Guatemala : "les conditions sanitaires de la caravane de migrants sont absolument déplorables"

Quelque 2 000 migrants sont bloqués ce dimanche 28 octobre à la frontière entre le Guatemala et le Mexique. Des migrants, en provenance du Honduras pour la plupart, qui tentent eux aussi de se rendre aux États-Unis. Une équipe d'Amnesty International est présente sur place pour évaluer la situation sanitaire. Entretien avec Adeline Neau, l'une des chercheuses en mission à Tecun Uman.
 
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Des migrants honduriens attendent sur le pont entre le Guatemala et le Mexique, au-dessus du fleuve Suchiate. Tecun Uman, Guatemala, 21 octobre 2018.
© AP / Oliver de Ros
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Le 13 octobre dernier, un groupe d'un millier de migrants est parti de San Pedro Sula, pour fuir le pays le plus violent du continent américain, le Honduras. Cette "caravane de migrants" aurait atteint les 7 000 personnes, pour n'en compter que 4 000 aujourd'hui au Mexique. Certains, épuisés, sont rentrés chez eux. D'autres ont déposé une demande d'asile au Mexique. Cette première caravane de migrants fait des émules. Un groupe se trouve actuellement bloqué à la frontière entre le Guatemala et le Mexique. Et un autre pourrait quitter le Salvador "aux alentours du 31 octobre", selon Adeline Neau, d'Amnesty International.

Quelle est la situation sanitaire à Tecun Uman, à la frontière entre le Guatemala et le Mexique ?

Adeline Neau : Nous (Amnesty International) sommes arrivés vendredi 26 octobre. On observe une augmentation du nombre de personnes qui arrivent ici. Nous avons vu notamment des enfants et des femmes qui allaitent. Ces personnes sont fatiguées. Elles ont faim et soif. Il n'existe pas de recensement officiel mais nous estimons à plus de 2 000 personnes le nombre de migrants qui affluent dans cette ville frontalière. Elles viennent principalement du Honduras mais aussi du Salvador ou encore du Nicaragua.

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Adeline Neau
Adeline Neau, chercheuse à Amnesty International
© Amnesty International

A. N. : Ces personnes commencent à désespérer à cause des conditions sanitaires absolument déplorables. On n'a pas vu une participation franche du gouvernement du Guatemala pour aider ces personnes exposées toute la journée à des intempéries. Aucun gymnase n'a été habilité au Guatemala. Nous avons vu 300 personnes dormir dans des parcs ou sur le ciment froid. Par ailleurs, les toilettes sur la place publique de Tecun Uman coûtent 3 quetzals (0,35 centimes d'euros).

Il n'y a pas assez de place dans les auberges. Ils se réfugient dans des églises la plupart du temps. Les habitants font preuve de beaucoup de volonté pour les aider. Il y a également beaucoup d’ONG locales et internationales mobilisées. Depuis une semaine, la Croix-Rouge guatémaltèque prête assistance, par exemple.

Nous sommes aussi inquiets car nous avons constaté ce samedi 27 octobre une fermeture complète de la frontière, même du côté du Guatemala. Sur le pont transfrontalier, quatorze toilettes avaient été données par des organismes de coopération ainsi que 2 000 litres d'eau potable. L'accès à ces mesures d'hygiène, et de survie, est donc bloqué par des policiers du Guatemala alors que les températures s'élevaient ce samedi à 33 degrés et à 40 degrés en ressenti.  J'ai vu des enfants deshydratés, des personnes s'évanouir. C'est très dur ici.
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Tweet d'Amnesty International montrant la fermeture du pont entre le Guatemala et le Mexique
© Twitter

Quelle est la situation actuelle à la frontière entre le Guatemala et le Mexique ? On se souvient des images de milliers de migrants d'Amérique centrale, bloqués la semaine dernière sur le pont Rodolfo Robles.

A. N. : Le poste-frontière est bloqué et il faut des heures de marche pour traverser la frontière en passant par un autre pont. Nous avons vu des habitants de la région transporter des migrants d’une rive à l’autre de la rivière Suchiate. Le problème, c'est que ce n’est pas une manière légale de traverser la frontière. D'autres habitants prennent des migrants dans leurs voitures. Mais la police en repère certains et les fait descendre. C'est une stratégie d'usure.

La rivière est actuellement gardée par la marine mexicaine. Nous avons vu ce samedi dix embarcations militaires. Ils disaient aux migrants, avec des haut-parleurs, qu’il fallait soit traverser la frontière uniquement de manière légale, soit se rendre aux autorités, en leur assurant qu’ils seraient bien reçus.
 

Nous sommes très préoccupés car nous avons assisté à une détention massive. Entre 400 et 500 personnes auraient été arrêtées par la police fédérale et l’Institut mexicain de migration vendredi matin.

Nous avons vu quatre bus touristiques, huit à dix véhicules de l’Institut mexicain de migration et plusieurs patrouilles de la police fédérale. Toutes ces personnes auraient été envoyées vers le centre de Tapachula. Il est fort probable que ces personnes soient toujours dans ce centre, à moins qu’elles n’aient été déportées. Ce n'est pas habituel que le Mexique réalise des détentions massives. C’est préoccupant car certaines de ces personnes pourraient être des demandeurs d’asile.

Si un État déporte une personne qui craint pour sa vie, cela s’appelle un refoulement et c’est une violation du droit international.

Adeline Neau, chercheuse à Amnesty International

Si ces personnes sont de possibles réfugiés et qu’elles souhaitent demander l’asile, les autorités du Mexique ou des États-Unis sont dans l’obligation de les protéger ou de les aider à effectuer les démarches.

Quel est le sentiment des migrants que vous avez rencontrés ?

A. N. :
Ces migrants ont encore beaucoup d'espoir. Et d'autres pourraient arriver. Une caravane devrait partir du Salvador le 31 octobre. Ces personnes pensent que plus elles sont nombreuses, plus elles ont de chances de passer la frontière entre le Mexique et les États-Unis.

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Tecun Uman, Guatemala
© Google Maps