Guerre d'Algérie: Macron fait un geste pour les harkis

Emmanuel Macron a promu d'anciens combattants harkis et des représentants d'associations dans l'ordre de la Légion d'honneur, un nouveau geste dans le travail mémoriel sur la guerre d'Algérie. Néanmoins, beaucoup de harkis trouvent cela insuffisant : ils demandent "le pardon".

Image
Macron
Un jeune harki en Algérie en été 1961. (Photo Jean Poussin Wikipedia Commons)
Partager 5 minutes de lecture

Le 13 septembre dernier, le chef de l'Etat avait reconnu que Maurice Audin, mathématicien communiste, militant de l'indépendance de l’Algérie, torturé par l’armée française et disparu sans laisser de traces en 1957, était bien "mort sous la torture du fait du système institué alors en Algérie par la France". Il avait demandé "pardon" à la veuve de Maurice Audin.

Une semaine plus tard, il tend cette fois-ci la main aux harkis, ces anciens supplétifs de l'armée française pendant la guerre d'Algérie (1954-1962), à quelques jours de la Journée nationale d'hommage du 25 septembre. Ce geste intervient au moment où ceux-ci tapent du poing sur la table. Début septembre, ils rappelaient leur soutien au candidat Macron en 2017, menaçant, pour obtenir réparation, de porter plainte contre la France pour crimes contre l'humanité devant les tribunaux internationaux.

Ainsi, par décret du 20 septembre paru au Journal officiel, six anciens combattants harkis et la cofondatrice d'une association de harkis deviennent chevaliers de la Légion d'honneur. Quatre personnes sont en outre élevées au grade d'officier de l'ordre national du Mérite et quinze autres au grade de chevalier du même ordre, majoritairement représentantes d'associations ou fédérations. Onze vont recevoir la médaille militaire.

Décorations

"Bien sûr, une décoration ça fait toujours plaisir et honneur", a réagi Boaza Gasmi, président du Comité national de liaison des harkis (CNLH). Mais, a-t-il ajouté sur la radio France Info, "notre combat, pour être franc, c'est une vraie reconnaissance et une vraie réparation...Nous méritons le pardon". Il aurait fallu, selon lui, que les harkis soient insérés dans la vie sociale de façon à pouvoir réussir et éviter "la souffrance (...) sur trois ou quatre générations. Ce comité réclame également "une véritable loi qui reconnaisse que la France de l'époque a volontairement abandonné la communauté harkie" en Algérie en 1962.
 
Aujourd'hui le plus jeune harki a 80 ans. C'est un peu tardBoaza Gasmi, président du Comité national de liaison des harkis (CNLH)

Un groupe de travail, lancé à l'initiative du chef de l'État, a préconisé en juillet dans son rapport final de créer un "fonds de réparation et de solidarité" de 40 millions d'euros pour les harkis et leurs enfants. Un montant toutefois très loin des attentes des associations : elles réclament entre 4 et 40 milliards d'euros et font pression sur l'Etat.

Le geste d'Emmanuel Macron intervient après celui de François Hollande en 2016, qui avait reconnu "les responsabilités" de la France dans "l'abandon" des harkis, au cours d'une journée d'hommage du 25 septembre qui avait alors pris des allures de pré-campagne électorale, à sept mois de l'élection présidentielle de 2017.

Parmi les premières réactions, le député Eric Coquerel (La France insoumise) a salué le "geste", mais déploré une sorte de "concurrence des mémoires" qui serait actionnée par l'exécutif.

A l'extrême droite, Sébastien Chenu, porte-parole du Rassemblement national, a estimé sur France 2 que "les victimes des guerres méritent bien souvent autre chose que des pansements".
 

Qui sont les harkis ? 

Les harkis sont des musulmans recrutés comme auxiliaires de l'armée française durant la guerre d'Algérie (1954-1962) pour lutter contre le FLN, le mouvement armé pro-indépendance.  Ils tirent leur nom du mot "harka", qui signifie "mouvement" en arabe.
L'armée française a recruté localement pour des opérations particulières jusqu'à 150.000 de ces Algériens, qui reprocheront ensuite à la France de les avoir désarmés, abandonnés en Algérie et livrés avec leurs familles, à des tortures et exécutions sommaires.

Au lendemain des accords d'Evian du 18 mars 1962, consacrant la défaite française en Algérie, le gouvernement français rejette en effet le rapatriement massif des harkis.
Environ 60.000 d'entre eux parviennent toutefois à partir pour la métropole avec les pieds-noirs.
Les autres - entre 55.000 et 75.000 selon les historiens - sont livrés à leur sort en Algérie et, considérés comme des traîtres par le nouveau régime, victimes de sanglantes représailles.
Pierre Messmer, à l'époque ministre des Armées du général de Gaulle, déclarera en 2003 que "la position de la France était la seule possible", "inévitable et légitime".
Une plainte pour "crimes contre l'humanité" déposée par huit harkis en août 2001 à Paris, qui faisait état de 150.000 victimes, n'a pas abouti.

Entre 55000 et 75000 harkis ont été abandonnés en Algérie

Les harkis et leurs descendants, qui ont pu rejoindre la France ont été accueillis dans dans des conditions précaires (camps, hameaux de forestage et cités urbaines), sans réelles perspectives d'intégration pour eux-mêmes ni leurs enfants, principalement dans le sud de la France.  Ils formeraient aujourd'hui une communauté de 500.000 personnes. 
Depuis 1974, plusieurs enfants de harkis ont mené des grèves de la faim et marches de protestation pour obtenir la reconnaissance de leur drame et une amélioration de leur sort. Leurs parents ont connu une intégration difficile en France, à la fois assimilés à des immigrés et rejetés par les immigrés algériens. En 2000, le président algérien Abdelaziz Bouteflika les avait qualifiés de "collaborateurs" et, tout en critiquant leurs conditions de logement en France, avait exclu leur retour en Algérie, qui selon lui n'était "pas leur pays".
En août 2001, la France a instauré la première journée d'hommage national aux harkis, fixée au 25 septembre. Ce jour-là, le président Jacques Chirac déclarait que "les massacres commis en 1962, frappant les militaires comme les civils, les femmes comme les enfants, laisseront pour toujours l'empreinte de la barbarie. Ils doivent être reconnus".
Le 23 février 2005, une loi prévoit une allocation de reconnaissance pour "les harkis, leurs orphelins et les rapatriés d'origine européenne".
Le président François Hollande a solennellement reconnu le 25 septembre 2016 les "responsabilités des gouvernements français dans l'abandon des harkis, les massacres de ceux restés en Algérie et les conditions d'accueil inhumaines des familles transférées dans les camps en France".