d'origine. Pour les adversaires républicains d'Obama, majoritaires à la Chambre des représentants, Guantanamo doit rester ouverte, car les détenus sont trop dangereux pour être rapatriés aux Etats-Unis, et les suspects doivent uniquement comparaître devant des tribunaux militaires. S’ils étaient traduits devant la justice américaine, nombre d’entre eux pourraient être relâchés, manque de preuves. « Pour les détenus considérés comme potentiellement libérables, les autorités américaines n'ont jamais trouvé quoique ce soit pour les inculper, affirme Polly Rossdale. Et pour ceux estimés trop dangereux pour être relâchés, elles ne peuvent pas faire de procès parce que les preuves ont été obtenues sous la torture. »
Des manifestants réclament la fermeture de Guantanamo
Malgré les restrictions du Congrès, les associations humanitaires estiment que Barack Obama aurait pu fermer Guantanamo, s’il l’avait voulu. D’autant que, depuis 2012, le président américain a le pouvoir de déroger aux barrières que les élus avaient érigées, pour des raisons de sécurité nationale, contre le transfèrement de détenus considérés comme libérables. « Il y a plein de choses qu’il aurait pu faire avant que les restrictions ne soient actées et il y a toujours des leviers d’action, estime Laura Pitter de Human Right Watch. Il faudrait que l’administration travaille sur les conditions de retour des détenus dans leurs pays d’origine. » La grève de la faim et la mobilisation plus virulente de l’opinion publique, américaine et internationale, contre Guantanamo - une pétition pour la fermeture de la prison lancée par l’ancien procureur général de Guantanamo a récolté plus de 120 000 signatures en deux jours - pourraient obliger Barack Obama à enfin honorer sa promesse. Le 30 avril 2013, il déclarait : « Je vais reprendre le dossier. J’ai demandé à mon équipe de revoir tout ce qu’il se fait à Guantanamo, tout ce que nous pouvons faire administrativement. Je vais à nouveau discuter avec le Congrès et plaider que (laisser Guantanamo en l’état, ndlr) ce n'est pas quelque chose qui est dans le meilleur intérêt du peuple américain. »
En 2002, Guantanamo devenait une forteresse de non droit
Le traitement des prisonniers à Guantanamo est-il en accord avec le droit international ? « Non » répond l’avocat français Me Joseph Breham qui évoque deux principes fondamentaux de la procédure pénale reconnus au niveau international, européen et national : la présomption d’innocence et la charge de la preuve qui repose sur le ministère public. Or les Etats-Unis maintiennent à Guantanamo des personnes qui n’ont jamais été poursuivies ni jugées. De plus, l’ONU avait dénoncé en 2006 des pratiques de torture, interdites par les conventions de Genève. Les Etats-Unis auraient donc dû être condamnés. Pourquoi ne le sont-ils pas ? Il n’y a pas de « police internationale » pour faire appliquer le droit souligne Me Joseph Breham. Il faudrait qu’un ou des Etats saisissent la Cour internationale de Justice contre les Etats-Unis. Ce qui n’a jamais été fait.
Recours en France pour libérer Nabil Hadjarab
par Fanny Bonjean
Nabil Hadjarab
Nabil Hadjarab, Algérien de 33 ans, est enfermé à Guantanamo depuis 11 ans. Sa famille, qui réside en France, se bat pour le faire sortir des geôles américaines. Elle a envoyé des demandes à la présidence française pour accueillir Nabil sur le territoire, mais elles sont restées sans réponse. Alors que l’état de santé de Nabil se dégrade depuis qu’il a entamé la grève de la faim, les avocats de la famille, Me Joseph Breham et Me Sylvain Cormier, ont déposé une requête en référé-liberté de manière à solliciter en urgence la justice pour qu’elle enjoigne à l’administration française d’agir.